Faezeh Hashemi. « Je ne voterai pas parce que les élections iraniennes ont été dévoyées »

En raison de ses critiques sévères à l’encontre du régime, la journaliste et militante des droits des femmes Faezeh Hashemi a été arrêtée à plusieurs reprises pour « propagande contre le régime ». À l’occasion de l’élection présidentielle du 18 juin pour laquelle elle s’est portée candidate — bien que les femmes ne puissent pas postuler —, elle nous a accordé un entretien.

Faeze Hashemi aux funérailles de son père Ali Akbar Hashemi Rafsandjani, le 10 janvier 2017 à Téhéran
Atta Kenare/AFP

Personnalité politique iranienne, militante et journaliste, Faezeh Hashemi est connue comme une réformiste. Fille de l’ancien président Ali Akbar Hashemi Rafsandjani, l’une des figures les plus importantes de la révolution iranienne, elle a été élue députée de Téhéran lors des élections législatives de 1996. Durant son mandat, elle s’est lancée dans la publication de Zen, un quotidien à l’intention des femmes. Le journal n’a pas tardé à être interdit.

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Adem Yilmaz. Vous avez déclaré que vous seriez candidate à l’élection présidentielle du 18 juin. Qu’attendez-vous de cette candidature symbolique ? Selon ce que l’on sait, l’abstention risque d’être très importante. Bien que vous ne puissiez être candidate, appellerez-vous le peuple à se rendre aux urnes ?

Faezeh Hashemi. En annonçant ma candidature, mon but était d’amener l’Assemblée des experts à préciser le terme « homme politique » que l’on trouve dans l’article 115 de la Constitution et à prendre position par rapport à la campagne d’une femme pour accéder à la présidence. En d’autres termes, il s’agissait de mettre à l’ordre du jour l’un des droits refusés aux femmes, celui d’être candidates à l’élection présidentielle.

Je n’ai l’intention ni de participer ni de voter aux élections. Et, je n’inviterai personne à voter.

A. Y. Sans doute les conservateurs seront-ils les vainqueurs de ces élections. Quelles conséquences en attendez-vous, tant en politique intérieure qu’en politique extérieure ?

F. H. Si les conservateurs ont tout le pouvoir, y compris la présidence, s’ils accordent de l’importance aux intérêts nationaux, aux droits humains, si la situation du peuple et du pays est une préoccupation importante pour eux, s’ils choisissent comme candidat à la présidence une personne raisonnable et sage, peut-être qu’ils peuvent prendre des mesures pour changer celles qui ont été prises et qui ne sont pas bonnes. Et, dans ce cas, leur mauvaise image et la situation du pays peuvent évoluer dans la bonne direction. La victoire des conservateurs ne peut avoir un effet positif que si la rationalité l’emporte et que les intérêts nationaux sont respectés.

A. Y. Vous avez été députée au Majlis1. Quel avis avez-vous sur le système institutionnel iranien et la répartition des pouvoirs en son sein ? Au vu de votre expérience de députée, pensez-vous que les élections sont le mode d’action le plus efficace pour faire aboutir des réformes ? L’ayatollah Rouhollah Khomeiny avait utilisé d’autres méthodes.

F. H. La Constitution iranienne a créé un cadre permettant l’émergence d’une dictature. Pour que la liberté et la République l’emportent, il est nécessaire qu’il y ait une décentralisation du pouvoir. Cependant, le système velayat-e faqih2 domine l’ensemble de notre Constitution. Toutes les institutions et organisations influentes, même celles basées sur des élections relèvent, d’une manière ou d’une autre, de ce système. Dans cette situation, les élections perdent leur sens et les défauts de la Constitution sont plus que jamais évidents. Actuellement, à cause de l’importance du pouvoir absolu et du système de nomination, les élections sont insuffisantes pour contribuer de façon décisive à la réalisation des réformes.

Les élections ne peuvent permettre de réaliser des réformes que si elles se tiennent librement, si les élus ont le pouvoir, la volonté de tenir leurs promesses et de mettre en œuvre les souhaits de leurs électeurs. Je ne voterai pas parce que, depuis des années, les élections iraniennes ont été dévoyées et sont un moyen de légitimer de mauvaises politiques et des pratiques opposées aux intérêts nationaux, aux droits humains et au développement du pays.

A. Y. L’an passé, vous avez sévèrement critiqué la manière dont le pays était gouverné et appelé le Guide suprême l’ayatollah Ali Khamenei à démissionner. Cette prise de position a-t-elle eu des conséquences personnelles ?

F. H. Dans cette interview, j’ai dit à Khamenei qu’il était la seule personne à pouvoir changer de politique et sauver le pays. Je n’ai pas demandé sa démission. Ce discours et bien d’autres ont été falsifiés par l’Organisation de protection du renseignement du corps des gardiens de la révolution islamique et ont déclenché une enquête du bureau du procureur. Environ dix mois plus tard, j’ai été convoquée au tribunal et un procès est en cours.

A. Y. Vous avez été emprisonnée de nombreuses fois à cause de vos opinions politiques. Les conditions de détention en Iran sont-elles compatibles avec le respect des droits humains ?

F. H. Je peux répondre oui pour l’endroit où j’ai été incarcérée, mais ces conditions ne sont pas identiques partout et pour tout le monde.

A. Y. Même si, dans la sphère privée, des assouplissements sont intervenus dans le port du voile, celui-ci reste obligatoire, et la police des mœurs continue à sévir. Soutenez-vous le mouvement des « mercredis blancs » pendant lequel des femmes protestent contre le port de celui-ci dans l’espace public ? Pensez-vous que l’opposition grandissante des femmes et d’une partie de la société civile permettra de mettre un terme à cette obligation ?

F. H. J’ai soutenu à plusieurs reprises le mouvement des « mercredis blancs ». C’est un mouvement juste et qui doit se poursuivre. Donc, je continuerai de le soutenir. Je pense que les mouvements et les manifestations citoyens sont efficaces à court ou à long terme pour faire entendre les demandes de la société, et en particulier celles des femmes. L’expression publique des revendications est nécessaire, car je crois que même les « réformistes » n’ont pas la volonté de faire des réformes.

A. Y. D’une manière générale quelle opinion avez-vous de la politique de l’Iran au Proche-Orient ? Comment évaluez-vous le rôle de l’Iran dans la guerre en Syrie ? Quels sont ses intérêts de puissance régionale dans ce conflit ? Pourquoi nombre d’Iraniens s’élèvent-ils contre l’aide apportée, par exemple, au Hezbollah libanais alors que votre pays est dans de grandes difficultés économiques ?

F. H. Notre politique étrangère en général et notre politique régionale en particulier ne sont pas compatibles avec nos intérêts nationaux, elles entravent le développement du pays, vont à l’encontre des objectifs de l’islam et de la révolution, et sont parfois contraires à la Constitution. Notre politique étrangère vise à protéger certaines personnes plutôt qu’à protéger les intérêts du pays, les droits des peuples et le développement de la société.

La Syrie et Bachar Al-Assad ont toujours soutenu l’Iran. L’Iran doit maintenir ses relations avec la Syrie. Mais le coût en est beaucoup trop élevé. Est-ce que la mort de plus de 500 000 personnes, le déplacement de millions d’autres, la destruction d’un pays et la persécution d’une nation peuvent être le prix de ce soutien ? Y a-t-il une différence entre un musulman et un musulman ? Si le meurtre et la persécution des Palestiniens sont condamnés — et ils doivent l’être —, la façon dont sont traités des musulmans syriens est-elle acceptable ?

Selon moi, les moyens utilisés ne se justifient pas par les objectifs poursuivis. Notre politique en Syrie n’est conforme à aucun principe. Ni à nos principes religieux ni à nos principes révolutionnaires.

A. Y. Pensez-vous que l’Iran va venir en aide aux talibans après le retrait des États-Unis de l’Afghanistan le 11 septembre ?

F. H. Je n’ai pas de réponse à cette question.

A. Y. Comment appréciez-vous les politiques conduites par l’État à l’égard des minorités ethniques et religieuses — plus particulièrement les Kurdes, les Baloutches et les Arabes ?

F. H. Notre traitement envers les minorités est inacceptable. Je ne les approuve en aucune façon. Ces discriminations violent les droits humains, les dogmes islamiques, la Constitution et témoignent de l’intense oppression exercée sur ces personnes. Malheureusement celle-ci s’exerce parfois dans le cadre de la loi. Nous devons donc changer les principes constitutionnels afin que cessent complètement toutes les discriminations envers ces ethnies.

1Assemblée consultative islamique. Elle constitue le parlement monocaméral de l’Iran.

2Principe théologique développé par les ayatollahs Rouhollah Khomeiny et Mohammad Sadeq Al-Sadr. Il confère aux religieux la primauté sur le pouvoir politique.

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