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Emmanuel Macron au Maroc. Tournant sur le Sahara occidental, aveuglement sur la Palestine

Après une période de froid entre Paris et Rabat, le président de la République française, dépeint jusque-là comme l’un des pires ennemis de la monarchie marocaine, est redevenu son meilleur allié. Lors de sa visite officielle au royaume, du 28 au 30 octobre, la question palestinienne a fait les frais du repositionnement de la France sur le Sahara occidental.

Je ne peux pas décrire cette image.
Rabat, 28 octobre 2024. Le président français Emmanuel Macron (2e droite) est accompagné par le roi du Maroc Mohamed VI (à droite), le prince héritier Moulay El Hassan (2e gauche), le prince Moulay Rachid (à gauche), et la princesse Lalla Khadija (en bas, à droite) lors d’un rassemblement à la résidence du roi.
Ludovic MARIN / AFP

C’était il y a un peu plus d’un an, le 21 septembre 2023. Le360.ma, un site marocain proche du Palais, connu pour ses articles diffamatoires, prêtait au président français Emmanuel Macron une soi-disant relation extra-conjugale homosexuelle, et s’interrogeait également sur « l’identité sexuelle » de Brigitte Macron1.

La crise entre Paris et Rabat avait commencé en juillet 2021, lorsqu’un consortium de médias internationaux a accusé les services secrets marocains d’avoir utilisé le logiciel israélien Pegasus pour espionner, entre autres téléphones portables, celui du président Macron. D’habitude bien huilées, les relations entre les deux pays entrent alors dans une période de froid polaire qui durera trois ans.

Les courtisans de Sa Majesté

Le 30 juillet 2024, il a suffi d’une petite phrase du président français soutenant « la souveraineté du Maroc » sur le Sahara occidental, dans le cadre d’un projet d’autonomie déjà proposé par le royaume, pour que l’ancien ennemi devienne l’invité de marque de la monarchie. Lors de sa visite d’État fin octobre, Emmanuel Macron a bénéficié de tout le faste dont le royaume est capable. Une délégation pléthorique de ministres, hommes d’affaires, intellectuels et personnalités médiatiques a accompagné le chef de l’État français. Parmi eux se trouvaient les éternels courtisans de Sa Majesté : l’humoriste Jamel Debbouze, la romancière Leila Slimani, l’inévitable Tahar Ben Jelloun, le philosophe Bernard-Henri Lévy ou encore Jack Lang, l’indéboulonnable président de l’Institut du monde arabe (IMA). Le roi, quant à lui, est apparu très affaibli physiquement, s’appuyant sur une canne et marchant difficilement, ce qui relancera pour la énième fois les spéculations sur son état de santé.

Si le revirement de position côté français a été considéré par les médias français et marocains comme une victoire diplomatique du monarque, son impact sur le dossier du Sahara occidental reste très limité. Et pour cause : c’est l’Organisation des Nations unies (ONU) qui en a la charge depuis 1991, et elle vient de prolonger d’un an le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation du référendum au Sahara occidental (Minurso). Conséquence : le statu quo se poursuit pour une période indéterminée.

En contrepartie, des contrats d’une valeur de 10 milliards d’euros ont été signés entre la France et l’État marocain2. Ces transactions étaient également un préalable financier pour tourner la page de l’épisode Pegasus, même si le royaume nie toujours son implication.

Ce deal n’est pas sans rappeler un autre, conclu 19 ans plutôt. Le 13 décembre 2005, lors d’une visite du roi Mohamed VI à Paris, ce dernier fait part à Jacques Chirac de son intérêt pour les avions de chasse français Mirage 2000. Mais deux ans plus tard, le monarque fait volte-face et opte pour les F-16 américains. Nicolas Sarkozy, devenu président de la République entre temps, voit rouge : il jure devant ses collaborateurs qu’il ne mettra « pas les pieds au Maroc » s’il n’y a pas de marchés à signer. Le 1er février 2010, il se rendra au royaume pour signer le marché du TGV Tanger-Casablanca (320 kilomètres en tout), accordé de gré à gré au groupe français Alstom, sans appel d’offres et sans passer par le Parlement marocain, comme l’exige la constitution du pays. Le contrat engage pourtant une dépense astronomique de l’État : 3 milliards d’euros payés par tranches sous forme de crédits.

Manifestations devant les consulats français

Capitalisant sur la normalisation du royaume avec Israël qui a eu lieu en décembre 2020, le président français aborde, lors de son discours au parlement marocain, l’actualité sanglante à Gaza. Avec celle du Sahara occidental, la question palestinienne est sans doute la cause la plus importante pour les Marocains. Chaque semaine, des milliers de personnes manifestent dans les grandes villes du pays en soutien à Gaza, mais aussi pour demander la fin de la normalisation des relations avec l’État d’Israël. Ignorant ou faisant fi de cette réalité politique et historique, le président français a réaffirmé devant les députés « le droit d’Israël à se défendre » et a déclaré :

Le 7 octobre 2023 a constitué une attaque d’une barbarie particulièrement atroce perpétuée par le Hamas contre Israël et son peuple. Et Israël a le droit de défendre son peuple contre une telle menace. La France y a perdu 48 de ses enfants, et deux de nos compatriotes comptent encore parmi les otages retenus à Gaza. Mais rien ne peut justifier pour autant le bilan humain désastreux à Gaza et la souffrance que connaissent les populations civiles. C’est pourquoi il faut un cessez-le-feu à Gaza.

Ces phrases ont suffi à déclencher de vives réactions tant de la part de certains partis politiques qu’au sein de la population, foncièrement hostile à la position de la France depuis le début de cette guerre. Quelques heures seulement après le discours de Macron, des centaines de Marocains ont manifesté devant le consulat de France à Tanger et à Chefchaouen, dans le nord du pays. À Casablanca, la plus grande ville du Maroc, les forces de l’ordre ont dispersé un important rassemblement devant la représentation consulaire française. Des slogans tels que « La France ennemie du peuple palestinien », « La résistance n’est pas du terrorisme », et « Macron est un menteur » étaient scandés par les manifestants en colère.

« Le Hamas, un mouvement de résistance »

Ces déclarations du président français viennent nourrir les critiques déjà vives de la société civile marocaine à l’encontre de Paris. Dans une lettre adressée au président français le 27 octobre, soit la veille de son arrivée au Maroc, l’Association marocaine des droits humains (AMDH), la plus importante ONG du pays, avait demandé à ce que la France « cesse de soutenir politiquement, militairement et au niveau du renseignement, l’entité sioniste qui pratique une politique d’extermination contre le peuple palestinien résistant ».

Mais la réaction la plus remarquée — et la plus opportuniste — reste celle des islamistes du Parti justice et développement (PJD), dont l’ancien chef, Saad Eddine El-Othmani, chef du gouvernement en 2020, avait lui-même signé les accords de normalisation entre Rabat et Tel-Aviv. Dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, le PJD exprime en effet son « grand étonnement » quant au discours du président français concernant « la guerre meurtrière que mène Israël à Gaza » :

Le Hamas, à l’instar du mouvement de libération nationale au Maroc, des Forces françaises libres, du Front de libération nationale en Algérie, et de tant de mouvements de libération de par le monde, est et reste un mouvement de résistance qui pratique le droit légitime reconnu par le droit international à tous les peuples de se défendre contre l’occupation et l’extermination.

De l’autre côté de l’échiquier politique, la Fédération de la gauche démocratique (opposition ultra-minoritaire au Parlement) considère pour sa part, dans un communiqué, que le discours d’Emmanuel Macron « révèle l’hypocrisie flagrante de l’État français, qui prétend défendre la démocratie et les droits de l’homme, alors qu’il continue de soutenir et d’armer l’entité sioniste qui pratique les formes les plus odieuses de terrorisme et de crimes contre le peuple palestinien ». Ainsi, le fossé qui sépare le pouvoir politique, très engagé dans le processus de normalisation avec Tel Aviv, et une partie conséquente de la société marocaine ne cesse de se creuser.

Cette visite a été par ailleurs assombrie par l’arrestation, le 29 octobre, du célèbre militant des droits humains et économiste Fouad Abdelmoumni, quelques minutes après le décollage de l’avion présidentiel vers Paris. Interpellé dans la rue à Temara, près de Rabat, alors qu’il s’apprêtait à monter dans sa voiture, Abdelmoumni est accusé de « signalement d’un crime notoirement fictif dont il sait l’inexistence » et « diffusion de nombreuses fausses informations », après avoir rappelé sur sa page Facebook que le Maroc, « un État chétif », est toujours impliqué dans l’affaire Pegasus. Placé en garde à vue à Casablanca, il est libéré deux jours plus tard après une forte mobilisation médiatique. Mais les poursuites n’ont pas été abandonnées et son téléphone portable a été confisqué.

1Tariq Qattab, «  « Un peu homme, un peu femme », mais il n’assume rien : qui est vraiment Emmanuel Macron  ?  » le360.ma, 21 septembre 2023.

2«  Visite d’Emmanuel Macron au Maroc : 10 milliards d’euros de contrats et plusieurs projets en vue  », JT de 20h, France 2, 29 octobre 2024.

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