Hirak. Le bâton, seule réponse du pouvoir marocain

Les lourdes condamnations qui ont frappé les dirigeants du Hirak le confirment, le pouvoir marocain refuse d’entendre les revendications populaires. Il ne connaît qu’une réponse aux aspirations sociales et démocratiques : la répression.

Manifestation à Al Hoceima, 2017.
Mohamed Mouha

Article 1. Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Déclaration universelle des droits de l’homme

Rien au monde
Ne pourra t’obliger
à plier genou
renoncer
à ton identité humaine
Ne mesure pas ta force
A la balance de tes bourreaux

Abdellatif Laâbi, In Praise of Defeat, First Archipelago Books edition, 2016 (édition bilingue).

En septembre 2017, après l’arrestation d’un certain nombre de manifestants du mouvement Hirak par l’Etat marocain, le comité éditorial du New York Times a publié un article intitulé « Morocco’s Refusal to Listen ». Maintenant que de lourds verdicts sont tombés sur les manifestants, le gouvernement a sans surprise prouvé qu’il était sourd à la voix du peuple. Mais ce qui est également démontré sans l’ombre d’un doute, c’est que le peuple refuse de plier le genou. Le pouvoir est entré dans une relation d’affrontement avec lui. D’un côté, il y a les autorités traditionnelles qui possèdent les richesses du pays et qui règnent par l’autocratie. Et de l’autre, il y a les gens qui en ont assez d’être enfermés pour avoir parlé et qui expérimentent maintenant des types de mouvement sans leader sur Internet. Ils ne font plus confiance à l’État.

« Ont-ils tué Kennedy ? »

Imaginez que vous élevez collectivement la voix pour demander un avenir meilleur et que la réponse, ce sont trois siècles de prison accumulés. Vous assistez à votre premier procès. Les procureurs vous accusent d’avoir miné la sécurité intérieure de l’État, ce qui justifie votre incarcération à vie. Vous vous défendez en disant que vous voulez simplement un emploi, un hôpital, une université, la fin de l’omniprésence de la police et de ses informateurs dans votre région. Vous affirmez que votre protestation pacifique pour la réalisation de ces revendications légitimes est un droit constitutionnel. Le procès se répète 84 fois pendant une période de neuf mois et trois jours. Cela devient une farce. Les gens dans la rue demandent : « Ont-ils tué Kennedy ? »

Mais qui sont ces gens ? Ils appartiennent à la deuxième vague de dirigeants et de manifestants du Hirak à être emprisonnés, après une première vague de manifestants condamnés en appel à une peine de sept mois chacun en juillet dernier, après la condamnation du militant du Hirak Elmortada Lamrachen à cinq ans d’emprisonnement, et après que Jamal Oulad Abdennabi, 18 ans, a pris vingt ans, réduits à cinq en appel. Cette deuxième vague inclut Nasser Zefzafi, Nabil Ahamjik, Ouassim El Boustati, Samir Ighid, tous condamnés à vingt ans de prison. Mohamed Jelloul, auparavant détenu pendant cinq ans pour son activisme, est maintenant condamné à dix ans de plus. Mohamed Asrihi, directeur du journal Rif24, et Rabie El Ablak collaborateur du journal Badil aujourd’hui fermé après la détention de son fondateur Hamid El Mahdaoui, ont été condamnés à cinq ans chacun. Hamid El Mahdaoui a pris trois ans.

La liste, caractéristique d’un régime autoritaire, est composée de 54 prisonniers politiques au total. On s’attend à ce que les prisonniers fassent appel, bien que selon les informations qui circulent, certains d’entre eux hésitent.

Des « aveux » sous torture

Un grand nombre de condamnations sont fondées sur les déclarations des manifestants, obtenues dans des conditions défavorables, c’est-à-dire parfois des pressions et même des tortures pour faire signer aux personnes arrêtées des aveux préparés d’avance avec lesquels ils ne sont pas d’accord ou qu’ils ne peuvent pas lire en raison de leur analphabétisme. L’ONG de défense des droits humains Human Rights Watch affirme :

En vertu du Code de procédure pénale marocain, aucune déclaration préparée par la police ne peut être admise comme preuve si elle est obtenue par la coercition ou la violence. Dans la pratique, cependant, les tribunaux admettent régulièrement comme preuve des « aveux » contestés et fondent les condamnations sur ces aveux, sans ouvrir d’enquête sur les allégations de torture et d’autres mauvais traitements physiques.

Certes il y a eu des cas de violence, comme lorsque des policiers ont été piégés au premier étage d’un immeuble en feu et qu’ils ont dû s’échapper par les fenêtres et par le toit à l’aide d’échelles et de cordes. Certains d’entre eux n’ont pas eu d’autre choix que de sauter, risquant ainsi leur vie. Mais Jamal Oulad Abdennabi, condamné pour avoir mis le feu aux bâtiments et attaqué la police, a catégoriquement nié les aveux qui figurent dans le procès-verbal. Un de ses frères l’a confié à l’hebdomadaire marocain TelQuel : « Mon frère, qui ne parlait que le tarifit [le dialecte rifain] — il a quitté l’école primaire en sixième année — ne pouvait pas lire la déclaration [en arabe]. Dans le feu de l’action, il a signé le procès-verbal parce que la police l’a rassuré en lui disant que mon père viendrait le chercher plus tard. »

Le juge a ensuite condamné Jamal sur la base du procès-verbal qu’il avait signé, bien qu’il ait réfuté devant le juge tous les aveux présentés dans le document. Jamal a fait appel. Trois témoins ont affirmé que pendant les événements, il était au souk en train de vendre sa marchandise. Le tribunal a abandonné l’accusation d’avoir mis « volontairement le feu à des biens appartenant à autrui ». Son avocat Me Rachid Belaali est convaincu de son innocence et cherche à obtenir l’acquittement pour le reste des charges.

Derrière l’histoire de Jamal et de tous les manifestants emprisonnés, il y a celle, complexe, des Rifains, un peuple du nord historiquement marginalisé par l’État. Les Rifains sont célèbres pour avoir écrasé le colonisateur espagnol dans la bataille d’Anoual1. Les Espagnols s’étaient vengés en les inondant de gaz moutarde. Aujourd’hui, dans une déclaration au site web febrayer.com, le père de Nasser Zefzafi compare le comportement de l’État marocain à l’Armée d’Afrique qui a imposé le protectorat espagnol au Maroc (1859-1956) : « Nous avons gagné la bataille d’Anoual, que les Espagnols appellent le désastre d’Anoual, et notre combat contre le colonisateur est devenu une malédiction, une sorte de revanche sur notre résistance ».

Et derrière l’histoire du Rif, il y a encore l’histoire des Marocains de toutes les régions qui en ont assez de la pauvreté et d’un État corrompu.

Le Makhzen contre le peuple

La sévérité des verdicts équivalant à une répression coloniale pourrait également être interprétée comme une tentative de rétablir le pouvoir de l’État par la terreur, les élites dirigeantes s’étant senties contestées par le mouvement pacifique Hirak. En répartissant trois siècles de prison entre les manifestants, l’État vise à redessiner les frontières du pouvoir que les manifestants ne cessent de franchir dans un jeu du chat et de la souris depuis le Mouvement du 20 février. En témoigne un nouveau slogan apparu il y a quelques mois, qu’on a pu entendre devant le Parlement au lendemain des verdicts : « C’est l’âge du boycott/Bye-bye l’âge de l’obéissance. » Les manifestants faisaient allusion au boycott actuel des consommateurs, sans chef de file, et qui se déroule entièrement sur Internet. La force numérique du boycott se juxtapose à la force dépassée de la soumission et de l’obéissance, qu’illustre parfaitement la cérémonie d’allégeance annuelle au cours de laquelle tout le personnel politique s’incline et plie le genou devant le roi.

1NDLR. La bataille d’Anoual a opposé un contingent militaire espagnol à l’armée rifaine de Mohamed Abdelkrim Al-Khattabi dans la région du Temsamane, en juillet 1921. Elle marque le début de la guerre du Rif.

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