Élections en Irak. L’immobilisme comme seul horizon

Des élections législatives anticipées ont eu lieu en Irak dimanche 10 octobre 2021. Initialement prévues en avril 2022, elles ont été avancées pour répondre aux mobilisations massives de 2019, mais semblent relever davantage d’une formalité que d’une véritable promesse de changement.

Affichage électoral dans le quartier de Karrada, à Bagdad, le 29 septembre 2021
Ahmad Al-Rubaye/AFP

Les élections législatives du 10 octobre 2021 ne sont pas seulement anticipées, elles s’organisent également selon une nouvelle loi électorale. Celle-ci prévoit un découpage territorial en 83 circonscriptions qui suscite de nombreuses critiques, car cette nouvelle cartographie correspondrait aux zones d’influence des principales forces en place, et leur permettrait ainsi de préserver leur poids sur la scène politique.

En tout, 3 240 candidats sont en lice pour 325 sièges, dont 83 reviendront à des femmes, soit 25 % du Parlement. Neuf sièges sont réservés aux minorités religieuses ou ethniques, entre chrétiens, yézidis, sabéens et shabaks. Le partage des sièges selon les gouvernorats fait qu’environ 175 sièges reviendront aux chiites, tandis que les sunnites compteront une soixantaine de députés.

Sur les 40 millions d’habitants que compte l’Irak, 25 millions ont le droit de voter. Les autorités excluent cependant le vote des Irakiens résidant à l’étranger et ceux qui sont dans les camps des déplacés. Trois gouvernorats détiennent le plus grand nombre de sièges au Parlement. Celui du grand Bagdad compte 72 sièges, suivie par Ninive avec 34 sièges et Bassora dans l’extrême sud du pays qui portera 25 députés au Parlement. Les Kurdes se disputent 45 sièges parlementaires dans les trois gouvernorats de la région du Kurdistan.

Réformer… avec les mêmes forces en place

Au vu du mercato d’alliances électorales entre les forces influentes, aucun changement substantiel n’est à prévoir. Les chiites, toutes dénominations confondues, demeurent les acteurs principaux de la vie politique, et devraient, sauf surprise, préserver leur avantage numérique à l’Assemblée. Ces forces sont toutefois traversées par des divergences religieuses — certaines ont en effet pour guide l’ayatollah Al-Sistani, tandis que d’autres suivent Bachir Al-Najafi, Moqtada Al-Sadr ou encore Ali Khamenei — ou politiques qui pourraient mettre à mal la formation d’un prochain gouvernement.

Le mouvement sadriste dirigé par le religieux Moqtada Sadr se trouve en tête des forces chiites et pourrait rafler le plus grand nombre de sièges en raison de l’adhésion d’un grand nombre de chiites, notamment issus des classes populaires, à la famille Sadr. Lors d’une réunion élargie dans son fief à Al-Koufa le 27 août 2021, Sadr avait appelé les principaux cadres de son parti à soutenir ce qu’il a appelé le « courant de la réforme »1.

Les sadristes, qui faisaient partie des forces armées ayant combattu les forces américaines et qui ont participé à tous les derniers gouvernements tout en brandissant le slogan de la réforme, espèrent former le plus grand bloc afin d’obtenir le poste de premier ministre. Pourtant, des suspicions de corruption ont entaché des membres du courant qui ont occupé des postes ministériels et administratifs, ainsi que des collaborateurs extérieurs qu’ils avaient nommés pour se donner l’image d’un mouvement ouvert et représentatif des diverses mouvances de la société irakienne.

Le mercato des alliances

La Coalition de l’État de droit dirigée par l’ancien premier ministre Nouri Al-Maliki (2008-2014) est l’autre alliance chiite principale, puisqu’elle regroupe entre autres les adhérents au parti Al-Daawa Al-islamiya, le plus ancien parti religieux en Irak. Mais le bilan de ses huit années au pouvoir ne joue pas en sa faveur, notamment le fait que l’organisation de l’État islamique (OEI) a pu prendre le contrôle d’un tiers du territoire ; sans oublier la propagation de la corruption et la dilapidation de près de 500 milliards de dollars (432,36 milliards d’euros) sur fond de dégradation des services publics, notamment dans les secteurs de l’électricité, du pétrole, de l’énergie, de l’agriculture et de l’industrie.

Quant à la coalition Al-Nasr dirigée par l’ancien premier ministre Haïdar Al-Abadi (2014-2018), lui-même ancien membre d’Al-Daawa, elle fera pour sa part alliance avec Tayyar Al-Hikma (Courant de la sagesse), dirigée par le religieux Ammar Al-Hakim.

Les Kurdes présentent pour leur part quatre listes, dont celles des deux principaux partis kurdes, à savoir le Parti démocratique du Kurdistan de Massoud Barzani, et l’Union patriotique du Kurdistan conduite par Qoubad Talabani, fils de l’ancien président Jalal Talabani (2005-2014).

Quant aux Arabes sunnites, ils entrent dans ces élections avec trois alliances principales : Azm (Détermination), dirigée par Cheikh Khamis Al-Khanjar, Takaddoum (Progrès) que dirige Mohamed Al-Halboussi, l’actuel président du Parlement et la coalition Lel Irak Mouttahidoune (Unis pour l’Irak) dirigée par Oussama Al-Noujaifi, l’ancien président du Parlement (2010-2014). Le Parti islamique, aile locale des Frères musulmans et dirigé par Rachid Al-Azzawi, a choisi de s’allier avec la coalition Al-Binaa que dirige Faleh Al-Fayyad, chef des Unités de mobilisation populaire (Al-Hachd Achaabi)2. En Irak, les Frères musulmans sont en effet proches des forces iraniennes puisque Al-Azzawi, dont la femme est iranienne, a vécu pendant plus de 20 ans chez le voisin perse et considère la révolution islamique conduite par Rouhollah Khomeiny comme un modèle à suivre.

Entorses à la constitution

Selon la Constitution irakienne de 2005, le Parlement est bicaméral, mais la deuxième chambre n’a jamais été mise en place et ses prérogatives ne sont, à ce jour, toujours pas déterminées. De même, cette Constitution est censée interdire la participation aux élections de toute entité disposant d’une aile militaire, ce qui n’empêche pas les unités de mobilisation populaire, très influentes en Irak, d’y prendre part sous des dénominations civiles, comme le rassemblement Hoqouq (Droits).

Ces factions armées avaient déjà réussi à renforcer leur présence au Parlement lors des élections de 2018, à coup de menaces et en recourant à des fraudes électorales. Elles ont également plus d’une fois représenté un défi à l’autorité de l’État, comme avec l’encerclement, à trois reprises, de la « zone verte »3 entre 2019 et 2021. Les Unités de mobilisation populaire ont même menacé de « couper les oreilles » du premier ministre Mustafa Al-Kazemi si jamais il touchait à leurs privilèges. Ce dernier avait en effet tenté d’inclure ces milices au sein des forces de sécurité et de contrôler leur financement, sans succès.

La tenue d’élections anticipées a été la réponse gouvernementale aux manifestations qui ont commencé en octobre 2019, et certaines listes dites indépendantes se réclament de ce qu’on appelle communément la « révolution d’octobre ». Il est cependant difficile de savoir si leurs membres ont réellement participé au mouvement de protestation.

Tous ces éléments font que l’on s’attend à une participation limitée à ces élections, les Irakiens ayant perdu l’espoir d’un véritable changement, qui apporterait les réformes économiques et politiques dont le pays a besoin après ces longues années de guerres et d’instabilité.

Mahmoud Khalaf Al-Tadrissi, professeur à la faculté de sciences politiques de l’Université de Bagdad, partage ce pessimisme :

Même si de nouvelles personnalités étaient élues au prochain Parlement, cela resterait insuffisant, car le fondement même du système politique en Irak est problématique. C’est un système hybride, qui mélange différents régimes politiques et se fonde sur la nécessité d’un consensus entre les différents blocs politiques. De fait, ces derniers procèdent à des alliances afin de préserver leur existence politique sans que cela aboutisse à la stabilité et la prospérité à laquelle aspire le peuple.

Al-Tadrissi s’attend même à ce que la situation empire après les élections si les chiites, majoritaires, échouent à constituer un bloc suffisamment large pour obtenir le poste de premier ministre, convoité par les différents partis et les représentants des autres confessions, même si la tradition veut que, depuis 2003, le premier ministre soit chiite, le président du Parlement arabe sunnite et le président de la République kurde.

1NDLR. Cette appellation fait référence aux signataires du « document de la réforme » publié en août 2021 et qui propose en 16 points une feuille de route pour sortir de la crise que connaît le pays. Le document a été signé par plusieurs leaders politiques irakiens, dont le chef kurde Massoud Barzani, l’ancien premier ministre Haïdar Al-Abadi et l’actuel président du Parlement irakien Mohamed Al-Halboussi.

2NDLR. Coalition paramilitaire majoritairement chiite, formée en 2014 à l’appel de l’ayatollah Al-Sistani pour se battre contre l’OEI.

3NDLR. Enclave hautement sécurisée où se trouvent entre autres les sièges du gouvernement et du parlement irakiens, ainsi que l’ambassade des États-Unis.

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