Focus Oslo

L’archétype d’un échec

Le processus d’Oslo aurait pu réussir si Israël avait fait l’effort d’en rendre les termes acceptables par une direction palestinienne qui avait affiché sa volonté de compromis et disposait d’une légitimité suffisante pour sceller un accord. Il n’en a rien été, bien au contraire, Israël poursuivant son entreprise coloniale sans rencontrer beaucoup d’obstacles. Cependant, de nouvelles perspectives mondiales pourraient changer la donne, et redonner une chance aux Palestiniens.

L'image montre une personne debout sur un terrain où des feux brûlent, produisant une épaisse fumée noire. Cette personne tient fièrement un drapeau palestinien, qui est composé de bandes rouge, noire, blanche et verte. Le paysage semble chaotique en raison des flammes entourant le manifestant, créant une atmosphère intense. Les éléments visuels de l'image évoquent des sentiments de militantisme et de détermination.
3 juillet 2023. Manifestation à l’est de Gaza City après les attaques israéliennes contre le camp de Jénine et le nord de la Cisjordanie
Mahmud Hams/AFP

Ce qui, en septembre 1993, semblait être un moment propice dans l’histoire du conflit israélo-palestinien, et avait été précédé de mois d’intense diplomatie de l’ombre sous l’égide de la Norvège. Cela avait débouché sur une série d’accords connus sous le nom d’« accords d’Oslo » qui prévoyaient la création d’une autorité palestinienne autonome provisoire (AP) dans certaines parties des territoires palestiniens occupés et la requalification de ces territoires en zones A, B et C, qui existent encore à l’heure actuelle, du moins sur le papier.

Mais en ce mois de septembre 2023, l’anniversaire d’Oslo sera plus ignoré que célébré. Oslo est destiné à être étudié comme l’archétype de l’échec d’un « processus de paix ». Moins de 26 mois après cette poignée de main porteuse d’espoir entre le premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le président de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), Yasser Arafat, le premier allait être assassiné par un extrémiste juif lors d’un rassemblement pour la paix sur la place centrale de Tel-Aviv et, moins d’une décennie plus tard, Arafat n’appartenait plus, lui non plus, au monde des vivants, ayant connu une mort sans doute non naturelle après avoir été assiégé dans son quartier général de la Mouqata’a de Ramallah par les forces israéliennes pendant près de 34 mois.

Les circonstances sur le terrain sont désormais beaucoup moins propices à la paix qu’elles ne l’étaient il y a 30 ans. Un exemple : le nombre de colons israéliens illégaux résidant en Cisjordanie occupée a quadruplé au cours de cette période. La seule et unique fois où Israël a retiré des colons (en 2005), il l’a fait unilatéralement, sans négociations et en dehors du cadre du « processus de paix » d’Oslo.

De l’Intifada à la possibilité d’un accord

L’époque qui a permis l’avènement d’Oslo tant au niveau des spécificités contextuelles israélo-palestiniennes locales qu’au niveau de la géopolitique régionale a pris fin. Le « processus d’Oslo » correspondait à une ère qui est révolue. La compréhension du contexte d’alors et de celui d’aujourd’hui est essentielle pour qui souhaite imaginer un avenir palestino-israélien différent et élaborer des stratégies pour y parvenir.

Au niveau local, les années précédant immédiatement les accords d’Oslo ont été marquées par un important soulèvement populaire palestinien dans les territoires occupés de Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est (alors sous occupation israélienne depuis deux décennies) : l’Intifada. Les factions politiques palestiniennes clandestines, les mouvements de femmes, les syndicats et de larges pans de la société civile se sont engagés dans une série de grèves, d’actions de protestation, de désobéissance civile et d’affrontements en grande partie non armés contre l’armée d’occupation israélienne et son administration militaire.

La réponse d’Israël a été brutale, mais elle a aussi constitué un signal d’alarme. Si l’occupation avait pu perdurer pendant deux décennies sans qu’Israël en paye le prix, ce n’était plus le cas lors de la première Intifada. Sur le plan international, les Israéliens se retrouvaient au centre d’une attention sans précédent et sous le coup de pressions inhabituelles. Mais des pressions s’exerçaient aussi sur l’OLP, basée à Tunis après son exil du Liban, dont la direction extérieure semblait perdre du terrain face aux factions de l’intérieur des territoires palestiniens occupés.

La situation critique dans laquelle se trouvait la direction de l’OLP a été exacerbée par la première guerre du Golfe menée par les États-Unis en 1991 après l’invasion du Koweït par l’Irak, et par le choix qu’elle a fait de soutenir Saddam Hussein contre une coalition qui comprenait de nombreux États arabes. La guerre du Golfe et le soutien de plusieurs pays arabes à Washington avaient également, dans une certaine mesure, acculé Israël (les pays arabes exigeaient alors une évolution sur le dossier palestinien) et conduit au lancement à Madrid d’un processus de paix multilatéral. Les pourparlers entre Palestiniens et Israéliens ont été menés, du côté palestinien, par des dirigeants de l’intérieur, étant donné l’insistance d’Israël à exclure formellement l’OLP (en fait, c’est une délégation mixte palestino-jordanienne qui a négocié avec les Israéliens à Madrid). Ces dirigeants palestiniens, bons connaisseurs du système israélien d’occupation et du déni des droits, bénéficiaient de l’élan de l’Intifada et se sont révélés des négociateurs coriaces, en quête d’avancées significatives. L’OLP, mise à l’écart, et Israël, fébrile, ont tous deux vu l’intérêt d’explorer un espace de pourparlers qui contournerait le cadre existant.

Quelques années auparavant, l’OLP avait établi des relations avec les États-Unis et s’était officiellement prononcée en faveur de deux États (lors de la réunion du Conseil national palestinien [CNP] à Alger, en 1988). Elle avait décidé qu’un accord pouvait être conclu permettant d’aborder les questions soulevées par la guerre de juin 1967 comme celles de l’occupation (et, par extension, pour obtenir un État palestinien sur seulement 22 % du territoire), tout en écartant ou du moins en reportant les questions soulevées par la Nakba de 1948, la dépossession et le partage de la terre. Les réfugiés palestiniens allaient payer le prix de cette tentative de réduire les paramètres du conflit en opposant 1967 à 1948. Leur opposition s’est souvent exprimée avec force.

Même si cela n’a été que brièvement, il semblait qu’il existait en Israël un camp politique et une direction prêts à conclure un accord sur ces mêmes questions de 1967 — principalement les frontières et le territoire. Les élections de 1992 en Israël ont donné naissance à un gouvernement dirigé par Rabin, composé du parti travailliste et de son allié de gauche le Meretz, avec le soutien des deux partis représentant alors les citoyens arabes palestiniens d’Israël (le parti ultra-orthodoxe Shas a alors officiellement rejoint la coalition). Une perspective d’accord palestino-israélien semblait se dessiner, à peine visible à l’horizon.

Un moment opportun

Le contexte international était tout aussi différent. La disparition de l’Union soviétique et la fin de la Guerre froide semblaient promettre une ère d’unipolarité sans précédent. Le succès de l’Amérique dans la guerre du Golfe mentionnée plus haut et la coalition qu’elle avait été en mesure de constituer en sont un exemple. L’idée selon laquelle la puissance américaine pourrait permettre la conclusion d’un accord de paix au Proche-Orient semblait incontestable, même si elle ne l’était pas tout à fait.

Mais en l’espace d’une décennie, les États-Unis ont déclaré une « guerre mondiale contre le terrorisme » qui a conduit à une deuxième intervention militaire prolongée et autodestructrice en Irak (ainsi qu’en Afghanistan), et à une perception grossièrement exagérée de la menace qui a mis les Américains à rude épreuve, sapé leur puissance et leur crédibilité tout en provoquant aux États-Unis même un rejet massif contre de tels engagements extérieurs.

S’il existait une fenêtre de tir pour le moment d’Oslo, c’était bien cette décennie, les années 1990 — de fait, la date d’expiration des mesures provisoires mises en place dans le cadre du processus d’Oslo avait été fixée à mai 1999.

Les États-Unis n’ont pas réussi à obtenir les concessions nécessaires de la part d’Israël, même pour un accord minimaliste fondé sur les lignes de 1967, qui aurait été extrêmement avantageux pour la partie israélienne. On peut se demander si la politique américaine avait l’envergure pour mener cette tâche ou si les administrations américaines s’y sont même essayé.

La direction palestinienne n’était certainement pas exempte de tout reproche. Les critiques à son égard ont tendance à se concentrer sur son implication dans la violence et sur sa mauvaise gestion des institutions. Les attaques contre des civils israéliens innocents ont sans aucun doute sapé les efforts de paix, et ces attaques ont d’abord eu tendance à suivre les actes d’agression israéliens (comme le meurtre par Baruch Goldstein de fidèles musulmans à la mosquée Ibrahim d’Hébron, en février 1994). La résistance armée est une caractéristique de toute lutte de libération ; les Palestiniens ne font pas exception. Supposer qu’elle prendrait fin alors que l’occupation israélienne et les colonies se poursuivraient était au mieux l’une des naïvetés d’Oslo, au pire un piège prémédité.

Le plus grand échec de l’OLP réside peut-être dans son interprétation erronée des intentions des autres et du contexte politique géopolitique, régional et local, lacune qui persiste encore aujourd’hui de manière confondante.

Garantir les intérêts de l’occupant

Mais la tendance à partager à parts égales les responsabilités n’est pas seulement incorrecte et largement hors de propos, elle passe plus fondamentalement à côté de l’essentiel. Oslo était fondé sur des conditions convenant à Israël, et largement déterminées par lui. Cimenter cette prémisse aurait constitué une réussite remarquable pour l’entreprise sioniste menée par les Israéliens.

Cela aurait permis à Israël d’obtenir une reconnaissance internationale incontestable quant à la nature ethnonationaliste de son État sur 78 % de la Palestine mandataire, au mouvement national palestinien de renoncer aux droits des réfugiés et, sans doute, d’éteindre ainsi ses revendications concernant l’expulsion et la dépossession des Palestiniens de 1948 dans le cadre de la Nakba. Et ce, avant même de considérer les exigences plus contraignantes d’Israël concernant une éventuelle répartition politique à Jérusalem et dans la Vieille Ville, les dispositions en matière de sécurité et le désarmement de l’État palestinien, toutes dispositions qui faisaient partie d’une série d’exigences qui auraient privé ce soi-disant État d’un statut de souveraineté significatif.

Malgré tout ce qui a été dit sur ce qui n’a pas fonctionné avec Oslo, une seule observation peut suffire : la façon dont le processus d’Oslo, en tant que construction israélienne, aurait pu réussir aurait été qu’Israël fasse un effort supplémentaire pour rendre les termes d’un règlement un minimum acceptables à une direction palestinienne qui avait déjà franchi le Rubicon dans sa volonté de compromis et qui disposait alors d’une légitimité suffisante pour sceller un accord.

Ce que cela aurait signifié en termes de négociation : surcompensation sur les échanges de terres par exemple, véritable division et mise en commun au sein de Jérusalem et de la Vieille Ville, abandon des exigences inappropriées en matière de sécurité et autres, langage conciliant, réparations et reconnaissance des réfugiés — ces détails importent peut-être moins que le principe. Plus important encore, ils n’ont jamais été testés.

Objectivement, Israël a prématurément et sans discernement pris pour argent comptant la disposition palestinienne à accepter des compromis et a insisté pour obtenir des concessions sans fin jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de retour possible. Les premiers pas de Rabin peuvent être considérés comme une improvisation à court terme pour gérer ce qu’il percevait comme un environnement délicat (Arafat aussi a pu adopter une manœuvre tactique). La réussite de ce défi, valable aussi pour le mouvement sioniste, était de savoir si un équilibre stratégique vis-à-vis des Palestiniens était envisageable, c’est-à-dire un accord de principe et d’acceptation. Ce ne fut pas le cas. Benyamin Nétanyahou a maintenu le cap, même lorsqu’il s’est engagé dans un simulacre de négociation de paix, et il affirmera qu’on lui a donné raison. La pression semblait s’être dissipée.

Telle est, en résumé, l’histoire d’Oslo. Le sionisme était bien trop ancré pour souffrir le moindre compromis et pour intégrer des positions existentielles autour de la question de Palestine. À cet égard, ce serait une erreur d’extrapoler à partir des traités de paix conclus par Israël avec la Jordanie et l’Égypte pour espérer qu’il fasse preuve de sagesse dans sa relation avec les Palestiniens.

Dix ans après la signature du protocole d’Oslo, les jeux étaient faits. Au moment où Ariel Sharon se retirait de Gaza, à l’été 2005, il le faisait en déclarant explicitement son intention de se retrancher en Cisjordanie et de placer toute perspective de paix avec les Palestiniens dans un « bocal de formol », comme l’a ouvertement proclamé son principal conseiller et négociateur, Dov Weissglas.

Au moment où Ehud Olmert est arrivé à la table des négociations — et il a affirmé à plusieurs reprises avoir été celui qui a été le plus proche d’un accord —, les Israéliens prétendaient, de façon déraisonnable, qu’un accord serait politiquement acceptable en interne ou applicable. Quant à leur interlocuteur palestinien, celui-ci ne pouvait plus prétendre être porteur d’une autorité suffisante. Non seulement les réalités d’aujourd’hui, sur le terrain, ne ressemblent plus guère à celles qui prévalaient au début de l’ère Oslo, mais elles ont également changé les contextes géopolitiques locaux et mondiaux au point d’en être méconnaissables.

Le langage de la paix au service de l’illégalité

Le fait que tant de structures et la lingua franca d’Oslo restent en place (la notion des zones A, B et C, l’AP et la coopération en matière de sécurité) ne laisse pas d’étonner. Si l’on suit les déclarations faites lors des sommets entre les parties qui se déroulent encore sous les auspices du « processus de paix », ou encore les discours interminables de responsables politiques américains et d’autres, on y retrouve l’incantation quasi rituelle des textes et des mythologies de ce processus : appels à la reprise des négociations, mesures de confiance, améliorations économiques sous l’occupation et, bien sûr, toujours le désir d’une « solution à deux États ».

Mais rien de tout cela ne ressemble vraiment à la réalité sur le terrain. Le gouffre béant a été mis à jour, il s’agit d’un « processus de paix » Potemkine, un trompe-l’œil qui présente tous les signes de l’interrègne morbide pointés par Antonio Gramsci. Tous les mots d’Oslo peuvent être insérés dans le texte d’un porte-parole du département d’État de Washington, dépourvus de toute signification, et ne sont que des zombies. Le fait que cette farce se poursuive témoigne de l’inertie et de la commodité qu’elle offre à Israël et à son garant américain.

Ce que nous avons désormais, c’est le langage de la paix au service d’actions illégales, de la privation des droits et de l’apartheid. Trente ans plus tard, c’est le triste héritage d’Oslo. À bien des égards cependant, cela n’a pas d’importance, car dans la bataille des idées, le langage de la paix est en train de perdre. Nous vivons une ère différente pour les Israéliens et les Palestiniens, mais aussi pour la géopolitique mondiale.

L’un des phénomènes les plus intéressants est ce qui se passe dans le discours politique et les institutions politiques israéliens. Le camp d’Oslo n’est plus. Les travaillistes et le Meretz comptaient 56 des 120 membres du Parlement israélien dans la coalition de 1992 menée par Yitzhak Rabin. Ce nombre s’est réduit à seulement quatre sièges (quatre pour les travaillistes, aucun pour le Meretz). La politique parlementaire sioniste se joue désormais essentiellement sur le terrain entre la poursuite de l’enracinement progressif de l’occupation et l’accélération du mouvement « Victoire immédiate » vers une dépossession accrue et une reprise de l’épuration ethnique (le discours politique israélien est truffé de menaces d’une seconde Nakba). C’est une bataille entre fiers partisans de l’apartheid et ceux qui le nient tout en perpétuant les conditions de son développement.

L’échec d’Oslo a créé les conditions dans lesquelles la suprématie juive qui domine la démocratie a permis l’émergence au sein du gouvernement d’une force représentée par Bezazel Smotrich, Itamar Ben-Gvir et une grande partie du Likoud. Il ne faut donc pas s’étonner que les soi-disant manifestations pour la démocratie qui s’opposent au programme de réforme judiciaire de la coalition dirigée par Nétanyahou aient ostensiblement évité d’aborder le plus grand défi à la démocratie que représente le régime de discrimination et d’occupation subi par les Palestiniens.

Le crime d’apartheid, une complicité partagée ?

Comme l’a souligné une lettre récente d’éminents universitaires israéliens et étrangers intitulée L’Éléphant dans la pièce1, « il ne peut y avoir de démocratie pour les juifs en Israël tant que les Palestiniens continueront à vivre sous un régime d’apartheid ». L’étendard de la vraie opposition et de la paix est porté par les voix extraparlementaires, presque dissidentes, du bloc anti-occupation et de plus en plus anti-apartheid de la société civile israélienne — juive et arabe palestinienne. Le « processus de paix » perdure dans le discours israélien, mais les forces politiques parlementaires qui le soutiennent se sont alignées sur la réalité, et ce n’est rien d’autre qu’un exercice de gestion, de contrôle et de dépossession des Palestiniens. Un « processus de paix » en tant qu’exercice d’égalité, de rétablissement des droits et, osons le dire, de paix, n’a que peu d’adeptes.

Il ne faut pas non plus s’étonner que cette réalité soit de plus en plus reconnue comme constituant juridiquement le crime d’apartheid au regard du droit international. C’est ce que constatent non seulement les organismes palestiniens, mais aussi les principales organisations israéliennes de défense des droits humains, notamment B’Tselem, Yesh Din et Adalah, et depuis 2021-2022, Human Rights Watch et Amnesty International. Il s’agit d’une question qui sera probablement soumise à la Cour internationale de justice (CIJ) une fois que l’Assemblée générale des Nations unies l’aura saisie de la question de l’occupation prolongée d’Israël. Plusieurs États ont présenté à la Cour des observations établissant en droit international le fondement de la désignation d’un pays pratiquant l’apartheid.

Tout ceci n’a pas épargné la politique et l’organisation palestiniennes. Les réalités sur le terrain et le recadrage spatial et conceptuel ont placé les institutions palestiniennes d’autogouvernance créées par Oslo dans une situation particulièrement précaire. Les élections à ces institutions n’ont pas eu lieu depuis 17 ans et sont fréquemment reportées ou annulées. Elles ont depuis longtemps perdu leur importance politique pour les Palestiniens, leur crédibilité et leur représentativité.

Plus dévastateur encore, l’apartheid étant le cadre d’analyse, il n’y a qu’un pas à franchir pour juger que l’AP fait partie de ces structures d’apartheid, en tant que forme d’autogestion « bantoustanique » palestinienne au service du régime d’apartheid. La coopération sécuritaire se situe tout en haut de cette échelle de cooptation, elle est profondément impopulaire parmi les Palestiniens et de plus en plus contestée par les nouvelles forces de résistance de la jeune génération.

L’OLP reste la structure nationale palestinienne suprême, même si, au fil des ans, elle a été quelque peu supplantée par l’AP. L’organisation a elle-même formellement désigné l’apartheid et cela fait de plus en plus partie de son programme international de plaidoyer. Il s’agit d’une tension qui ne sera pas durable dans le temps. La persistance de l’existence de l’AP dans son incarnation d’Oslo, et la filiation continue des structures institutionnelles palestiniennes avec le « processus de paix » sont peut-être les dernières briques encore debout. Mais il s’agit d’une structure politique vidée de sa substance, à la faible représentativité, divisée et de plus en plus dépendante des outils de répression contre son propre peuple. L’organisation et la mobilisation autour du Comité national pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BDS) ont désormais une plus grande cohérence politique et une importance croissante. Les arguments centrés sur la décolonisation et les droits des réfugiés ont le vent en poupe.

L’affaiblissement de la prédominance américaine

Et si le contexte politique local n’a rien à voir avec celui du début des années 1990, la géopolitique a été encore plus radicalement bouleversée. L’unipolarité américaine aura été éphémère. Nous vivons une ère de bouleversements géopolitiques incessants. Des puissances dites émergentes sont apparues. La multipolarité est là, un nouveau non-alignement devient visible, l’annonce d’un élargissement des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) lors du sommet de Johannesburg (août 2023), n’étant que le dernier exemple en date de cette évolution.

Jusqu’à présent, le blocage de la politique nationale palestinienne a retardé l’application de cette évolution aux affaires israélo-palestiniennes. Mais à mesure que l’impunité américaine s’érode, celle d’Israël s’affaiblit également. Et comme de nouvelles structures mondiales s’affirment, il est peu probable que le dossier palestino-israélien n’en soit pas affecté. Ce n’est que lorsque la politique et les stratégies palestiniennes seront regroupées, réassemblées et reconceptualisées, que des changements pourront rapidement advenir. Certaines des puissances les plus importantes du Sud ont une vision de la Palestine et d’Israël très différente de celle des États-Unis, que ce soit pour des raisons d’histoire coloniale ou d’apartheid, de politique intérieure ou de rejet de l’application sélective du droit international par Washington. Le dégel de l’espace géopolitique comporte des risques et fait surgir des tendances politiques qui ne sont pas toutes positives.

La résistance du paradigme d’Oslo a été impressionnante. Son remplacement ne sera pas facile. Israël lui-même est une puissance régionale, considérée par beaucoup comme une puissance mondiale de niveau intermédiaire, dotée de l’arme nucléaire, exportatrice de matériel militaire de premier plan, experte en technologie (et exportatrice souvent dangereuse des éléments destructeurs de cette expertise technologique). Il est aussi un acteur de la nouvelle géopolitique. Mais le régime d’apartheid instauré par Israël n’est pas populaire et oblige ses autorités à prendre des mesures qui sèment la discorde.

Les contours de la question israélo-palestinienne de l’après-Oslo se dessinent. Il est probable qu’ils s’inscriront dans un monde multipolaire, qu’ils seront définis par des non-Occidentaux et axés sur la lutte pour l’égalité plutôt qu’autour de la défense d’un territoire. Et si, par bonheur, ses objectifs incluent la libération des Palestiniens du déni de leurs droits et libertés, ils libèreront aussi les Israéliens juifs de la perpétuation d’un régime suprémaciste inhumain, destructeur de l’âme et, en fin de compte, peu sûr.

1The Elephant in the Room, 10 août 2023.

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