« C’est un cri adressé au monde pour témoigner de nos conditions de vie. » Sana M. était au rendez-vous, ce 7 mars, à l’entrée du camp de réfugiés de Qalandia. À ses côtés, plusieurs centaines de femmes, qui ont toutes répondu à l’appel de l’Union générale des femmes palestiniennes (General Union of Palestinian Women, GUPW). Cette organisation, créée au milieu des années 1960, tente de fédérer les femmes palestiniennes autour de plusieurs axes, allant de l’investissement politique et social à des revendications égalitaires et progressistes.
Alors qu’Ahed Tamimi1 incarne aux yeux du monde le nouveau visage de la résistance palestinienne, ces femmes revendiquent l’importance de leur parole : « Les voix féminines sont des voix puissantes. Le monde nous entend. Mais pour nous, Palestiniennes, il faudrait surtout que ceux qui tiennent et ceux qui commandent ces checkpoints nous entendent également », commente Sana M..
Dalal Salama, elle, est l’une des porte-voix du GUPW et par ailleurs membre du comité central du Fatah. Elle prône l’unité, loin des clivages qui divisent la société : « Nous organisons cet événement sous l’égide du GUPW. Nous sommes un regroupement de femmes issues de différents partis politiques, et d’institutions. Mais il n’y a pas de place aujourd’hui pour les couleurs de nos différentes organisations. Seul le drapeau palestinien compte. Seuls nos messages comptent ».
Un contexte explosif
Alors que Wasel Abou Youssef, un responsable de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), annonçait ce 7 mars la tenue d’une session du Conseil national palestinien (CNP) pour le mois d’avril prochain, la situation ne semble guère propice à l’optimisme pour les Palestiniennes et les Palestiniens. La reconnaissance par Donald Trump de Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël intervient dans un contexte de désespoir presque généralisé. Pour Leila L., il est cependant impossible de se résoudre à accepter cela : « Cette décision de Donald Trump viole toutes les lois internationales. C’est inacceptable. Comment peut-on envisager cela ? M. Trump, vous pouvez donner au gouvernement israélien Miami, Los Angeles, ou même Washington, mais pas Jérusalem. Nos familles y vivaient depuis des milliers d’années. Cette terre est la nôtre. On nous vole déjà nos terres ici, vous ne pouvez pas nous voler Jérusalem ! »
Pour Sana M., les dangers de la politique américaine ne se limitent pas au statut de Jérusalem : « Nous ne devons pas oublier non plus de dénoncer les coupes budgétaires faites par les Américains à l’UNRWA2. Nous sommes ici devant une école administrée par l’agence, que va-t-elle devenir ? Que vont devenir tous ces gens qui vivent encore dans des camps ? C’est un désastre. L’UNRWA, c’est une question de survie pour tous ». Jusqu’alors principaux bailleurs de fonds de l’organisation onusienne, les États-Unis ont annoncé une réduction pour le moins drastique de leur contribution annuelle, en amputant leur financement de près de 300 millions de dollars. Si Donald Trump entend ainsi réclamer davantage de transparence au sein de l’agence, il place néanmoins assez cyniquement le sort des 5 millions de personnes dépendant de l’UNRWA en suspens. L’Autorité palestinienne (AP), qui refuse pour le moment de reprendre des négociations de paix pilotées par les États-Unis qu’ils jugent « totalement discrédités », se retrouve ainsi dans une situation pour le moins embarrassante.
Bloquées au checkpoint
Au cœur du cortège, quelques hommes ont pris place. Mais cette manifestation reste très majoritairement féminine. « Nous sommes venues de toute la Palestine, de Jérusalem, de Naplouse, de Ramallah… Moi, je suis étudiante, mais il y a aussi des travailleuses. Nous sommes toutes mobilisées pour faire entendre nos voix, cela ne peut plus durer ! », clame l’une d’entre elles.
Le cortège descend énergiquement l’artère qui mène au checkpoint de Qalandia. Le matin même, des scènes tristement récurrentes s’y sont encore déroulées. Devant ce que les Palestiniens considéraient comme une volonté manifeste de blocage de la part des soldats israéliens, les files d’attente de travailleurs palestiniens disposant d’un permis pour entrer à Jérusalem éclatèrent, laissant place à un chaos qui ne cessera qu’après neuf heures du matin. Dans la cohue, un homme pris de malaise devra être transporté à l’hôpital.
À 200 mètres du checkpoint, les premières grenades lacrymogènes tombent du ciel, tirées depuis les miradors. Une fumée épaisse envahit alors les yeux des manifestantes. Quelques jeunes garçons du camp, équipés de masques à gaz, renvoient les grenades. Sana M. enrage : « C’est une manifestation pacifique. Nous l’avions annoncée. Nous voulions aller symboliquement du camp de réfugiés au checkpoint. Nous sommes attaqués, une fois de plus. Qu’avons-nous fait de mal ? »
Une petite soixantaine de personnes arrive malgré tout à se rapprocher au plus près du point de contrôle, et entame des chants au goût de vengeance. « Chaque année c’est pareil. Nous sommes pacifiques, nous ne faisons de mal à personne, et nous sommes lâchement attaqués par des militaires que l’on ne voit même pas. Et puis, nous sommes encore ici chez nous, non ? » déclare une Palestinienne incommodée par les gaz.
Toutes et tous font désormais face à plusieurs soldats camouflés dans une tour. Un canon de fusil dépasse de la tourelle d’un mirador. Quelques jeunes garçons provoquent les militaires, pendant que les femmes palestiniennes hurlent leurs messages : « Al-Qods est palestinien, Al-Qods est arabe, la Palestine est arabe ».
Le combat continue
Sur le chemin de retour, ces femmes ne décolèrent pas. Leila L. continue de brandir ses pancartes, et de donner de la voix : « Ils pensent que les gaz lacrymogènes nous font fuir, et que nous allons rentrer chez nous. Mais nos messages, nous les portons partout. Et ils sont portés partout dans le monde ». Une étudiante s’insurge : « Partout dans le monde, les femmes sont à l’honneur. Ici, nous sommes réprimées ».
La porte-voix du GUPW Dalal Salama n’est cependant pas surprise par l’attaque des soldats israéliens, et rappelle que le même scénario se produit chaque année. Malgré cela, elle est satisfaite de la mobilisation : « Dans le monde entier, les femmes célèbrent cette date du 8 mars, et demandent que leurs droits soient respectés. Nous aussi, les femmes palestiniennes, nous devons protester. Nous devons continuer de nous battre pour nos droits et pour notre liberté. Nous allons continuer notre combat contre l’occupation. C’est notre message, et c’est aussi notre vœu le plus cher. »
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1NDLR. Ahed Tamimi, 17 ans, est une jeune militante palestinienne. Le 15 décembre 2017, à Nabi Salih, elle gifle un soldat israélien. La scène est filmée puis diffusée rapidement dans les médias. Elle est arrêtée le 19 décembre 2017 et incarcérée (ainsi que sa mère Nariman et sa cousine Nour). Le tribunal militaire devant lequel elle comparait dès le lendemain de son arrestation retient douze chefs d’inculpation contre elle. Elle encourt jusqu’à 7 ans de prison. La première audience de son procès, le 13 février à Ofer s’est tenu à huis clos. La deuxième audience aura lieu le 11 mars 2018.
2NDLR. Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East , UNRWA)