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La Tunisie malade de l’implosion libyenne

Incertitudes économiques et sociales · Quatre mois après une percée constitutionnelle et politique sans précédent dans le monde arabe, la Tunisie n’a pas connu de changement significatif de son climat politique et social. Les investisseurs, qu’ils soient tunisiens ou étrangers, hésitent toujours à s’engager et l’aggravation de la crise libyenne ne les aide pas. Et si la classe politique se fait discrète sur le sujet, syndicats et patronat ne cachent pas leurs divergences sur la politique économique à suivre, alors qu’il faut trouver 10 milliards de dollars cette année.

L'image montre un kiosque de vente situé sur un trottoir. Le kiosque, de style ancien, est peint en bleu et abrite divers articles comme des snacks, des boissons et des produits de consommation courante, visibles à travers les vitres. À côté du kiosque, il y a deux hommes. L'un porte un t-shirt, tandis que l'autre est habillé en noir. En arrière-plan, on peut voir des bâtiments aux murs usés et des volets bleus. L'atmosphère a l'air animée et typique d'un marché ou d'une rue commerçante.
Dans la medina de Tunis.

La première Constitution à être adoptée par un parlement plutôt qu’imposée par l’exécutif comme c’est la règle générale depuis l’indépendance — et pas seulement en Tunisie —, l’alternance réussie entre un gouvernement dominé par les islamistes d’Ennahda et un cabinet composé pour l’essentiel de technocrates, n’auront pas suffi à changer le climat politique dans le pays qui a inauguré le Printemps arabe.

La confiance, contrairement aux attentes d’il y a quatre mois, n’est toujours pas revenue. Les signes négatifs ne manquent pas. Le dernier communiqué de la Banque centrale de Tunisie1, franchement sombre, établit que tous les indicateurs sont au rouge, sauf ceux de l’agriculture qui a bénéficié d’une bonne pluviosité cet hiver. Autrement, la croissance de l’économie au premier trimestre 2014 a été encore plus étriquée qu’il y a un an, le double déficit du budget de l’État et de la balance des paiements extérieurs courants encore plus élevés. Enfin les investissements étrangers s’effondrent, en dehors du secteur pétrolier qui s’en tient au minimum pour continuer à produire mais qui n’a pas réalisé un seul forage cette année. Du jamais vu depuis les débuts de l’aventure pétrolière tunisienne il y a plus d’un demi-siècle. Les grèves sont toujours aussi nombreuses, les salaires ne suivent pas les prix et les rares accords signés, comme avec les syndicats des recettes des Finances, ne sont pas appliqués.

L’enjeu sécuritaire

Les raisons de cette défiance généralisée tiennent d’abord à l’insécurité. La Tunisie s’est installée dans le terrorisme, au moins psychologiquement. L’attaque par une bande composée pour partie d’Algériens et de Libyens de la maison de famille du ministre de l’intérieur à Kasserine le 27 mai dernier, qui a fait quatre morts dans les rangs de la police, montre que personne n’est à l’abri. La passivité de la Garde nationale, dont la caserne est située à moins de 100 mètres du drame, n’est pas faite pour rassurer l’opinion, pas plus que la montée des périls en Libye, considérée ici comme un problème intérieur de la Tunisie, où résident 1,8 million de Libyens.

Depuis le 16 mai, un conflit armé oppose l’ex-général Khalifa Haftar au gouvernement de Tripoli dominé par les Frères musulmans. Pour une fois d’accord, Moncef Marzouki, le président de la République, le président du parti Ennahda Rached Ghannouchi et le chef de l’opposition Béji Caïd Essebsi, ont dans un premier temps condamné cette atteinte aux institutions civiles qui leur rappelait sans doute trop le complot d’un autre général, égyptien, celui-là. Mais surprise, moins de vingt-quatre heures plus tard, Ghannouchi a assoupli sa position et propose ce qui ressemble à une médiation entre les deux adversaires.

Avant le week-end, Tunis a connu une activité diplomatique inconnue depuis longtemps. Devaient s’y retrouver les « amis » de la Libye : d’abord les ministres maghrébins des affaires étrangères, puis, le lendemain, les grandes puissances. Las, les ambiguïtés que cachent mal les uns et les autres ont torpillé l’initiative dans l’œuf. « Manque de visibilité », a lâché le ministre tunisien des affaires étrangères… Et tant pis pour la Tunisie « responsable » qui rêve d’être débarrassée du cauchemar libyen, son voisin sert en effet à la fois de base arrière aux dirigeants d’Ansar Al-Charia Tunisie, de point de départ aux raids djihadistes et d’arsenal inépuisable d’armes souvent plus modernes que celles dont disposent les forces de l’ordre tunisiennes. Si Haftar réussit à s’imposer en Libye, la question de l’insécurité sera moins difficile à régler en Tunisie, espère-t-on encore à Tunis.

Quelles réformes économiques ?

Autre incertitude majeure, la conférence nationale, qui réunit partis politiques et partenaires sociaux et qui a à son actif d’avoir débloqué la situation politique au début de l’année, bute sur la définition d’une politique économique consensuelle. Le dialogue national sur la question qui devait démarrer le 28 mai a été repoussé au 14 juin. Le problème posé n’a rien d’original : il faut d’urgence réduire les dépenses publiques et augmenter les recettes du Trésor public. Comme c’est leur ligne depuis la révolution de janvier 2011, les hommes politiques se font discrets sur ces sujets qui sont à l’origine de la révolution de janvier 2011 mais qui appellent des solutions forcément impopulaires.

Restent face-à-face deux forces sociales, le syndicat et le patronat, l’Union générale des Travailleurs tunisiens (UGTT) et l’Union tunisienne des industriels, commerçants et artisans (Utica). La première entend que le gouvernement de transition de Medhi Jomaâ qui doit se retirer après les élections présidentielles et législatives2 prévues pour la fin de l’année s’en tienne à des « mesures d’urgence ». Le 28 mai, à la sortie de la réunion du dialogue national, le secrétaire général de l’UGTT, Hassine Abassi, a expliqué aux journalistes sa conception du rôle du gouvernement de Jomaâ : « il faut tout juste trouver des sources de financement pour remédier au déséquilibre de la balance des paiements ».

Et faire payer des impôts à ceux qui n’en payent pas. Le système fiscal pèse sur les consommateurs et les salariés mais épargne largement les entrepreneurs, les commerçants et les intermédiaires. Les salariés de l’État comme du privé sont astreints au paiement à la source tandis que les indépendants, qui sont les plus riches, sont imposés sur la base d’une déclaration volontaire qui n’est pratiquement jamais vérifiée. La réforme s’impose, expliquent, après bien d’autres, les syndicalistes.

L’Utica n’en veut pas — ses mandants en seraient les premières victimes — mais, reprenant les recommandations rabâchées des institutions internationales, elle préconise de réduire les subventions dont bénéficient l’énergie, certains produits alimentaires grand public et les transports en commun et qui sont estimées à plus de 7 % du PIB en 20133. Là, c’est la centrale syndicale qui se met en travers, tout au plus accepte-t-elle que les couches qui ne sont ni populaires ni moyennes soient affectées. Cela fera-t-il le compte ? On peut en douter.

Dix milliards de dollars à trouver

Au casse-tête des subventions s’ajoute celui des impayés : les Tunisiens paient de moins en moins volontiers leurs factures d’électricité, d’eau ou leurs billets de train. À la Société tunisienne d’électricité et de gaz (STEG), les impayés représentent plus de 20 % du chiffre d’affaires. Si on ajoute ceux de la Société nationale des eaux (Sonede) et des chemins de fer, c’est presque un milliard de dinars de recettes qui s’évaporent.

Mehdi Jomaâ, au cours de sa tournée de printemps auprès des bailleurs de fonds dans le Golfe d’abord, à Washington et en Europe ensuite, a promis de réduire le déficit budgétaire de 1,5 milliard de dinars en 2014. L’effort est méritoire, le précédent gouvernement ayant laissé à son successeur le paiement d’un certain nombre d’ardoises clientélistes intervenues en 2013. Il est aussi destiné à convaincre que le pays fait des efforts pour surmonter ses difficultés. Il faut trouver pour cette année quelque 10 milliards de dollars pour financer le déficit courant et le remboursement de la dette extérieure (57 % du PIB). Le gouvernement espère y parvenir. La Tunisie n’est-elle pas la seule vitrine présentable du Printemps arabe ?

1Communiqué du Conseil d’administration de la BCT du 28 mai 2014 : «  Le Conseil a relevé le ralentissement de la croissance économique durant le premier trimestre de l’année en cours (2,2 % en glissement annuel contre 2,7 % pour la même période de l’an passé)  ».

2L’accord a été conclu sur le principe d’organiser à des dates différentes les élections présidentielles et les élections législatives. Mais il n’y pas encore d’accord sur l’ordre dans lequel les deux élections doivent avoir lieu.

3Med Dhia Hammami, «  Les b.a.ba de la Caisse de Compensation  », Nawaat.org, 29 mai 2014.

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