Esmail Ghaani est né en 1959 à Bodjnourd dans la province du Nord-Khorassan. Il a passé une longue période de service militaire dans cette ville située dans la région de Khorassan, dans le nord-est de l’Iran. Au début de la révolution de 1979, âgé de 20 ans, il rejoint l’armée des Gardiens de la Révolution. C’est en 1980, en participant à la répression des rebelles du Kurdistan iranien, qu’il vit sa première expérience militaire. Envoyé ensuite sur différents fronts, Ghaani prend part à la guerre Iran-Irak dans le sud-ouest du pays où, jusqu’en 1986, il commande la brigade Imam Reza, puis la cinquième brigade Nasr.
À l’instar de Ghassem Soleimani, Esmail Ghaani a participé à des missions à haut risque et à de nombreuses opérations militaires. Il a notamment contribué à la conquête de la péninsule d’Al-Faw, à la libération de Mehran, à la prise de Chelemtche et aux opérations conduites à Karbala. Il a également participé à la désastreuse opération Beit al-Moqaddas qui a entraîné une défaite iranienne dans la péninsule de Majnoun.
Immédiatement après la fin de la guerre Iran-Irak, en août 1988, il est affecté au poste de commandant adjoint dans la huitième zone d’opération des Gardiens de la Révolution, dont le siège est à Mashhad. En 2006, il est nommé chef adjoint de l’unité de contre-espionnage par Yahya Rahim Safaoui, alors commandant de l’armée des Gardiens de la Révolution. En 2007, cumulant les deux fonctions, Ghaani devient l’adjoint du commandant de la Force Al-Qods.
La guerre en Syrie
Le 28 mai 2012, il déclare à l’agence de presse des étudiants iraniens (ISNA) que « les forces iraniennes étaient directement impliquées en Syrie ». Cette déclaration qui sonne comme un aveu suscite l’attention de la communauté internationale. Suite au retentissement médiatique qu’elle déclenche, l’ISNA choisit de la supprimer.
En mars 2019, Bachar Al-Assad effectue une visite surprise à Téhéran. Le ministre des affaires étrangères iraniennes, Mohammad Javad Zarif réagit à cette initiative organisée à son insu en présentant sa démission, qui est refusée. À cette occasion, Esmail Ghaani, affirmant la prééminence de son unité d’élite dans les rouages de l’État, déclare à l’ISNA le 6 mars 2019 : « Bachar Assad a été amené à Téhéran par la Force Al-Qods. Le président est au courant. Le fait que Zarif n’en soit pas informé est dû à une négligence de la part du gouvernement. »
Un « commandant de l’ombre »
Bien qu’il ne soit pas aussi charismatique que Ghassem Soleimani, Ghaani possède une grande expérience des opérations militaires et bénéficie de sa proximité avec le dirigeant iranien Ali Khamenei, originaire comme lui de la province de Khorassan. Dans une brochure commémorant les activités de Khamenei pendant la guerre Iran-Irak, Ghaani est l’un des rares anciens combattants survivants autorisés à faire le récit de sa rencontre avec le Guide suprême pendant les combats.
Sans doute appelé à un destin national, Soleimani se montrait fréquemment dans les médias, en particulier après que la Force Al-Qods a pénétré en Syrie, tandis que Ghaani demeurait plus discret. Sa seule interview date de 2015. L’agence de presse Tasnim de l’armée des Gardiens de la Révolution le décrit comme un « commandant de l’ombre ».
Par mesure de sécurité, à l’exception de quelques rencontres depuis la fin de la guerre entre l’Iran et l’Irak, Ghaani et Soleimani ne se sont jamais trouvés au même endroit en même temps. Soleimani était actif en Irak, en Syrie et au Liban, tandis que les activités de Ghaani se déployaient en Afghanistan, au Pakistan et en Asie centrale.
Le théâtre afghan
À l’époque où Esmail Ghaani avait l’Afghanistan en « responsabilité », ce pays revêtait une importance particulière dans l’activité des Gardiens de la Révolution. Les membres de la cinquième brigade Nasr et de l’imam Reza qu’il avait commandés pendant la guerre Iran-Irak étaient issus du Khorassan iranien et des tribus chiites afghanes. Bien que souffrant d’une blessure aux yeux et aux pieds, Ghaani s’est ardemment battu à la tête des chiites afghans contre les forces irakiennes, accroissant ainsi sa notoriété. Après la guerre, il a servi à Mashhad, considérée comme un lieu sacré pour les chiites. C’est aussi la région où les immigrés chiites afghans sont les plus nombreux. Pour l’Iran, elle représente la porte d’entrée vers l’Afghanistan et l’Asie centrale.
En tant que commandant adjoint dans la huitième zone d’opération des forces terrestres des Gardiens de la Révolution, Ghaani est intervenu contre les cartels afghans de la drogue qui tentaient de s’infiltrer en Iran. Il a également soutenu le Front de libération islamique uni afghan (Alliance du Nord), qui luttait contre le régime des talibans. Esmail Ghaani a effectué sa dernière visite en Afghanistan en juillet 2018. Il s’est rendu à Kaboul et à Bamyan et a rencontré le gouverneur de la province de Bamyan, où vivent de nombreux Hazaras chiites.
Il était également présent dans la délégation qui s’est rendue en Afghanistan en décembre 2018. Sur les photos, on peut le voir à droite d’Ali Shemhani, le secrétaire général du Conseil national de sécurité iranien, examinant une carte de l’Afghanistan avant leur visite.
Bien que, depuis de nombreuses années, l’administration de Téhéran considère les talibans comme des ennemis idéologiques, elle est prête à envisager une alliance avec eux en raison de sa politique étrangère pragmatique. De plus, l’Iran considère l’Afghanistan comme faisant partie de sa sphère naturelle d’influence, et n’a jamais été indifférent au devenir de ce pays.
Depuis que le président américain Donald Trump a déclaré que les Américains se préparaient à se retirer d’Afghanistan, les relations entre Téhéran et les talibans se sont intensifiées et Ali Shemhani a reconnu les avoir rencontrés. Si Téhéran met les talibans dans son jeu, c’est sans doute pour les utiliser contre les États-Unis. Les Hazaras ont été impliqués par l’Iran dans la guerre civile en Syrie sous prétexte de protéger les lieux saints chiites. La brigade Fatemiyoun (brigade des Fatimides) est, après le Hezbollah, le groupe de miliciens le plus important qui soutient le régime d’Assad. Yekta Husseini, l’un des commandants de l’armée des Gardiens de la révolution, a annoncé en 2016 que le nombre d’Afghans en Syrie était de 18 000. Aujourd’hui, ce nombre est estimé à près de 30 000.
Compte tenu des modifications de rapports de force en faveur du régime d’Assad, l’avenir des combattants afghans chiites est en question. La brigade Fatemiyoun, qui constitue une ressource humaine importante pour un changement de démographie en Syrie, peut également retourner dans son pays pour soutenir les intérêts de l’Iran ainsi qu’elle l’a laissé entendre le 21 novembre 2017, à l’agence Tasnim : « Nous sommes prêts à aller partout pour la poursuite de notre cause. »
Le chercheur Ali Alfoneh écrivait le 11 janvier 20121 : « Face à des divisions croissantes entre les élites dirigeantes de la République islamique, à des sanctions de plus en plus sévères contre l’Iran et à la menace de frappes militaires contre les installations nucléaires iraniennes, le régime est à la recherche d’une personnalité publique capable d’unifier la nation. » Après la disparition brutale du charismatique Ghassem Soleimani, il sera intéressant de suivre la trajectoire du discret Esmail Ghaani et de voir quelle dimension il va donner à ses nouvelles fonctions de commandant de la Force Al-Qods.
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1« Esmail Qaani : the next Revolutionary Guards Quds Force commander ? », American Enterprise Institute.