Le journal égyptien Al-Shorouk titrait en une, le 30 août 2014 : « Propositions d’amendements constitutionnels pour renforcer les pouvoirs du président. » L’équipe présidentielle jugerait la situation politique, sécuritaire et économique du pays incompatible avec un régime semi-présidentiel et exigerait la mise en place d’un régime présidentiel. Parmi les amendements évoqués figurait la possibilité pour le président d’engager les forces armées à l’étranger après la simple notification du Parlement, au lieu de son approbation à la majorité des deux tiers. Le président devrait également pouvoir choisir et révoquer les membres de son gouvernement sans tenir compte de l’avis du Parlement. Ce projet d’amendements, qui pourrait être transmis à la prochaine Assemblée, exige une majorité des deux tiers pour être soumis à référendum.
La Constitution de 2014 est présentée par ses partisans comme ayant considérablement réduit les pouvoirs du président au profit du gouvernement et du Parlement. D’une étude comparée des textes de 1971 (tel qu’amendé en 2005 et 2007), 2012 et 2014, il ressort pourtant qu’elle a restitué au président une grande partie des pouvoirs dont celle de 2012 l’avait privée1. Si toutes trois ont mis en place un régime semi-présidentiel, avec un président élu2 qui partage le pouvoir exécutif avec un premier ministre, la répartition des pouvoirs entre les plus hautes autorités de l’État diffère d’un texte à l’autre.
L’Assemblée constituante de 2012, dominée par des partis islamistes dotés d’une forte base électorale, avait renforcé la dimension parlementaire du régime mixte. Le « Comité des 50 » mis en place après la destitution de Mohamed Morsi, nommé par l’exécutif et proche des institutions de l’État, en a au contraire consolidé l’aspect présidentiel.
Le choix et le rôle du premier ministre comme variable d’ajustement
La Constitution de 2012 avait limité la liberté de choix du premier ministre par le président : son candidat devait soumettre son programme à la chambre basse après avoir constitué son gouvernement. En cas de refus, le président devait désigner un autre chef du gouvernement, choisi cette fois-ci au sein du parti majoritaire au Parlement. Si ce candidat échouait à obtenir la confiance de la chambre basse, cette dernière désignait un premier ministre, que le président chargeait de former un gouvernement. Un nouveau refus de confiance par la chambre entraînait sa dissolution par le président et l’organisation de nouvelles élections législatives.
Pour la première fois, le Parlement se voyait donc reconnaître un rôle dans le choix du premier ministre3. Une telle procédure était susceptible d’accroître son indépendance face au président et de l’encourager à veiller au respect de la séparation des attributions au sein de l’exécutif.
Mais la Constitution de 2014 a réduit cette procédure à deux étapes au lieu de trois : le président propose son candidat au Parlement ; s’il n’obtient pas sa confiance, le parti ou le bloc majoritaire propose un autre candidat. Si la chambre lui refuse sa confiance, elle est dissoute par le président.
Le Parlement ne peut donc plus choisir un troisième candidat et est incité à accepter celui du président, sous peine d’être dissout si la majorité n’est pas assez solide pour en soutenir un autre. De plus, si le premier ministre est choisi par le parti ou la coalition majoritaire, le président peut nommer les ministres de la défense — avec cependant l’aval du Conseil suprême des forces armées —, de l’intérieur, des affaires étrangères et de la justice, après avoir consulté le premier ministre. La Constitution de 2012, elle, confiait toujours au premier ministre la constitution de son gouvernement. Et alors que ce texte prévoyait que seule la chambre basse pouvait retirer sa confiance au gouvernement, celui de 2014 autorise le président à révoquer le gouvernement ou opérer un remaniement ministériel avec l’approbation de la majorité des membres du Parlement.
Les pouvoirs étendus du chef de l’État
La Constitution de 2012 avait renforcé les attributions du gouvernement en déclarant que le président exerçait ses pouvoirs par l’intermédiaire du premier ministre et des ministres, exception faite de la défense, de la sûreté nationale et des affaires étrangères. Certaines prérogatives reconnues au président par la Constitution de 1971, comme la promulgation des règlements d’application des lois et de police ou des décisions de création et d’organisation des services publics, avaient été transférées au premier ministre. La Constitution de 2014 n’est pas revenue sur ces transferts d’attributions. En revanche, elle n’indique plus que le président exerce ses fonctions à travers son gouvernement et continue de placer le président au centre de l’appareil d’État, dont il reste le chef, ainsi que de l’exécutif. Il est aussi le chef suprême des forces armées. Il établit, de concert avec le conseil des ministres, la politique générale de l’État, nomme et révoque les fonctionnaires civils et militaires, dispose du droit de grâce après consultation du conseil des ministres. Au niveau international, il dirige la politique étrangère, accrédite les membres du corps diplomatique, déclare la guerre, fait la paix et conclut les traités. Il peut proposer des lois, les promulgue, et dispose du droit de veto. En l’absence du Parlement, il peut adopter des décrets-lois en cas d’urgence et soumettre à référendum toute question concernant les intérêts suprêmes de la Nation. Il peut également proposer des amendements constitutionnels.
Maigres prérogatives du Parlement
La Constitution de 2012 avait aussi diminué le contrôle que le président pouvait exercer à l’encontre du Parlement. Il ne pouvait plus nommer que un dixième des membres de la chambre haute (au lieu d’un tiers auparavant), et se voyait privé du droit de nommer dix députés à la chambre basse4. La Constitution de 2014 l’autorise à nommer 5 % des membres de la chambre, soit 22 membres sur 450.
Par ailleurs, la Constitution de 2012 autorisait le président à dissoudre la chambre basse par décret motivé et après référendum. Si la dissolution était rejetée par le peuple, le président devait présenter sa démission. La Constitution de 2014 continue à octroyer le droit de dissolution au président après référendum, mais ne l’oblige plus à démissionner s’il n’obtient pas le soutien de la majorité des votants.
Le texte de 2014 a prévu pour la première fois un mécanisme de retrait de la confiance au président de la République. La majorité des deux tiers de la chambre peut ainsi demander au peuple sa destitution et l’organisation d’élections présidentielles anticipées. Si le résultat du référendum est négatif, toutefois, l’Assemblée est considérée comme dissoute et le président doit appeler à de nouvelles élections législatives. Il est peu probable qu’une telle procédure atteigne jamais son terme ni même qu’elle soit jamais lancée. Le mode de scrutin choisi pour les législatives, ajouté au fait que le président peut nommer 5 % des députés et que l’Assemblée est dissoute en cas d’échec du référendum, rend très improbable la réunion d’une majorité des deux tiers des députés pour demander sa destitution.
Si la Constitution de 2012 avait réduit les pouvoirs du président, celle de 2014 lui a donc redonné une place centrale au sein du système politique. Pourquoi donc vouloir l’amender et supprimer les dernières prérogatives confiées au Parlement ? D’autant plus que les dispositions constitutionnelles relatives aux droits humains sont restées lettre morte depuis leur adoption et sont mêmes régulièrement violées au nom de la lutte contre le terrorisme et pour la préservation de l’État. Le président Abdel Fattah Al-Sissi a lui-même déclaré que les exigences de la sécurité nationale devaient prévaloir sur les droits humains et sur les principes démocratiques.
Des élections législatives à risque ?
Les prochaines élections législatives pourraient-elles amener une majorité hostile au président ? Le mode de scrutin choisi5, en favorisant les indépendants par rapport aux candidats des partis politiques, devrait permettre l’élection d’un Parlement très fragmenté et dominé par le retour des forces de l’ère Moubarak6. Ces dernières peuvent-elles représenter une menace pour l’institution présidentielle ? Ou bien est-ce la crainte que les Frères musulmans, qui ne peuvent se présenter en tant que parti, remportent un nombre important de sièges indépendants ? Ou le fait qu’aucune opposition, aucune résistance, aucune critique, d’où qu’elle vienne n’est plus tolérée ? Toujours est-il que le président continue d’exercer le pouvoir législatif jusqu’à l’organisation d’élections dont la date n’a toujours pas été fixée. La déclaration constitutionnelle du 8 juillet 2013 prévoyait pourtant qu’elles se tiendraient avant l’élection présidentielle et la Constitution de 2014 fixait un délai maximum de six mois à compter de sa mise en œuvre pour entamer les procédures électorales.
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1La Constitution de 2014 reprend pour l’essentiel les conditions de candidature fixées par le texte de 2012, en précisant toutefois que la loi pourra en ajouter d’autres. Un législateur peu scrupuleux pourrait donc abuser de cette faculté en posant des conditions destinées à écarter certains candidats.
2La Constitution de 2014 a repris de celle de 2012 la limitation du mandat présidentiel à quatre ans, renouvelable une fois. Celle de 1971, qui prévoyait à l’origine que le président ne pouvait être réélu qu’une seule fois pour un nouveau mandat de 6 ans, avait été amendée en 1980 par Anouar El-Sadate pour supprimer cette limitation.
3La Constitution de 1971 laissait le président de la République entièrement libre du choix de son chef du gouvernement et le Parlement ne jouait aucun rôle. En pratique, Hosni Moubarak nommait des technocrates qui ne lui faisaient pas de concurrence.
4Moubarak utilisait son quota pour nommer des coptes et des femmes, sous-représentés au sein du Parlement. La Constitution de 2014 demande à l’État de veiller à une représentation correcte des ouvriers, paysans, jeunes, chrétiens, personnes handicapées et Égyptiens expatriés dans la première chambre des représentants. Et d’assurer une représentation adéquate des femmes au sein des assemblées représentatives.
575 % des députés seront élus au scrutin uninominal et 25 % au scrutin de liste, avec seulement 4 circonscriptions.
6Le jugement du tribunal des référés du 6 mai 2014 interdisant aux anciens membres du Parti national démocratique de se présenter aux élections a été cassé en appel le 14 juillet 2014 pour absence de compétence.