Israël se défoule dans le ciel et sur la terre en Syrie

Combien de fois Israël, confronté comme jamais à une crise intérieure, devra-t-il lancer sa redoutable aviation à l’assaut de la Syrie afin d’endiguer l’influence de Téhéran et de ses milices, alors même que ses raids n’ont aucun effet sur la présence iranienne dans ce pays ?

Inspection des dégâts après une frappe aérienne israélienne sur la citadelle médiévale de Damas, le 19 février 2023.
Louai Beshara/AFP

On assiste depuis le début de l’année à une nette augmentation des raids israéliens. Pour ne citer que quelques exemples : à la mi-février, Damas a été la cible d’une attaque aux missiles israéliens visant le Hezbollah, faisant des morts et des blessés, selon plusieurs sources ; le 7 mars, la veille de la commémoration du coup d’État baasiste de 1963 qui a changé la physionomie de ce pays, une frappe aérienne a visé l’aéroport d’Alep qui a été fermé pendant trois jours ; le 12 mars un dépôt d’armes des forces pro-iraniennes situé entre les provinces de Tartous (sur la Méditerranée) et Hama, une ville du nord-est a été atteint. Deux combattants pro-iraniens y ont trouvé la mort et trois soldats syriens ont été blessés, selon l’Observatoire syrien des droits humains (OSDH).

Les bombardements aériens à répétition sur la Syrie qui durent depuis des années, et plus particulièrement depuis l’implication de l’Iran dans le conflit syrien expriment la frustration d’Israël présente vis-à-vis de son voisin du nord qui le nargue grâce à sa relation privilégiée et multiforme — notamment militaire — avec la République islamique. On serait tenté de dire que le territoire syrien exsangue et morcelé constitue un rare exemple de punching-ball dans les relations internationales, une sorte de défouloir pour Israël qui n’arrive pas à arracher l’épine iranienne plantée chez son voisin.

Frustration également vis-à-vis des Palestiniens et du Liban dont le territoire a été puni par des raids aériens dans un climat de haute tension qui risque, dans ce cas précis de déborder, d’où les appels au calme tous azimuts ces derniers jours.

Des frappes inefficaces

La Syrie est parsemée de milices et d’auxiliaires iraniens, notamment les pasdarans, (Gardiens de la révolution) dont on ne connaît pas le nombre exact. Les milices pro-iraniennes, tel le Hezbollah libanais et d’autres y sont aussi présents dans des zones déterminées, mais tous se déplacent au gré des besoins. Or, l’objectif principal d’Israël, dont le régime de Téhéran est la bête noire, est de réduire ou supprimer l’influence de l’Iran en Syrie, deux pays liés par plusieurs traités depuis la révolution islamique de 1979 et qui ont des relations étroites notamment en matière de défense.

La guerre civile en Syrie commencée en 2011 n’a fait que renforcer la présence et l’influence de Téhéran sur son protégé, en même temps que celle de la Russie. Moscou cependant reste silencieux ou laisse faire l’activité israélienne sur le territoire de son allié et protégé tandis que les Nations unies réagissent de manière lénifiante face aux protestations (de pure forme ?) de Damas.

Goliath contre Samson ?

La question se pose de savoir si cette campagne d’incessants bombardements parviendra un jour à ses fins. Les raids israéliens en territoire syrien ne se comptent plus et semblent tomber dans l’indifférence générale, nonobstant les victimes civiles et militaires (syriennes, iraniennes, libanaises…). Tels des éléphants qui écrasent sans démolir complètement (ou des abeilles qui piquent sans tuer).

Pourtant, quelques centaines de soldats de la révolution iranienne et de leurs alliés du Hezbollah chiite libanais ont trouvé la mort, et des dizaines de dépôts d’armements ont été détruits par ces frappes. À Damas, la capitale syrienne fréquemment bombardée, surtout de nuit, la vie ne semble pas autrement bouleversée par ces actes de « l’ennemi sioniste » dont les chauffeurs de taxi, pour ne citer qu’eux, écoutent le récit avec indifférence après les horreurs des années de la guerre civile. Les sirènes sonnent sans émouvoir ; le très peu utile conseil des ministres, voire les hautes instances du régime, ne se réunit pas toutes affaires cessantes et les prix des denrées de première nécessité ne bondissent pas plus que de coutume. Un boutiquier du vieux souk de Damas interrogé par Orient XXI a répondu par un « Business as usual » narquois. Et les pilotes israéliens retournent tranquillement à leur base, mission accomplie, on est loin de l’atmosphère des guerres de 1967, 1973 ou même 1982.

Si les raids israéliens semblent ne faire que titiller le régime de Damas (« laissons-les se défouler », entend-on rire à Damas), leur intensification de la part du nouveau gouvernement israélien qui n’hésite plus à revendiquer ses attaques, interroge. Israël a fait bombarder le 4 avril Damas et sa banlieue, pourtant peu ou prou habituée à ce genre d’attaques. « Nous sommes intervenus au-delà de nos frontières », proclame fièrement le premier ministre, Benyamin Nétanyahou. « Nous allons chasser l’Iran et le Hezbollah de Syrie », a renchéri son ministre de la défense, une antienne israélienne plus vite récitée que réalisée. Dans la foulée, Israël a également frappé dans la nuit de samedi 8 avril des positions d’artillerie en territoire syrien à proximité du Golan occupé. Peut-être ce genre de proclamation vise-t-il à faire oublier les difficultés du premier ministre israélien sur son front intérieur avec les manifestations contre la politique de son gouvernement d’extrême droite rejeté par une grande partie de la population, et alors que monte de nouveau la colère palestinienne contre l’occupation.

Une impossible escalade

Mais deux éléments empêchent, pour l’instant, l’escalade. D’une part, la présence iranienne n’est pas facilement détectable. Leur matériel militaire est souvent disséminé dans des dépôts ou entrepôts gardés par leur allié, et parfois Iraniens et Syriens font partie de mêmes unités ou collaborent étroitement, comme c’est le cas sous le commandement de Maher Al-Assad, le frère du président, réputé très proche de Téhéran. D’autre part, Israël ne peut se permettre une opération de grande envergure dans le guêpier syrien, ne serait-ce que parce que le régime de Damas est aux yeux d’Israël un « adversaire amical » (malgré l’état de belligérance) depuis des décennies et que la frontière entre les deux pays est aussi calme que les eaux du lac de Tibériade qui les sépare.

Et Israël doit s’accommoder de l’inamovible président syrien Bachar Al-Assad. D’ailleurs, celui-ci effectuait au même moment, le 19 mars, une visite officielle à Abou Dhabi, accompagné par son épouse Asma, scellant ainsi le début d’une normalisation de Damas avec les pays frères arabes en prélude au sommet de la Ligue arabe prévu en mai en Arabie saoudite. Le royaume n’a pas encore donné son feu vert au retour de la Syrie au sein de la fraternité arabe, mais les signaux indiquent que cela ne saurait tarder. Symboliquement, ce retour dans le giron arabe, avec la Russie et la Chine à ses côtés, serait important même si les sanctions de l’Union européenne et des États-Unis dont la population plus que le régime est la première à souffrir, restent en place.

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