En mai 2021, l’escalade de la violence en Israël et en Palestine a rappelé à la communauté internationale que le conflit est loin d’être résolu. Alors qu’un cessez-le-feu a été mis en place, la stabilité dans la région reste fragile. Cependant, cette fragilité est due non seulement à l’imprévisibilité politique, mais aussi aux conditions économiques qui suscitent des signaux d’alarme.
Au cours des dernières décennies, les indicateurs économiques en Palestine n’ont cessé de se détériorer — et la crise de la Covid-19 a frappé un pays déjà à genoux. Comme la Palestine ne dispose pas de monnaie nationale, sa réponse économique face à la crise a été fortement limitée. Même avant la montée des tensions il y a quelques mois, la faiblesse de l’intervention du gouvernement et la pénurie en devises risquaient déjà de provoquer une crise économique sans précédent. Si la pénurie de devises aboutissait à une telle crise monétaire et bancaire, les Palestiniens ne pourraient plus retirer leur argent des distributeurs automatiques et l’inaccessibilité au crédit paralyserait l’économie. Dans ce contexte de fragilité — aggravé par les dégâts de l’escalade de la violence —, cela aurait de graves conséquences politiques et sociales pour une économie qui fonctionne en grande partie grâce à des liquidités. La seule solution serait une intervention de la communauté internationale, si celle-ci ne veut pas donner l’impression que les perspectives de paix sont totalement illusoires.
Un taux de chômage de 33 %
Comme nous l’avons montré dans une étude de 20181, la détérioration des conditions économiques pourrait entraîner une crise bancaire et monétaire. Avant que la pandémie de la Covid-19 frappe la Palestine, la croissance économique s’est ralentie à 1,2 % en 2018 et à 0,9 % en 2019. Le taux de chômage n’a pas cessé d’augmenter, atteignant un niveau de 33 % en 2019. De plus, la chute du soutien budgétaire des bailleurs de fonds et la rétention de recettes douanières par Israël ont mis le budget de l’Autorité palestinienne (AP) sous pression, de sorte que les dépenses publiques ont diminué de 29 points de pourcentage du PIB entre 2007 et 2019.
La plus grande source d’instabilité économique se trouve dans le secteur extérieur où les déficits persistants et élevés de la balance des paiements impliquent que les acteurs des économies étrangères fournissent les capitaux nécessaires au financement de ces déficits. Bien que la situation de l’économie palestinienne se soit améliorée par rapport au début des années 2000, lorsque le déficit commercial et le déficit des comptes courants avaient atteint respectivement 55 et 34 % du PIB en 2004, le déséquilibre reste significatif. En 2019, le déficit commercial (38 % du PIB) et le déficit des comptes courants (10 % du PIB) se trouvaient encore parmi les plus élevés au monde.
Ces déficits étaient principalement financés par la vente d’actifs étrangers, dont le stock est passé de près de 70 % en 2007 à 26 % du PIB en 2019. L’AP ne disposant pas d’une monnaie nationale, elle dépend du recours aux devises étrangères pour stabiliser l’économie et les marchés financiers. Par voie de conséquence, compte tenu de la diminution du stock de réserves en devises due au déséquilibre du secteur extérieur, ce n’est qu’une question de temps avant que la pénurie de réserves ne déstabilise les taux d’intérêt et ainsi provoque un resserrement du crédit, ce qui déclencherait une crise bancaire et monétaire.
Chute importante du PIB
La crise économique due à la pandémie a amplifié la pression sur l’économie palestinienne. En Cisjordanie, les estimations concernant l’ampleur du choc prévoient une chute du PIB réel entre 21 et 35 %. Ce choc majeur a touché une économie à bout de souffle et le gouvernement n’avait déjà guère de marge d’action pour y faire face. Les mesures prises à partir de mars 2020 comprenaient un budget d’urgence afin d’assurer le financement des dépenses sanitaires et d’autres services publics essentiels.
Alors que les autres pays en développement peuvent au moins obtenir les droits de tirage spéciaux du Fonds monétaire international (FMI) pour avoir accès aux devises, la Palestine n’est pas membre du FMI et ne peut, par conséquent, recourir à cette option. Jusqu’ici, le soutien de la communauté internationale était limité. Les Nations unies estiment que le soutien des donateurs est tombé à 266 millions de dollars (224,65 milliards d’euros) en 2020, le niveau le plus bas depuis une décennie. En plus, les recettes publiques et les envois de fonds de la diaspora se sont taris au cours de l’année 2020. Les recettes fiscales ont aussi diminué de 10 % à cause du confinement.
Afin de financer les dépenses les plus essentielles, l’AP a réduit les salaires des fonctionnaires, qui n’en ont reçu que 50 % de mai à novembre 2020. Elle a également dû accumuler des arriérés envers ses employés, ses fournisseurs privés et le fonds de pension public. En outre, l’AP a augmenté son emprunt auprès du secteur bancaire national, ce qui a fait passer son stock de dettes de 1,6 milliard (1,35 milliard d’euros) fin 2019 à plus de 2 milliards de dollars (1,69 milliard d’euros).
Ces emprunts ont aggravé les problèmes de liquidité de l’AP, et la marge de manœuvre pour des emprunts publics ou des garanties publiques pour des prêts du secteur privé a été fortement réduite. En cas d’emprunt public supplémentaire, le système financier risque d’être davantage déstabilisé. Faute d’une monnaie nationale et face à une situation économique qui se dégrade, le soutien financier et politique de la communauté internationale reste le seul moyen pour garantir la stabilité socioéconomique en Palestine.
Accéder à l’aide financière du FMI
À court terme, en plus d’un programme de vaccination beaucoup plus rigoureux et d’un cessez-le-feu durable, il est crucial que le système banquier et financier obtienne l’accès à des capitaux externes — aux conditions les plus avantageuses — pour assurer la liquidité et pouvoir compenser la faillite du secteur privé. À long terme, il sera primordial de trouver une solution durable quant à l’occupation israélienne et au déséquilibre dans le secteur extérieur.
Quant à la politique à court terme, il existe plusieurs solutions pour permettre aux autorités palestiniennes d’accumuler des réserves de change. Premièrement, comme les autres pays en développement, la Palestine devrait obtenir le droit d’accéder aux droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI. Bien que la Palestine ne soit pas un État membre de cette organisation et ne puisse donc pas bénéficier directement de ses accords de confirmation (AC) ou de ses allocations de DTS, des solutions existent. Depuis de nombreuses années, le FMI fournit une assistance technique afin de construire le système fiscal palestinien comme une étape intermédiaire vers « un futur État palestinien ».
Le FMI a souligné à plusieurs reprises dans ses rapports que l’AP a eu une excellente gestion des finances publiques et a fait des progrès en ce qui concerne le renforcement des institutions de l’État. Ainsi, rien n’empêche techniquement le Fonds d’accepter la Palestine en tant qu’État membre, ce qui serait la façon la plus facile d’apporter un soutien direct. L’admission de la Palestine en tant qu’État membre ne nécessite pas une reconnaissance, potentiellement controversée, de l’« État de Palestine », puisque l’article II sur l’adhésion au Fonds fait référence à des « pays » — un statut que l’on ne peut refuser à la Palestine.
Si la pleine adhésion ne pouvait néanmoins pas être accordée à court terme, pour quelque raison que ce soit, une autre option serait d’utiliser les facilités de DTS d’Israël et de la Jordanie (ainsi que d’autres pays arabes) dans le cadre des accords existants pour transférer les DTS vers les autorités palestiniennes, qui pourraient les échanger contre des réserves en devises fortes. Un tel changement permettrait à la Palestine d’être éligible à l’aide financière internationale pendant la crise de la Covid-19, sans implication politique ni juridique.
Le deuxième mécanisme de soutien consiste à fournir un appui financier direct. Cela pourrait prendre la forme de prêts à des conditions avantageuses telles que des échéances à long terme et un taux d’intérêt nul, une augmentation de l’aide des donateurs, ou la promesse d’achat de la dette palestinienne nouvellement émise. Les prêts à long terme et à taux zéro pourraient provenir de prêteurs et d’institutions multilatérales. En outre, l’aide d’instituts de développement gouvernementaux tels que l’USAID devrait être réinstaurée et généreusement étendue pour aider les Palestiniens à surmonter les difficultés économiques et sanitaires actuelles.
Enfin, en ce qui concerne le rachat de la dette palestinienne, l’AP et l’autorité monétaire palestinienne (AMP) pourraient émettre conjointement des consoles, c’est-à-dire des obligations à coupon zéro et à échéance infinie, dont le volume d’achat serait convenu et fixé par les banques centrales ou les banques d’investissement internationales. Cela aurait l’avantage de fournir des liquidités instantanées sans alourdir la dette nationale ou les positions de dépenses budgétaires des économies donatrices.
Troisièmement, afin de faciliter les opérations financières des autorités palestiniennes, l’AMP devrait pouvoir mettre en place des facilités de crédit avec la Banque d’Israël (BDI) et la Banque de Jordanie (BDJ). Cela permettrait à l’AMP d’avoir un accès rapide au nouveau shekel israélien (NSI) et au dinar jordanien (DJ), deux monnaies largement utilisées dans les territoires palestiniens, et de stabiliser les marchés financiers en cas de besoin. En outre, les banques palestiniennes devraient pouvoir accéder aux facilités de crédit pour les constitutions auprès d’autres banques palestiniennes, mais aussi israéliennes ou jordaniennes, ce qui fixerait une limite supérieure aux taux d’intérêt, constituant ainsi un pilier supplémentaire de la stabilité financière.
Des défis énormes à relever
Pour répondre à certaines préoccupations politiques que de tels arrangements pourraient soulever, toutes les parties pourraient se fier à des mécanismes de conditionnalité. L’AMP pourrait ainsi obtenir des prêts de sa facilité de crédit auprès de la BDI ou de la BDJ et les transmettre à l’AP, mais l’utilisation de ces prêts pourrait être limitée à régler les arriérés les plus urgents, à remédier aux contraintes de liquidité et à financer des investissements à long terme pour reconstruire les capacités productives après la crise. Un conseil composé à la fois de banquiers centraux palestiniens et israéliens pourrait surveiller ce processus. Cet arrangement permettrait un renforcement de la stabilité monétaire en Palestine, ce qui bénéficierait les citoyens, les entreprises et les institutions israéliennes, y compris la BDI, en facilitant et en sécurisant le service de la dette palestinienne.
L’occupation israélienne ainsi que les déséquilibres du secteur extérieur restent deux obstacles majeurs à un développement durable de la Palestine. Il est inconcevable de parvenir à une solution à deux États sans une émancipation de l’économie palestinienne et une amélioration du niveau de vie du peuple palestinien. Cela nécessite de faciliter les mouvements de biens et de personnes, une réforme du Protocole de Paris2 en suspens depuis longtemps, ainsi que des investissements publics pour revitaliser la base économique et d’inverser le déficit commercial en augmentant les exportations.
Les défis pour la paix et la stabilité à long terme restent énormes, et le seront d’autant plus si la communauté internationale n’intervient pas pour aider les autorités palestiniennes à empêcher un effondrement de leur économie. Ne pas réagir c’est risquer une crise bancaire et financière dans un contexte d’escalade des tensions et de la violence, avec des conséquences sociales et politiques qui pourraient, plus que jamais, éloigner les parties prenantes du chemin de la solution à deux États et de la paix durable.
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1Heiner Flassbeck, Patrick Kaczmarczyk, Michael Paetz, Macroeconomic Structure, Financial Markets, and the Financing of Government Activity : Lessons for Palestine, Palestine Economic Policy Research Institute, décembre 2018.
2NDLR. Le Protocole de Paris a été signé le 29 avril 1994 et « annexé » à l’Accord sur Gaza et Jéricho de mai 1994, puis incorporé avec des modifications mineures dans l’Accord d’Oslo II de septembre 1995. Il est le principal document organisant les relations économiques entre Israël et la Palestine.