« Notre premier devoir, c’est de guérir cette plaie affreuse du séparatisme, c’est de refaire l’unité nationale à partir de laquelle on refera, sans aucun doute, la puissance, la prospérité, le bonheur de la France… »1. Qui est l’auteur de cette envolée lyrique ? Emmanuel Macron ? Ou celui dont il disait s’inspirer au début de son quinquennat « vertical » : Charles de Gaulle ? Évidemment le second !
Si ce discours date de 1952, c’est en 1947 que de Gaulle, écarté du pouvoir et qui cherche à y revenir, crée son propre parti politique, le Rassemblement du peuple français (RPF). C’est le moment où il commence à dénoncer le « séparatisme communiste », celui d’un parti très puissant (un quart des suffrages environ) à l’époque, qui fait peur et suscite la haine dans les milieux bien-pensants. Dans un discours célèbre prononcé à Rennes le 27 juillet 1947, il s’écrie :
Mais, si l’unité nationale put être maintenue malgré ceux qui avaient accepté la loi de Hitler, tout le monde sent qu’elle est aujourd’hui et de nouveau en péril. Je dis qu’elle est en péril par le fait d’un groupement d’hommes, dont ceux qui les mènent placent au-dessus de tout le service d’un État étranger. Je le dis avec d’autant plus de force que j’ai moi-même, comme c’était mon devoir, essayé, jusqu’aux limites du licite et du possible, de les attirer vers le service de la France. Oui ! À la Libération, j’avais, avec la Résistance tout entière, jugé qu’il fallait offrir à ces « séparatistes » l’occasion de s’intégrer dans la communauté nationale.
En 1951, le RPF perd les élections législatives. À nouveau de Gaulle tente de relancer ce thème du « séparatisme », comme l’indique la citation en tête de cet article. Une campagne s’organise. Dans d’innombrables meetings, les orateurs gaullistes clouent au pilori ceux qui regardent vers Moscou, et ses fidèles se bagarrent avec les militants du Parti communiste, faisant ici et là des victimes. Cette campagne va durer un peu plus d’un an, mais elle ne permet pas de remobiliser, et nombre de députés RPF désertent, cherchent à rallier telle ou telle force, se précipitent vers « la gamelle ». En 1953, l’échec de de Gaulle est acté. Il se retire de la vie politique, voyage en Afrique avant de rentrer à Colombey-les-Deux-Églises.
Remplacer Moscou par La Mecque
Près de 70 ans plus tard, son lointain successeur reprend le thème dans l’avion le ramenant d’Israël fin janvier 2020 : « Il faut essayer de dire sans diviser. Il faut accepter, en disant de parfois bousculer. Mais il faut accepter qu’il y ait, dans notre République aujourd’hui, ce que j’appellerais un séparatisme. » On peut se demander quel conseiller en communication lui a soufflé ce thème destiné à remplacer le communautarisme et sa menace, et s’il a conscience de prétendre se mettre dans les pas du général de Gaulle. Ou, peut-être dans ceux d’un autre de ses prédécesseurs, François Mitterrand, ministre de la IVe République qui dénonçait la montée de « mouvements séparatistes » en Afrique, identifiés au communisme, et prônait « l’insertion des pays colonisés dans une communauté plus vaste et plus puissante » — c’est-à-dire une Union française qui ébauche ce que sera la « Françafrique »2. Moins de trois ans plus tard, les "séparatistes" sont "séparés" et, pour certains, gardent le pouvoir plusieurs décennies durant.
Plus proche de nous, dans Le Figaro du 19 mars 2018, cent intellectuels, allant de la droite la plus radicale à la gauche islamophobe signaient un texte en ce sens, mais avec assez peu d’échos, sinon un soutien de Manuel Valls, qui cherche à faire oublier des échecs successifs en France comme en Espagne — comme par hasard, on apprend que le personnage vient de se réconcilier avec Emmanuel Macron.
Comme de Gaulle, Macron est en difficulté au plan politique, à la veille d’échéances électorales majeures et a besoin de se « refaire », comme disent les joueurs de poker. Mais la cible a changé, les communistes ont été remplacés par les musulmans. Les séparatistes, accuse-t-on, ne regardent plus vers Moscou, mais vers La Mecque, Riyad, Doha ou Ankara.
Cependant, comparaison n’est pas raison et on aura du mal à comparer la force du Parti communiste au début des années 1950, représentant un quart de la population, avec les différents courants de l’islam politique en France, implantés très localement, divisés, parmi une population qui ne représente qu’une minorité des habitants de l’Hexagone. Et si on nous promet un projet de loi contre le séparatisme, on conçoit mal ce qu’il peut contenir de nouveau. Si l’on en croit Le Point (6 février), on veut supprimer les cours de langue et de culture d’origine, enseignements assurés par du personnel venant de Turquie ou du Maghreb, sous prétexte qu’ils véhiculeraient des idées contraires à celle de la République. Noble objectif, mais la République est-elle disposée à assurer ces cours avec ses propres enseignants ? On peut en douter quand on connaît le statut de l’enseignement de l’arabe en France.
Les vieilles sorcières communistes ne font plus peur, il faut en trouver de nouvelles, et l’islam politique est tout désigné. Les nouveaux inquisiteurs préparent des bûchers pour sauver leur peau électorale. Pourtant, le précédent gaulliste démontre en l’espèce qu’on peut tout faire avec le « séparatisme », sauf gagner des élections.
Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Orient XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.
1« Réformes économiques et sociales et participation », Ina (document audio), 20 mai 1952.
2François Mitterrand, Présence africaine et abandon, Plon, 1957.