L’héritage économique des sept années de présidence de Mahmoud Ahmadinejad est au cœur de la campagne électorale iranienne. À quoi sont dues les réelles difficultés qu’endure la population de la République islamique qui, depuis le début 2012, a connu une dépréciation du rial, la monnaie nationale, d’un tiers contre le dollar et vu la hausse des prix dépasser les 30 % ? Les sanctions occidentales y sont pour un tiers et la mal gouvernance pour les deux tiers restants, expliquent ses adversaires conservateurs qui mettent en cause la politique économique menée par l’équipe Ahmadinejad.
Arrivé au pouvoir sur une ligne « pro-pauvre » hostile à la politique de privatisations et de réformes libérales de son prédécesseur, le nouveau président a cherché à en infléchir le cours. Le programme de privatisation déjà voté par le parlement a continué mais a été largement amendé. Les Iraniens les plus modestes ont pu acheter pratiquement pour rien 40 % des actions des entreprises publiques mises sur le marché. L’opération devait être financée par le secteur privé qui, lui, payerait « plein pot ». Il n’en a rien été et l’État est resté maître de ces sociétés par le biais d’institutions parapubliques. Leurs performances n’en ont pas été substantiellement améliorées et les privatisations n’ont pas rapporté grand-chose au Trésor.
Ahmadinejad s’en est pris également aux banques. Il a interdit la création de nouvelles banques privées et il a asséché celles qui existaient au profit d’institutions financières assez opaques tenues par des fondations, religieuses ou pas, qui lui étaient proches politiquement. En dehors de mener la banques classiques au bord de la faillite, les résultats de cette politique financière ne sont guère probants.
En revanche, Ahmadinejad s’est attaqué avec un courage certain au lancinant problème des subventions à la consommation que l’Iran partage avec un grand nombre de pays du Sud et dont la solution est financièrement impérative, socialement douloureuse et politiquement explosive. Après une première tentative en début de mandat, vite abandonnée devant les émeutes déclenchées par les chauffeurs de taxis de Téhéran, les sanctions internationales l’ont conduit il y a trois ans à reprendre le dossier.
L’essence manquait en Iran, pourtant deuxième pays exportateur de pétrole de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Les raffineries locales étaient incapables de suivre une demande dopée par la faiblesse des prix, et il a fallu en importer à prix d’or des volumes croissants. La contrebande avec les pays voisins battait des records et enrichissait des intermédiaires mal contrôlés par le régime. Il en allait de même pour les produits alimentaires de base, largement subventionnés et également très demandés.
Ahmadinejad est allé chercher la solution à... Washington, appliquant sans complexe une politique de relèvement substantiel des prix recommandée depuis des lustres par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Il l’a accompagnée de deux correctifs : l’octroi à chaque automobiliste d’un plein mensuel à bas prix, et aux couches les plus défavorisées d’une allocation financière directe. Là encore, le principe est emprunté aux institutions internationales qui prêchent en vain le remplacement des prix subventionnés, dont les riches profitent relativement plus que les pauvres, par de l’argent remis directement qu’ils sont libres d’utiliser comme ils le souhaitent.
Cette fois, il n’y a pas eu d’émeutes. La consommation de carburants, dans un pays qui fabrique bon an mal an un million de véhicules, s’est largement calmée et la contrebande a pratiquement cessé. Il en a été de même pour les produits alimentaires. En revanche, sur le plan financier, le budget de l’État n’a pas été autant soulagé que l’espéraient les promoteurs de la réforme. Pour sa défense, Ahmadinejad fait valoir que le parlement dominé par ses adversaires conservateurs et les juges lui ont mis des bâtons dans les roues. Les députés ont multiplié le nombre des bénéficiaires de l’allocation financière directe et augmenté substantiellement à plusieurs reprises cette dernière.
Enfin, Ahmadinejad a poursuivi une politique de puissance fort dispendieuse : l’Iran a lancé des satellites dans l’espace, renforcé son industrie militaire, développé ses capacités atomiques et soutenu sans compter ses rares, mais coûteux, alliés dans le monde. En sept ans, les recettes pétrolières ont atteint 630 milliards de dollars contre 173 milliards durant les sept années précédentes. Mais en 2012, elles ont baissé de moitié sous l’effet des sanctions occidentales. L’argent des ventes réalisées surtout en Asie, exemptée de représailles pour non-observation des sanctions par décision unilatérale de Washington, a le plus grand mal à être rapatrié en Iran en raison du boycott imposé par les grandes banques internationales.
La population accablée dans sa grande majorité par l’inflation et victime d’inégalités sociales qui se renforcent avec le développement anarchique d’entités au-dessus des lois veut que ça change et souhaite aussi la levée des sanctions internationales. Le futur président est-il prêt à faire ce qu’il faut ? Rien n’est moins sûr, car il ne sera qu’un « trois-quarts de président » pour reprendre la formule d’un expert, le leader algérien Abdelaziz Bouteflika. Car en Iran comme en Algérie, le vrai pouvoir appartient à d’autres qu’aux titulaires : au guide Ali Khamenei à Téhéran et à des généraux anonymes à Alger.
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