Impasse politique au Bahreïn

Mansour Al-Jamri, rédacteur en chef d’Al-Wasat, seul journal d’opposition au Bahreïn, fait le point sur la crise politique qui perdure depuis plus de deux ans dans le pays. Pour lui, l’impasse est totale et seuls des évènements majeurs à l’extérieur permettraient de changer la donne et de s’en sortir.

Conférence de presse de Khalil al-Marzouq au siège de son parti, Al-Wefaq, en 2011.
Al-Marzouq dénonce les exactions de l’armée contre les manifestants endormis place de la Perle. Photo de Al-Jazira English sur Flickr, 17 février 2011.

Les événements qui se sont déroulés au Bahreïn ont été directement liés au contexte, plus large, des « printemps arabes », et particulièrement à celui du mouvement de protestation égyptien. C’est en effet la mobilisation sur la place Tahrir et la chute de Hosni Moubarak en février 2011 qui ont déclenché le soulèvement bahreinien, le 14 février 2011, sur le rond-point de la Perle, au cœur de la capitale Manama.

Crise confessionnelle ?

Le tour international pris par la crise bahreinienne ne se réduit pourtant pas à cet effet d’entraînement. Il s’est traduit par une tension palpable entre le gouvernement et certains de ses alliés internationaux. Encore en septembre 2013, lors de la réunion annuelle de l’Assemblée générale des Nations unies, les officiels bahreiniens exprimaient leur indignation suite au discours du président américain Barack Obama du 24 septembre, qui mentionnait les efforts faits par son administration pour « apaiser les tensions confessionnelles qui continuent à refaire surface dans des pays comme l’Irak, le Bahreïn et la Syrie ».

Le ministre des affaires étrangères, cheikh Khaled bin Ahmed al-Khalifa, ripostait quatre jours plus tard au commentaire d’Obama : « les dirigeants du royaume de Bahreïn, au fil de leur histoire longue de plus de deux cents ans, se sont efforcés d’interagir et de dialoguer avec leur peuple, et par là-même, de répondre à leurs attentes, à chaque (nouvelle) étape, en toute transparence et avec dévouement. Sa majesté le roi Hamad bin Isa al-Khalifa continue sur cette même ligne, qui entend poser les fondations d’un État moderne, souverain et indépendant, (…) et réformer le système constitutionnel et législatif, pour faire place à tous, y accommoder droits humains, économiques, sociaux et culturels (…). Les résultats obtenus sont le fruit d’une bonne gouvernance et d’une vision intellectuelle et politique qui a fourni des opportunités à chacun, et immunisé notre pays contre toute tension ou conflit confessionnel, comme cela se produit dans d’autres pays de la région. Et ce, en dépit des risques que font courir à notre pays les actes de violence perpétrés par des groupes extrémistes qui prennent pour cible les forces de sécurité et les étrangers. »

Cette position de déni de tout conflit confessionnel est relativement récente : le 30 mars 2011, le même ministre avait un tout autre point de vue. Dans un entretien exclusif donné au journal Al Hayat, le ministre regrettait que le Bahreïn souffre de « tensions confessionnelles » répandues « partout depuis 1400 ans ». Et de poursuivre : « nous souffrons de tensions entre sunnites et chiites. Ce n’est pas un problème qui nous est propre, c’est un problème qui vient de l’extérieur, mais, au Bahreïn, nous en faisons l’amère expérience après avoir pensé pendant longtemps que nous représentions une success story en la matière. »

Des « dialogues » sans résultat

À l’époque, le gouvernement bahreinien donnait aux événements une coloration confessionnelle : la famille royale affirmait vouloir attendre que les deux confessions se mettent d’accord entre elles, d’où l’idée de dialogue lancé en juillet 2011 « entre toutes les composantes de la société » censées discuter entre elles et soumettre leurs recommandations au roi pour que celui-ci les incorpore au système constitutionnel existant. Le dialogue de juillet 2011 a été très méticuleusement organisé : 300 personnes issues des associations politiques et des clubs, dont 35 de l’opposition politique, ont été réparties en quatre groupes de soixante-quinze personnes chacun, lesquels étaient priés de trouver un « axe » de dialogue. Chaque personne avait un temps de parole de trois minutes au cours de sessions de deux heures, organisées de façon hebdomadaire sur une période d’un mois. Puis Al-Wefaq1 est revenu sur son choix initial de participation et a boycotté des sessions qu’il estimait particulièrement inadéquates pour conduire un véritable dialogue.

Outre cette première tentative de réconciliation, le gouvernement a tâché d’améliorer son image et son bilan en matière de droits de la personne : en juillet 2011, il a accepté la formation d’une commission d’enquête indépendante sur le Bahreïn (Bahrain Independant Commission of Inquiry — Bici), présidée par le professeur égyptien Chérif Bassiouni. Le travail de cette mission d’enquête a représenté l’effort le plus sérieux en vue de remédier aux violations flagrantes des droits de la personne qui avaient eu lieu au Bahreïn et pour paver la voie vers la réconciliation nationale. La Bici a publié un rapport historique en novembre 2011, qui documentait les événements de février et mars 2011 et faisait 26 recommandations. Cependant, force a été de constater — pour les membres de la commission comme pour les observateurs — qu’un an après la publication du rapport, en novembre 2012, seules trois recommandations avaient été mises en œuvre. Ainsi, il est apparu très clairement que la volonté politique manquait pour satisfaire aux recommandations du rapport de la Bici.

Puis, en mai et septembre 2012, le Bahreïn a subi l’examen périodique universel (EPU) devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à Genève : ce passage en revue a abouti à la publication de 176 recommandations qui reprenaient les recommandations de la Bici ; elles ont reçu le même sort.

Le début de l’année 2013 a été marqué par une certaine appréhension dans les deux camps. D’un côté, le régime politique entendait poursuivre sa ligne sécuritaire, en criminalisant et paralysant l’opposition politique. De l’autre, les principaux partis de l’opposition s’entêtaient à demander la mise en œuvre des recommandations de la Bici et de la Commission des droits de l’homme de l’ONU, ainsi que la tenue d’un dialogue sérieux et direct avec les dirigeants du royaume. Sous la pression de la communauté internationale, le gouvernement a annoncé le 10 février 2013 l’ouverture d’un autre « dialogue de consensus national », qui devait réunir « les composantes de la société », le gouvernement jouant le rôle de simple « observateur » ou « régulateur ». Ainsi, le gouvernement a invité 8 personnes issues des partis d’opposition (dirigés par Al-Wefaq), 8 personnes représentant les groupes sunnites partisans du statu quo, 8 parlementaires et 3 ministres. Les participants au dialogue étaient censés se réunir deux fois par semaine. Mais, comme lors de la première tentative, la conception du dialogue ne devait pas produire de résultats d’importance. Le processus s’est grippé.

L’opposition muselée

En juin 2013, l’optimisme fut porté à son comble lorsque le prince héritier Salman bin Hamad al-Khalifa, figure réformatrice du régime, nommé trois mois plus tôt premier vice-premier ministre, s’est rendu aux États-Unis pour rencontrer les dirigeants américains à Washington. Tout le monde espérait une nouvelle vague de réformes ; des bruits circulaient selon lesquels une initiative majeure serait lancée pendant le mois de jeûne de ramadan (juillet-août 2013). Cependant, le 30 juin 2013, un nouveau mouvement de protestation, Tamarrod, émergeait en Égypte. Il allait faire tomber le président Mohammed Morsi un an après son élection. Un groupe d’activistes bahreiniens a annoncé son intention d’imiter le mouvement Tamarrod et a appelé à une action semblable le 14 août 2013, date anniversaire de l’indépendance du Bahreïn2. Et l’optimisme a tourné court, le gouvernement déclarant l’état d’urgence. Le parlement, rappelé durant sa période de congés estivaux pour siéger en session extraordinaire a rédigé 22 recommandations, donnant des pouvoirs discrétionnaires illimités au gouvernement pour qu’il puisse « maintenir la sécurité et la stabilité du pays ».

Dès lors, des centaines de personnes ont été condamnées, par vagues, à de très longues peines de prison, des zones résidentielles on été bouclées, les opérations de sécurité se sont intensifiées. Toute manifestation dans la capitale a été interdite et le gouvernement a publié plusieurs réglementations pour étouffer les activités politiques de l’opposition.

Répression politique : dernières nouvelles

À l’automne 2013, le nombre de personnes en détention atteint un niveau similaire à celui de 2011 ; les affrontements entre jeunes et policiers se poursuivent chaque nuit.

Le 29 septembre 2013, 50 personnes (dont une femme) ont été condamnées entre 5 et 15 ans de prison ferme pour leur appartenance au groupe de la « Coalition du 14 février » ; des peines de 10 à 15 ans de prison ont été maintenues en appel à l’encontre de 6 personnes accusées d’avoir incendié une voiture de sécurité blindée ; une cour d’appel a réduit la peine de prison de dix ans à deux ans à l’encontre d’un policier reconnu coupable d’avoir torturé un prisonnier à mort – celui-là, contrairement à tous les autres, est sunnite.

Le 30 septembre 2013, 37 autres personnes, accusées d’avoir blessé 4 policiers recevaient des peines allant de 5 à 15 ans, alors qu’une autre personne était condamnée à plus d’un an de prison pour insulte au roi.

Parmi les autres nouvelles, une procédure judiciaire ouverte pour dissoudre un conseil religieux chiite ou des pressions exercées sur la famille d’un religieux chiite dont la citoyenneté a été révoquée en 2012 pour qu’elle quitte définitivement l’île, quelle que soit sa destination. Les journaux quotidiens exhibent des photos d’unités militaires prêtes au combat et paradant pour montrer leur empressement à défendre la nation face aux menaces qui affecteraient la sécurité nationale.

Cette tendance répressive a trouvé son apogée avec la détention, le 17 septembre 2013, du secrétaire-général adjoint du Wefaq, Khalil al-Marzouq, après un interrogatoire portant sur le discours qu’il avait prononcé une semaine plus tôt lors d’une réunion publique. Il est accusé « d’appartenance à une organisation terroriste » (la Coalition du 14 février) et, lors de ses discours publics, « d’inciter à des actes terroristes, de promouvoir des principes qui incitent à de tels actes, de soutenir la violence commise par la coalition terroriste et de justifier, en des termes légaux, des activités criminelles ».

En réponse à l’arrestation d’Al-Marzouq, les partis d’opposition ont suspendu leur participation au dialogue, qui piétinait depuis son lancement. Les officiels ont quant à eux affirmé qu’ils continueront à se réunir avec les autres parties.

1Principale formation d’opposition.

2Indépendance du Bahreïn : 14 août 1971.

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