Le « chaos constructif » s’étend dans le Sahel

En janvier 2013, la France lançait l’opération Serval qui devait porter un coup d’arrêt à des groupes terroristes. Cinq ans plus tard, rien n’est réglé et le chaos s’étend dans la région, chaos dont seuls profitent les entreprises de sécurité et d’armements.

Soldat français du DLAO basé dans le village d’Ansongo dans le cadre de l’opération Barkhane.
Fred Marie, décembre 2015.

Le 21 octobre 2017 s’est tenue à l’hôtel Radisson Blu de Bamako au Mali une réunion afin de faire le point sur les « derniers développements de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger1 et encourager les parties signataires à accélérer sa mise en œuvre. » À l’issue de cette réunion entre les ambassadeurs des pays membres du Conseil de sécurité des Nations unies et les membres du Comité de suivi de l’accord (CSA), un point de presse était organisé par ces derniers. Devant un parterre de journalistes, l’ambassadeur algérien et président du CSA Ahmed Boutache, tout en saluant les avancées enregistrées, a exhorté les parties à « un redoublement en termes de volonté, davantage de sincérité dans l’engagement et surtout, une plus grande confiance entre les parties et une coopération plus dense entre elles pour permettre à tous d’être au rendez-vous de l’Histoire […] ».

Plus de deux ans après la signature de l’accord d’Alger, force est de constater que la situation sécuritaire au Mali demeure précaire. Plus encore, le Sahel est devenu une dangereuse poudrière où l’atmosphère est pesante. Pas un jour ne se passe sans qu’il n’y ait une attaque, un vol de véhicule, d’armes ou un kidnapping. Très souvent, ces actes ne sont même pas rapportés par la presse nationale ni, bien entendu, internationale. L’« effet domino » sur les pays voisins est maintenant tangible, comme en attestent les récentes attaques au Niger. Ainsi, le 21 octobre — le jour même de la réunion tenue à Bamako —, une attaque contre un poste de gendarmerie a fait 13 morts à Ayorou, à 200 kilomètres au nord-ouest de la capitale Niamey, dans la région de Tillabéri, non loin de la frontière avec le Mali. Le 4 octobre 2017, 8 soldats (4 Américains et 4 Nigériens) trouvaient aussi la mort dans une embuscade dans cette même région. Pour rappel, selon l’ONU, au moins 46 attaques de groupes armés au Niger ont eu lieu dans la région de Tillabéri en 2016.

Sous pavillon français

Terrorisme, contrôle de l’immigration africaine vers l’Europe, stabilité, lutte contre le narcotrafic sont autant d’explications mises en avant afin de justifier la croissante présence militaire étrangère au Mali, mais aussi dans les pays voisins. Il est toutefois difficile de croire que ces arguments suffisent à l’expliquer. Car si l’opération Serval (2013-2014) a empêché la scission du Mali en deux, celle qui lui a succédé en 2014, à savoir l’opération Barkhane qui officiellement étend son quadrillage à la Mauritanie, au Niger, au Burkina Faso et au Tchad mais déborde officieusement au sud de la Libye et dans le nord du Nigeria n’a rien apporté de bon.

En outre, se pose la question de la pertinence du G5 Sahel (Mali, Mauritanie, Tchad, Niger et Burkina Faso), dont le secrétariat permanent fait face — tout un symbole — à l’énorme bâtisse de l’ambassade de France à Nouakchott en Mauritanie. Il est en effet légitime de s’interroger sur son éventuelle efficacité militaire face aux menaces terroristes de la région, efficacité qui serait conditionnée par le fait que ce groupe est sous « pavillon » français. L’aspect du financement ne peut à lui seul apporter une réponse satisfaisante. Pour rappel, si le poste de commandement opérationnel du G5 est installé au Mali, la relation hiérarchique réelle de Paris sur le G5 Sahel passe par une cellule de coordination et de liaison accolée au poste de commandement de Barkhane.

Il est tout autant permis de douter de l’efficacité des troupes nigériennes, tchadiennes ou burkinabées sur les terrains escarpés maliens face aux terroristes aguerris que même l’armée malienne, pourtant habituée n’est pas en mesure de défaire. Aussi, le risque est-il grand que ce G5 Sahel ne se transforme en réservoir d’armes pour les terroristes qui, après avoir tué ou neutralisé de nombreux soldats n’auront plus qu’à récupérer toutes leurs armes et munitions. À cet égard, une armée malienne reconstituée d’hommes de l’Azawad2 connaissant la topographie malienne et proches des populations locales serait sans aucun doute plus efficace face aux terroristes.

Par ailleurs, cette présence militaire étrangère est de plus en plus mal perçue et vécue au sein des populations maliennes et nigériennes. Au Niger, les gens se posent énormément de questions sur cette noria de militaires, ONG et autre diplomates. Et pour cause ! D’Agadez à Niamey en passant par Madama, Diffou ou encore Zinder, les bases étrangères fleurissent partout au Niger. La visibilité croissante des forces militaires occidentales aux portes mêmes de Bamako n’est elle non plus pas faite pour rassurer les Maliens. À cela s’ajoutent les violences et brutalités contre des civils par des troupes africaines appuyées par les forces françaises, ou bien encore les « bavures » comme cet enfant tué dans le cadre de l’opération Barkhane en novembre 2016.

Lors de la clôture de session d’un séminaire récemment co-organisé à Bamako par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), le ministre malien des affaires étrangères, de l’intégration africaine et de la coopération internationale Abdoulaye Diop déclarait qu’aujourd’hui s’ouvrait « un partenariat stratégique entre le G5 Sahel et la francophonie. » Il n’est pas certain qu’un tel partenariat puisse apporter la solution aux problèmes sécuritaires de la région. Plus encore, un tel partenariat ne ferait que renforcer cette « dépendance » des États du Sahel vis-à-vis de la France. Ce qui ne serait in fine bon ni pour Paris ni pour les pays sahéliens. Car le mécontentement des populations, s’il n’est pour l’instant pas très audible, est tout de même bel et bien là.

« Qui contrôle le Mali contrôle l’Afrique de l’Ouest »

Les séminaires et autres tables rondes sur le Sahel tenus dans la région se multiplient, maintenant ainsi l’industrie hôtelière à flot. Mais la plupart de ces séminaires clonés aux noms aussi similaires que répétitifs, parlant de « transparence », de « bonne gouvernance » et autres ne débouchent au final sur rien d’autre que des déclarations de bonnes intentions. Tout en permettant à leurs organisateurs de justifier de leurs financements auprès des bailleurs. Le drame qui se joue vraiment au Sahel est quant à lui totalement oublié, oblitéré. Les non-dits des États, des autorités régionales et des forces extérieures présentes sur le terrain ne sont nullement débattus, sinon en aparté entre amis et collègues. Pourtant, la région du Sahel est un bloc géographique d’une instabilité chaotique dont nul ne saurait prévoir la fin. Une chose est certaine : il est permis de douter d’un clap de fin heureux pour les pays et populations du Sahel.

Nonobstant toutes ces interrogations, il est important de se souvenir du théoricien gourou et économiste américain Milton Friedman (1912-2006), qui expliquait que « seule une grande crise — réelle ou perçue — produit des changements réels. » À cet égard, l’intervention militaire française au Sahel n’est pas sans coûts financiers. Coûts que la France se doit d’optimiser sur ces marchés africains à développer. Et notamment les marchés « de sécurité et de défense » qui occupent une place privilégiée en Afrique. Et le moins que l’on puisse dire est que le secteur de sécurité privé au Mali et au Niger est florissant, et celui de l’industrie des armes « made in France » bien portant.

Le bruit des bottes militaires côtoie, mais aussi et surtout couvre les rumeurs et autres murmures de mécontentement au sein des populations sahéliennes. Mais si les militaires ignorent ou ne comprennent pas les chuchotements des Maliens et Nigériens, ces derniers au contraire voient énormément de choses se tramer sous leurs yeux, dans leur propre pays. Et s’ils n’en saisissent pas tous les contours et finalités, il n’en demeure pas moins qu’ils se posent énormément de questions. Les Peuls disent : « fêram boni », c’est-à-dire il n’y a plus de stratégie, plus de vision stratégique. Plus que de soldats et de bases militaires occidentales, ce dont ont besoin les pays du Sahel est bien de cela : une stratégie commune, endogène et régionale. Sinon, ni le Mali ni aucun des autres pays voisins ne pourront assurer la sécurité et la stabilité tant nécessaires au développement économique de la région.Comme le dit le Malien Doulaye Konaté de l’association des historiens africains dans le documentaire Guerre de l’ombre au Sahara3, « qui contrôle le Mali contrôle l’Afrique de l’Ouest, si ce n’est toute l’Afrique. » Sans doute la réponse à toutes ces norias militaires et diplomatiques se trouve-t-elle là.

1NDLR. Dit aussi « Accord d’Alger », signé le 15 mai et 20 juin 2015 à Bamako après des négociations menées à Alger entre le Mali et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), une alliance des groupes armés touaregs et arabes.

2NDLR. Azawad : territoire presque entièrement désertique situé dans le nord du Mali et recouvrant des zones saharienne et sahélienne. Des groupes séparatistes touaregs ont proclamé son indépendance en 2012, avant d’y renoncer l’année suivante.

3Bob Coen et Éric Nadler, 2013, Coproduction ARTE France, Crescendo Films.

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