Gaza. Pour en finir avec la « guerre contre le terrorisme »

Alors qu’Israël intensifie son offensive génocidaire à Gaza, la thèse de la légitime défense paraît désormais totalement éculée. En revanche, l’argument de la « guerre contre le terrorisme » pèse toujours en s’appuyant sur la désignation du Hamas comme groupe terroriste par les États-Unis et l’Union européenne. Qu’en est-il au regard du droit international ?

Scène tragique montrant des personnes en deuil près de corps sur une terre désertique.
Abed Abedi, Expulsion from the Homeland, 1967
©[Abed Abedi6>https://abedabdi.com/]

L’argument israélien de la « guerre contre le terrorisme » continue en France de limiter la liberté d’expression, comme en témoignent les poursuites engagées pour « apologie du terrorisme ». Il permet aussi de restreindre, en plein génocide, le soutien matériel à la population de Gaza, par les atteintes portées à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et à l’activité des ONG1. Il pèse enfin sur les perspectives de règlement immédiat ou lointain de la situation. Il est temps de l’examiner de manière dépassionnée.

Le Hamas, tout comme le Hezbollah, figure sur les listes terroristes des États-Unis et de l’Union européenne, mais pas sur celles des Nations unies. La caractérisation de ces mouvements comme terroristes n’est pas universelle, ce qui est peu connu. Les sanctions financières qui leur sont infligées ne relèvent pas du conseil de sécurité des Nations unies, mais d’États, agissant individuellement ou régionalement, sans validation internationale. Or ces sanctions sont venues toucher à Gaza le peuple palestinien ayant, au regard des normes issues des Nations unies, le droit de disposer de lui-même. C’est pourquoi le rapporteur spécial John Dugard soulignait dès 2007 le caractère inédit de la situation : « Le fait est que le peuple palestinien est soumis à des sanctions économiques, premier exemple d’un tel traitement à l’égard d’un peuple occupé. Cela est difficile à comprendre2. »

Les recours aux juges nationaux et européens

Au mois d’avril 2025, les responsables politiques du Hamas annonçaient agir en justice devant les juridictions britanniques afin de contester l’inscription de leur mouvement sur la liste des organisations terroristes de cet État. Ce n’est pas la première fois que le mouvement recourt aux juges occidentaux. Un contentieux s’est ainsi noué devant les juridictions de l’Union européenne, qui ont d’abord, en 2014 puis en 2019, annulé la décision européenne — qui se basait sur des sources américaines et britanniques — inscrivant le Hamas sur la liste des organisations terroristes. Cette inscription a finalement été confirmée en 2021, mais cette séquence judiciaire a révélé de nombreuses ambiguïtés.

Elle s’inscrit dans un contentieux plus ample, où des groupes en lutte contre des autorités étatiques affirment, devant le juge de l’Union européenne, leur statut de mouvement de libération nationale. Ces groupes soulignent parfois les contradictions entre, d’une part, le droit occidental relatif au terrorisme, qui permet de les sanctionner financièrement et d’autre part, le droit international des peuples à disposer d’eux-mêmes et ses prolongements dans le droit international de la guerre. Ces contradictions prospèrent alors que la Cour de Justice de l’Union européenne elle-même a considéré, dans des affaires relatives au Sahara Occidental que « le principe d’autodétermination » est « un des principes essentiels du droit international » (arrêt du 21 décembre 2016)3.

Israël et l’Occident contre le Hamas

L’histoire est bien connue. La victoire électorale du Hamas aux élections organisées dans le territoire palestinien occupé en 2006 et l’exercice par ce mouvement d’un pouvoir gouvernemental a permis à Israël de déclarer la bande de Gaza « entité hostile » en 2007. Elle a conduit les États occidentaux à soutenir un blocus que les Nations unies ont parfois décrit comme une « punition collective » prohibée par le droit international, voire comme un crime contre l’humanité4.

Depuis le 7 octobre 2023, la diabolisation s’est accentuée dans les discours israéliens. Celle-ci a permis de convoquer le mythe d’une guerre de civilisation contre la barbarie et de justifier les opérations génocidaires à Gaza. Les « terroristes génocidaires » et « impitoyables nazis dénoncés en octobre 2023 par Guilad Erdan, le représentant d’Israël au Conseil de sécurité des Nations unies, sont d’abord les combattants palestiniens, qu’il conviendrait d’éradiquer. Or, dans le droit international de la guerre, l’éradication de l’ennemi n’est pas un objectif juridiquement admis. À l’inverse, constitue déjà un crime de guerre le simple fait de « déclarer qu’il ne sera pas fait de quartier »5.

Par-delà les combattants, la diabolisation par la désignation terroriste s’étend aussi à l’ensemble du pouvoir civil de Gaza. C’est ainsi qu’Israël trouve parfaitement légitime de décrire, par exemple, les acteurs du système hospitalier comme terroristes, et qu’il cible des agents civils ne relevant pas de l’organisation militaire du Hamas. Et, finalement, c’est l’ensemble de la population de Gaza qui relève du terrorisme, car, toujours selon Guilad Erdan, ce sont bien les civils « qui ont élu les meurtriers du Hamas, qui ressemble tant à Daech6 ». De proche en proche, Israël inscrit les familles palestiniennes dans des lignées criminelles. Dans son rapport du 13 mars 2025, la Commission internationale indépendante de l’ONU relève ces propos significatifs du général Giora Eiland :

Après tout, qui sont les femmes âgées de Gaza — les mères et les grand-mères des combattants du Hamas qui ont commis les crimes horribles du 7 octobre. Dans cette situation, comment peut-on même parler de considérations humanitaires (…)7

Cette diabolisation continue d’être relayée dans le monde occidental. De nombreux acteurs européens exigent, pour l’avenir, que le Hamas renonce au pouvoir à Gaza (ce qu’il affirme accepter), mais également qu’il rende les armes. Ceci s’avère problématique, en l’absence de protection internationale de la population de Gaza contre les bombardements et le siège israéliens. Cette exigence de désarmement est difficilement concevable en situation génocidaire, ainsi que le démontre le précédent de Srebrenica où plus de 8 000 hommes désarmés ont été exécutés en juillet 1995.

Les positions des hauts responsables de l’ONU

Les discours onusiens eux-mêmes laissent souvent perplexes. S’agissant de la période du récent cessez-le-feu (19 janvier — 18 mars 2025), où des échanges de prisonniers ont eu lieu, la condamnation par le secrétaire général de l’ONU des cérémonies organisées par les groupes armés palestiniens restituant dans des cercueils les corps des otages décédés peut surprendre.

Car les Nations unies, par leurs représentants officiels, ne se sont pas exprimées sur les tortures inédites infligées aux Palestiniens enlevés à Gaza et libérés dans cette même période ; pas plus que sur l’interdiction d’expressions de joie imposée par Israël aux détenus libérés et à leurs proches en Cisjordanie. Or, ces violations du droit international sont beaucoup plus marquantes. Elles émanent, d’une part, d’un État bien structuré dont les prisons ne devraient pas devenir des lieux de torture, incluant des sévices sexuels. Elles révèlent, d’autre part, une volonté délibérée d’humilier et de détruire. La seule condamnation du comportement des groupes armés palestiniens dans ce processus d’échange de prisonniers prévu par l’accord de cessez-le-feu procède donc d’une stigmatisation univoque.

De même, après la violation du cessez-le-feu par Israël et les États-Unis et leur annonce commune du retour à un siège total, il est toujours question, dans le discours onusien et européen d’exiger la « libération inconditionnelle » des otages, sans référence au respect des accords conclus, principe fondamental en droit international. Or l’accord de cessez-le-feu de janvier 2025 reprend celui acquis en juillet 2024 qui a été officiellement soutenu par le conseil de sécurité (résolution 2735 du 10 juin 2024), à la demande même des États-Unis. Il est basé sur l’échange de prisonniers, le retrait de l’armée israélienne de Gaza, et la fin du siège. En conséquence, exiger une « libération inconditionnelle » c’est s’associer au discours israélien accompagnant sa violation et renoncer à considérer le Hamas comme un acteur politique. C’est encore l’un des effets de sa caractérisation comme entité terroriste, bien que celle-ci ne soit pas avalisée par les Nations unies : il est disqualifié et toujours relégué dans le champ de la criminalité. C’est encore l’un des effets de la caractérisation d’une entité comme terroriste : le groupe terroriste n’est pas un interlocuteur admis, il est, sauf exception utile, disqualifié et finalement toujours relégué dans le champ de la criminalité8.

La nature du conflit

Les juridictions internationales qui ont rendu, pendant l’année 2024, des décisions ou avis relatifs à Gaza n’ont jamais employé le terme « terroriste » pour décrire le Hamas. La Cour internationale de justice (CIJ) parle, dans ses ordonnances des « groupes armés ». Les juges de la Cour pénale internationale (CPI), dans les mandats d’arrêt visant les responsables israéliens du 21 novembre 2024, emploient les mêmes termes. Pourtant, la manière dont la CPI qualifie juridiquement le conflit pose problème : elle estime être en présence d’un conflit international opposant Israël à la Palestine, mais aussi d’un conflit interne entre Israël et le Hamas. Cette description juridique décompose artificiellement le conflit et omet d’interroger le statut du Hamas au regard du droit international de la guerre, un droit qui ne reconnaît pas la notion de « mouvement ou groupe terroriste ».

Depuis 1949, ce droit admet en revanche que, dans une situation d’occupation, des « mouvements de résistance organisés » puissent être assimilés à des combattants étatiques (article 4 § 2 de la IIIe Convention de Genève). Ultérieurement, suite aux conflits de décolonisation, le droit de la guerre a également élevé les mouvements de libération nationale au statut de combattants étatiques (Premier protocole additionnel aux Conventions de Genève, 1977, article 1 § 4). Ceci signifie que ces combattants doivent, s’ils sont mis hors de combat, relever du statut de prisonniers de guerre. Ils peuvent être poursuivis pénalement pour les crimes de guerre, mais ne peuvent l’être, comme dans un conflit interne, pour le simple fait d’avoir combattu.

S’il est encore estimé que le protocole additionnel I ne peut faire référence dans le territoire palestinien occupé puisqu’Israël ne l’a pas ratifié (cet argument devrait être dépassé par le recours au droit coutumier qui s’impose aux États, même s’ils n’ont pas ratifié des traités, il est en revanche impossible de ne pas se référer aux conventions de Genève que les Nations unies, et la CIJ elle-même estiment applicables). Dans ce cas, il est difficile de ne pas voir dans les groupes armés palestiniens des « mouvements de résistance organisés », assimilables à une armée étatique, et dans le conflit entre Israël et le Hamas, un conflit international9. Le choix de qualifier ce conflit comme interne renvoie à la manière dont les puissances coloniales présentaient les conflits de décolonisation, avant que le travail de l’Assemblée générale des Nations unies ne permette de rejeter l’idée que ces conflits relevaient des « affaires intérieures » de l’État colonial.

Des groupes armés palestiniens et de l’autodétermination

Dans cette période des années 1960-1970, les règles posées par l’Assemblée générale des Nations Unies s’agissant du droit des peuples colonisés à disposer d’eux-mêmes affirment clairement le droit de résister à l’oppression, y compris par la lutte armée10. C’est d’ailleurs ce qui a inspiré l’adoption du premier protocole additionnel aux Conventions de Genève. S’agissant du peuple palestinien, ce droit a été régulièrement soutenu.

Le renoncement de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à la lutte armée dans le contexte des accords d’Oslo a conduit les Nations unies à atténuer leurs positions, pour soutenir la solution à deux États et des négociations dont on pensait qu’elles permettraient d’y accéder. Mais depuis, la situation juridique a profondément évolué. Dans son avis du 19 juillet 2024, la CIJ a refusé de prendre en compte les accords d’Oslo pour évaluer la licéité de l’occupation du territoire palestinien. Prendre en compte ces accords aurait conduit à examiner le rôle de l’Autorité palestinienne dans cette occupation et, surtout, à reconnaître l’existence d’un processus de paix toujours en cours. L’effacement des accords d’Oslo dans le droit international applicable, tout comme l’insistance de la CIJ sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a certainement des conséquences sur le statut international de la lutte armée contre l’occupation israélienne. La situation juridique a aussi évolué en ce sens que la reconnaissance de la nature génocidaire de l’offensive israélienne à Gaza pose elle aussi la question de la résistance armée émanant du peuple ciblé par cette entreprise.

La caractérisation des groupes armés palestiniens comme terroristes dans le monde occidental devrait donc être urgemment repensée au titre du droit des peuples, et au titre de la protection face à une offensive génocidaire. Dans la période historique de la décolonisation, en l’absence de solution politique, la lutte armée des peuples dominés était considérée comme un droit, un droit auquel les États tiers ne pouvaient faire obstacle. Face au déni israélien de toute solution politique d’émancipation, ce droit est toujours à l’œuvre. Il l’est encore davantage lorsque l’oppression prend une forme génocidaire sans que le peuple ciblé ne soit internationalement protégé.

Plus largement, s’agissant des solutions à apporter au conflit, il faut souligner que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes intègre, en premier lieu, une composante politique. Pour la CIJ, il s’agit d’un « élément clé » : le droit de « déterminer librement leur statut politique et d’assurer librement leur développement économique, social et culturel » (Avis du 19 juillet 2024, § 241). C’est donc au peuple palestinien lui-même de déterminer qui doit le représenter. Les États devraient favoriser cette autodétermination, dans le cadre du droit international applicable. Ils devraient se garder d’ostraciser, en relayant par là le discours israélien, un mouvement qui, après avoir été élu, a exercé et exerce toujours des fonctions gouvernementales à Gaza. Car, comme le souligne la CIJ, « l’existence du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ne saurait être soumise à conditions par la puissance occupante, étant donné qu’il s’agit d’un droit inaliénable » (même avis, § 257).

1Puisque les comptes bancaires de certaines associations sont bloqués  ; voir la question posée au gouvernement français par la sénatrice Raymonde Poncet Monge

2Rapport du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, John Dugard, A/HRC/4/17, § 54.

3Lire Rafaëlle Maison, «  Le terrorisme en temps de guerre : raisons et échec d’une conciliation normative  », Revue des affaires européennes, 2017, pp. 149-158.

4Rapport de la mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations unies sur le conflit à Gaza, A/HRC/12/48, 2009, §§ 1331 et 1335.

5Article 8 § 2 b) xii et e) x) du Statut de Rome créant la Cour pénale internationale (CPI).

6Conseil de sécurité, procès-verbal de la séance du 16 octobre 2023, S/PV.9439, p. 11.

7Commission internationale indépendante, Rapport du 13 mars 2025, A/HRC/58/CRP.6, § 37 (notre traduction de l’anglais).

8Rafaëlle Maison, «  Le nom de l’ennemi. Quand les logiques de guerre transforment le droit commun  », Les Temps Modernes, 2016/3, pp. 20-35.

9John Quigley, «  Karim Khan’s Dubious Characterization of the Gaza Hostilities  », Blog Ejil : Talk  !, 28 mai 2024.

10Comme le rappelle la résolution 3103 de l’assemblée générale du 12 décembre 1973, A/RES/3103.

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