Élections législatives partielles

France-Israël. Un match nul Meyer Habib-Deborah Abisror, et quelques surprises

Contre le député sortant Meyer Habib invalidé, le parti macroniste Renaissance présente Deborah Abisror-de Lieme dans la 8e circonscription des Français de l’étranger (qui comprend notamment Israël, l’Italie, la Grèce, la Turquie et les territoires palestiniens). Ces deux inconditionnels d’Israël chantent la même chanson et ignorent la crise politique de ce pays. Candidate-surprise, Yael Lerer, soutenue par la Nupes, pourrait les renvoyer dans les cordes. Début du vote en ligne dès le 24 mars 2023.

Deborah Abisror-de Lieme (capture vidéo Tandem TV) et Meyer Habib (Jacques Demarthon/AFP)

Ils s’insultent à qui mieux mieux sur l’antenne d’I24News, la chaîne pro-israélienne de Patrick Drahi, se traitant réciproquement de « menteur » et de « mythomane », faisant monter au front leurs avocats respectifs pour des procédures en diffamation à l’issue incertaine. Protagonistes d’une bataille électorale aux enjeux certes mineurs au regard de la tempête parlementaire en France sur l’avenir des retraites, Deborah Abisror-de Lieme (Renaissance) et Meyer Habib (soutenu par Les Républicains), qui vont s’affronter dans les urnes à partir de ce 24 mars 2023 pour une élection partielle dans la 8e circonscription des Français de l’étranger1 ont pourtant bien des points communs. À commencer par leur « amour d’Israël » qu’ils proclament à tour de rôle sur la même chaîne de télé et à qui veut bien les écouter.

Deborah Abisror-de Lieme parlait même il y a quelques semaines de « magnifique démocratie » à propos d’Israël, et n’a pas eu un mot depuis plus de deux mois pour évoquer les centaines de milliers de personnes qui manifestent chaque semaine — pour la onzième semaine consécutive samedi 18 mars — à Tel-Aviv et dans de nombreuses villes pour s’inquiéter de l’avenir de ce pays « formidable », « extraordinaire », « merveilleux »2.

On croirait entendre Meyer Habib. Nulle pique polémique dans ce propos : « On est entièrement d’accord sur la position de Jérusalem comme capitale, vous et moi », lance Deborah Abisror-de Lieme à Meyer Habib, à l’encontre de la position officielle du gouvernement français. Pas plus que sa rivale, Meyer Habib n’a eu un mot pour évoquer les manifestants de Tel-Aviv et d’ailleurs, très remontés contre les projets de réforme judiciaire de Benyamin Nétanyahou et de ses allés d’extrême droite.

Deux candidats en quête de désaccord

Car Meyer Habib, 62 ans, député sortant, est un proche ami du premier ministre israélien et ne manque jamais une occasion de chanter ses louanges. Ses collègues de l’Assemblée l’ont surnommé non sans malice le député du Likoud. Mais la chance semble tourner. S’il est toujours reçu par Emmanuel Macron à Paris et Giorgia Meloni à Rome, Nétanyahou est boudé à Washington.

Pire encore pour Habib, son élection en 2022 a été invalidée par le Conseil constitutionnel pour un certain nombre d’irrégularités électorales, notamment des messages appelant à voter pour le candidat le jour même du scrutin. Habib est par ailleurs visé par une enquête pour détournement de fonds publics, à la suite d’un signalement de Tracfin, les enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) soupçonnant des irrégularités dans la rémunération de ses collaborateurs parlementaires.

Habib sent désormais le soufre face à Deborah Abisror-de Lieme, 37 ans, une pousse de la Macronie. Ancienne du cabinet du ministre de la santé Olivier Véran, elle est secrétaire générale du groupe Renaissance à l’Assemblée nationale, présidée par Aurore Bergé, avec qui elle partage une passion affichée pour Israël, Bergé étant présidente du groupe d’amitié France-Israël. Ancienne dirigeante de l’European Union of Jewish Students (EUJS), elle a vécu un temps en Israël, et y revient fréquemment. En janvier 2023, elle y accompagnait un voyage de quinze députés Renaissance organisé par Elnet France. « On se bat au quotidien en France pour montrer ce qu’est Israël », explique Deborah Abisror-de Lieme, mais elle ne voit pas les fractures d’une société où beaucoup, y compris au sommet de l’État et de l’armée, s’inquiètent de risques de guerre civile. Pendant qu’ils sonnent le tocsin, elle entonne l’angélus…

Yael Lerer, le joker de la Nupes

Face à ce duo ventriloque, Yael Lerer, 56 ans, venue de la gauche israélienne, a proposé sa « contre-candidature » pour sortir de ce match politiquement nul et a été suivie par la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes)3. Pour le coup, contrairement à ses rivaux, elle n’est ni sourde ni aveugle sur la situation en Israël et en Palestine. Yael Lerer s’oppose « clairement au nouveau gouvernement de coalition d’extrême droite en Israël et à l’escalade du conflit israélo-palestinien » et entend également « défendre les acquis démocratiques en Turquie qui sont menacés » et se battre « contre l’extrême droite italienne ».

Fondatrice des éditions Andalus à Tel-Aviv, qui publiait en hébreu des classiques arabes, elle sait que l’élection ne se joue pas qu’en Israël, mais aussi dans les autres pays de la circonscription électorale, et en particulier en Italie. Le match retour est loin d’être plié, d’autant que Meyer Habib n’avait devancé Deborah Abisror au second tour en 2022 que de 193 voix. Dans une élection où l’abstention est massive — 86,07 % en 2022 —, il suffit de quelques dizaines de voix pour que Lerer soit en mesure de battre et le sortant et sa rivale théorique. Au premier tour, toujours en 2022, la candidate de gauche avait obtenu 18 % des suffrages, contre un peu moins de 30 % pour les deux challengers du second tour.

« D’inacceptables violences »

Dans le cadre de cette élection, il est désolant de constater que Habib comme Abisror gardent un silence lamentable sur la dérive du gouvernement israélien actuel. C’est d’autant plus frappant qu’une partie de la communauté juive française commence sérieusement à s’inquiéter de l’extrême droite au pouvoir en Israël et de ses projets liberticides.

Depuis juin 2022, Yonathan Arfi préside les destinées du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et vient dans un éditorial peu remarqué, publié le 13 mars 2023, de donner une inflexion notable au soutien inconditionnel que le CRIF apporte à Israël, contre vents et marées, depuis plus de deux décennies. La démocratie, écrit Yonathan Arfi,

s’affaiblit lorsque l’État de droit est débordé par une minorité lors des inacceptables violences à Hawara en vengeance de l’attentat commis quelques heures plus tôt. Quels que soient le deuil et la colère, ces émeutes ont été une atteinte insupportable à la fois aux principes démocratiques et aux valeurs juives. Elle s’affaiblit aussi lorsque surgissent des discours populistes, stigmatisants et haineux dans le débat public israélien, et ce jusque dans les propos de certains ministres en poste. Ils ne sont acceptables dans aucune démocratie.

Un dirigeant communautaire, qui préfère rester anonyme, salue la position nouvelle du président du CRIF en m’expliquant « qu’on ne peut pas être monté au front contre [Marine] Le Pen et [Éric] Zemmour l’an dernier et rester silencieux face à [Bezalel] Smotrich qui est fondamentalement un raciste de la pire espèce ». Le même responsable constate que depuis plusieurs années, une bonne partie de l’opinion juive française « préfère se tenir à l’écart » d’Israël, « contrairement aux communautés nord-américaines, devenues souvent critiques ». L’inquiétude de Yonathan Arfi rejoint celle de plusieurs personnalités influentes du judaïsme français, comme l’avocat Patrick Klugman ou la rabbine Delphine Horvilleur pour qui

non, l’État juif n’a pas gagné contre l’État démocratique… pour la simple et bonne raison que l’un et l’autre sont les immenses perdants du virage actuel. Le judaïsme fait aujourd’hui l’objet d’un kidnapping idéologique, au nom de certitudes messianico-nationalistes qui l’amputent d’une partie de lui-même, de ce qu’il a pu être et ce qu’il pourrait encore dire…

« Pas d’alya vers une dictature »

Plus significatif encore de nouvelles fractures parmi les juifs français, un groupe de personnes ont interrompu à Paris le discours d’Ofir Sofer, ministre israélien de l’intégration, au salon de l’alya dimanche 12 mars 2023 aux cris de « On ne fait pas son alya vers une dictature ». Ils ont été évacués manu militari par les gros bras de la sécurité, mais le ministre a également été exfiltré et n’a pas pu terminer son discours. Secrétaire général du parti d’extrême droite HaTzionout HaDatit, Ofir Sofer est un proche de Bezalel Smotrich, l’actuel ministre des finances, à qui Nétanyahou a donné la responsabilité des colonies, et partage avec lui racisme et homophobie.

Deborah Abisror-de Lieme n’y voit pourtant rien à redire. Bien que travaillant au cœur du parti présidentiel, elle est en désaccord avec sa politique internationale. Certes l’officielle, pas l’officieuse. Pour faire évoluer aux Nations unies la politique de la France sur la Palestine dans un sens plus favorable à Israël, elle assure : « J’irai tous les jours au ministère des affaires étrangères pour demander que le vote de la France change. Je ne lâcherai rien, je suis pugnace ».

Sur le harcèlement du Quai d’Orsay, elle a tout appris de Meyer Habib.

1Cette circonscription comprend par ordre d’importance en nombre d’inscrits : Israël et les territoires palestiniens, l’Italie, la Turquie, la Grèce, Malte, Chypre, Saint-Marin et le Vatican. Le vote par Internet pour le premier tour se déroule du 24 au 29 mars 2023, et dans des bureaux (notamment dans les consulats) le 2 avril.

2Contactée par Orient XXI, Deborah Abisror-de Lieme ne nous a pas répondu.

3Coalition composée du Parti communiste français (PCF), du Parti socialiste (PS), de la France insoumise (LFI), Générations et Europe écologie les Verts (EELV.

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