L’armée israélienne frappe à la porte avant de tuer

La nouvelle « guerre de Gaza » en cours demeure, comme celles qui l’ont précédée, totalement asymétrique aux plans technique et politique. L’opération « Bordure protectrice » menée par l’armée israélienne contre le Hamas n’est pas un affrontement entre deux parties égales mais une nouvelle attaque menée, avec des moyens aussi formidables que disproportionnés, par une armée régulière contre des militants enfermés dans une enclave assiégée.

Gaza, juillet 2014.
Ismael Mohamad/UPI.

Pour ses attaques contre Gaza, l’armée israélienne utilise toute une panoplie complexe et sophistiquée de moyens. Avions de combat, hélicoptères d’attaque, drones armés, drones de surveillance, bateaux, canons, forces spéciales. Le tout sur les seulement 360 km² où s’agglutinent plus de 1,8 million de Palestiniens. C’est un peu comme un essaim de frelons s’acharnant sur une fourmilière. À cela s’ajoutent maintenant des opérations terrestres. Dans le ciel de Gaza, c’est un dispositif étagé comme une pile d’assiettes, où se superposent en permanence les différents vecteurs d’attaque et d’observation, avec une densité comparable au trafic aérien dans le ciel des aéroports de Paris. Les objectifs sont observés en vidéo à distance, des éclairages laser pointent certains d’entre eux, et des opérateurs devant leurs écrans donnent le feu vert au « traitement », à la « neutralisation » des objectifs, qu’ils soient des bâtiments ou des hommes. En mer et à terre, les canons pointent également sur des objectifs télémétrés, éclairés. L’opération « Bordure protectrice » est un gigantesque jeu vidéo hi-tech.

Pour limiter les « dégâts collatéraux », ces victimes qui ont eu le tort d’être là où il ne fallait pas, les Israéliens pratiquent des frappes d’avertissement avec des engins de faible puissance largués, avec une minute de préavis, exactement là où une vraie bombe va tomber. Cela se fait en particulier sur les toits des maisons visées : c’est la technique du knock on the roof frappe sur le toit ») afin de provoquer la fuite de ses occupants, comme la mort qui frappe à la porte avant d’entrer.

Tout Gaza est répertorié, numéroté, numérisé, étiqueté dans les banques de données de l’armée, qui sont mises à jour en permanence pour pouvoir lancer une opération comme celle en cours, comparable aux précédentes. Et ces techniques sont sans cesse perfectionnées, comme on perfectionne les consoles de jeux vidéo. La plupart des principaux gibiers humains sont connus. Ils sont suivis à la trace de maison en maison, eux qui cherchent à se cacher dans le dédale du grouillement gazaoui, et pour certains sont finalement atteints par la bombe guidée laser d’un des nombreux drones armés, ou par le missile Hellfire d’un hélicoptère, dès que l’environnement le permet à moindre frais, c’est-à-dire sans trop tuer d’« humains » non visés. Les autres cibles sont pour beaucoup des caches d’armes des groupes armés mais qui, au vu de l’exigüité des lieux, ne peuvent être que dans des quartiers habités et singulièrement dans ou aux abords des mosquées.

Des milliers de bombes

C’est ainsi que, depuis le début de l’opération, ce dispositif a déjà déversé des milliers de bombes, obus et missiles divers, pour plus de 500 morts à ce jour et des milliers de blessés. Sans ces technologies, la même quantité de bombes, au vu de la densité humaine de Gaza, aurait déjà fait des dizaines des milliers de victimes comme jadis les bombardements anglo-américains de Hambourg en juillet 1943. On ne tapisse plus les villes de bombes, les lois de la guerre ont changé, on fait aujourd’hui des frappes ciblées, mais les morts innocents sont toujours là. Cependant, pour de nombreux Israéliens, il n’y a pas de Palestiniens innocents. Avec cynisme, les morts civils ne sont plus partie de la stratégie militaire moderne mais sont relégués au rang de victimes collatérales qu’on déplore à la marge. Rien qu’à ce titre, les victimes à Gaza ont autant d’importance que les 25 000 civils de Dresde, délibérément anéantis par 4000 tonnes de bombes incendiaires de la Royal Air Force et de l’aviation américaine en février 1945.

Une vie palestinienne ne vaut pas grand chose

Les Israéliens accusent le Hamas et les autres groupes armés palestiniens de se servir de la population comme bouclier humain. À part ne pas exister, être à Gaza implique d’être parmi la population. L’armée israélienne nie les accusations de provoquer un nombre élevé de victimes, car selon elle « les gens qui entrent dans une maison malgré l’avertissement ne doivent pas être décomptés parmi les victimes civiles, parce que ce sont des boucliers humains volontaires. D’un point de vue légal, je n’ai pas à avoir de considération pour eux. Quant à ceux qui retournent dans leur maison pour la protéger, ils prennent part sciemment au combat »1. Elle se lave les mains avec une argutie juridique pour le moins glaciale qui montre surtout le peu de valeur que le gouvernement israélien accorde à une vie palestinienne. Logique qui veut que puisque les civils sont prévenus, c’est quasiment de leur faute s’ils meurent. Mais où aller à Gaza ? Imaginez une boite d’allumettes où grouillent des fourmis, et que de votre doigt vous vouliez en écraser certaines. C’est ce que fait l’armée israélienne.

« Dôme de fer »

Il est fait sans cesse mention des roquettes lancées par le Hamas et le Djihad islamique, et décrits par les médias comme on décrirait une pluie de Scuds s’abattant impitoyablement sur Israël qui ne fait que se défendre. La quasi-totalité de ces engins primitifs, qui sont aux Scuds ce qu’est une carabine à plomb par rapport à un fusil d’assaut, sont arrêtés par le système Iron Dome. Mis au point par l’armée israélienne avec le concours financier des États-Unis, « Dôme de fer », déployé depuis le printemps 2011, consiste en des systèmes radars de détection, poursuite et guidage, couplés à des batteries de missiles sol-air. Pour avoir réellement des chances de succès, le Hamas devrait tirer à répétition des salves denses de roquettes pour saturer le système d’interception. Ce qu’il ne peut pas faire, même s’il le voulait.

Quelques très rares engins parviennent cependant à franchir les défenses israéliennes, mais la faible puissance de leur charge explosive et l’imprécision de leur trajectoire font que les dégâts qu’ils peuvent provoquer sont minimes et il ne peut en être autrement. Le Hamas et les autres groupes palestiniens de Gaza le savent bien, comme ils sont parfaitement au courant des systèmes de défense israéliens. Leurs roquettes et mortiers sont avant tout des armes politiques de résistance, d’existence pourrait-on même dire, alors que les armes israéliennes sont avant tout des armes de destruction et d’assassinats ciblés. Et ces fameuses centaines de roquettes lancées depuis dix jours sur les villes du sud d’Israël ont fait une victime, le 19 juillet. Depuis ces dix dernières années, l’ensemble des roquettes et obus de mortier tirés par les Palestiniens de Gaza ont fait 29 morts. En comparaison, l’ensemble des opérations « Plomb durci » (janvier 2009),« Pilier de défense » (novembre 2012) et « Bordure protectrice » (en cours) ont provoqué à ce jour la mort de plus de 1600 Palestiniens de Gaza, dont 30 % de femmes et d’enfants.

Le Hamas justifie tout

Le plus dérisoire dans cette affaire est que le Hamas sert les intérêts d’Israël. Le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, comme ses prédécesseurs, a besoin de mouvements de résistance à l’occupation pour justifier son refus de négocier un véritable accord de paix. Avant la première Intifada, Israël et le roi Hussein de Jordanie avaient considéré les Frères musulmans, qui devaient créer le Hamas, comme un contrepoids à l’OLP susceptible d’affaiblir Yasser Arafat alors en exil à Tunis. Il sert désormais de repoussoir brandi à la face de la communauté internationale pour justifier des actions qu’Israël provoque la plupart du temps au départ, quitte à l’accuser de crimes qu’il n’a pas commis pour justifier une nouvelle campagne militaire. Ce fut encore le cas avec les arrestations massives de membre du Hamas en Cisjordanie à la suite de l’assassinat de trois jeunes Israéliens, crime qu’a instrumentalisé le gouvernement israélien pour lancer une campagne face à laquelle le Hamas ne pouvait pas ne pas réagir. Avec « Bordure protectrice », Israël cherche à l’affaiblir, pas à le détruire. Toute la stratégie du gouvernement israélien est là, avec pour prix les centaines de victimes de Gaza.

En principe, on négocie la paix avec son ennemi, mais le gouvernement israélien ne veut pas négocier avec le Hamas, uniquement avec l’OLP auquel il veut par ailleurs imposer ses diktats, ce qui rend la paix impossible. Il cherche aussi, par cette opération, à empêcher tout rapprochement entre le Hamas et le Fatah, entre Gaza et la Cisjordanie. Et face à Israël, comme l’a rappelé Leila Chahid le 9 juillet sur France 24, la communauté internationale est toujours aussi partialement inefficace.

1Déclaration d’un responsable des services juridiques de l’armée israélienne à l’occasion de l’opération « Plomb durci » en janvier 2009

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