Le Maghreb va-t-il rapatrier ses « clandestins » partis en Allemagne ?

Le ministre allemand de l’intérieur a effectué un voyage début mars dans les trois capitales du Maghreb pour accélérer le retour chez eux des déboutés du droit d’asile et autres sans-papiers. Avec un succès inégal selon les pays. Rabat et Tunis promettent de jouer le jeu, Alger y met des conditions. Mais la morale et le respect des droits humains ne souffriront-elles pas du précédent allemand que pourraient par ailleurs invoquer d’autres pays européens, dont la France ?

Thomas de Maizière à l’issue de son entretien avec son homologue marocain Mohamed Hassad (à gauche).
MAPTV Maroc, 29 février 2016 (copie d’écran).

Après des semaines d’âpres discussions entre les partis de la coalition au pouvoir à Berlin, chrétiens-démocrates (CDU/CSU) et socio-démocrates (SPD) allemands ont trouvé un compromis, en pleine crise migratoire1, sur la réforme du droit d’asile réclamée par une partie de l’opinion. Un projet de loi sera examiné d’ici le 12 mars pour accélérer et généraliser la réadmission des déboutés du droit d’asile dans leurs pays d’origine.

Parmi les propositions retenues se trouve l’octroi d’un label de « pays sûrs » au Maroc, à l’Algérie et à la Tunisie dont des milliers de ressortissants ont pris en 2015 la route des Balkans. Turkish Airlines, la compagnie nationale turque, assure un vol quotidien entre Casablanca, Alger et Tunis et la Turquie qui, à la différence des 28 États de l’Union européenne, n’exige pas de visa. Ensuite, les passeurs organisent le passage vers la Grèce et l’Europe centrale et du Nord. Les conditions à remplir par un État pour être admis dans la catégorie des « pays sûrs » sont au nombre de deux : absence de risque de persécution politique et absence de traitements inhumains (donc abandon de la peine de mort). Les gouvernements concernés en tirent de la considération politique et la promesse implicite de ne plus être mis au pilori pour leurs infractions aux droits humains. Leurs ressortissants présents clandestinement en Allemagne, eux, courent le risque d’être à l’avenir renvoyés automatiquement chez eux.

Le Maroc, « pays sûr » compréhensif

Le ministre fédéral de l’intérieur Thomas de Maizière, 61 ans, un juriste chrétien-démocrate qui a tenu plusieurs portefeuilles régaliens, était au Maghreb entre le 29 février et le 1er mars accompagné de deux ministres de l’intérieur de Länder, pour présenter le compromis de Berlin et y rallier les trois gouvernements concernés. L’accueil a été, dans l’ensemble, compréhensif. Au Maroc, le ministre en charge des résidents marocains à l’étranger (MRE) a exprimé sa « satisfaction ». Son collègue de l’intérieur, Mohamed Hassad, a accepté que soient « traités » en priorité les ressortissants marocains qui ont tenté de se faire passer pour des Syriens. L’année dernière, selon l’Office fédéral des migrations et des réfugiés (Bundesaft für Migration und Flünchtlinge, BAMF), sur 10 000 Marocains arrivés en Allemagne, 370 ont été reconnus comme demandeurs d’asile. Selon les services de police allemands, 2 400 autres auraient été identifiés à partir de leurs empreintes digitales. Un premier groupe de 29 sujets de sa Majesté serait renvoyé au Maroc par vol régulier sans qu’aucune limite ni quota ne soit imposé aux expulsions. Enfin, la police marocaine mettra à la disposition de ses homologues allemands les empreintes digitales stockées dans ses fichiers, promettant de répondre à toute requête d’identification en moins de 45 jours.

Réticence algérienne

L’étape d’Alger s’annonçait d’emblée moins prometteuse. Des trois gouvernements, celui d’Abdelmalek Sellal est le moins enclin à faire délivrer par ses consulats du Vieux Continent le « laissez-passer consulaire » indispensable pour rapatrier chez eux les sans-papiers déboutés du droit d’asile. Les consuls d’Algérie ont la réputation d’être les plus réticents à reconnaître la nationalité de leurs compatriotes. À Berlin, le 13 janvier, le premier ministre avait déjà abordé le sujet au cours d’une conférence de presse avec la chancelière Angela Merkel. À la suite des incidents survenus à Cologne le 31 décembre 2015 au cours desquels plusieurs centaines d’Allemandes ont été prises à partie par des hommes « de type arabe ou nord-africain », neuf Algériens ont été mis en cause. Angela Merkel a demandé qu’Alger reprenne ses ressortissants déboutés du droit d’asile, ce qui visiblement n’est pas le cas actuellement. Sellal s’en était tenu au discours officiel en la matière : « oui, s’ils sont Algériens », c’est-à-dire s’ils possèdent des papiers officiels algériens (passeport ou carte d’identité), ce qui est rarement le cas. La chancelière a mal pris ce refus exprimé en public et en sa présence. La Chancellerie a mis peu après les points sur les i : « Tous les étrangers auxquels, après une procédure équitable, il est notifié qu’ils n’ont pas le droit de rester, doivent quitter le pays. Cela vaut aussi, bien sûr, pour les ressortissants de pays d’Afrique du Nord et il faut discuter de la manière de rendre ces reconduites possibles », a insisté peu après son porte-parole, Steffen Seibert. « Nous avons un accord de réadmission, ça veut dire que sur le papier tout est en règle, mais dans la pratique, il ressort que c’est très problématique dans certains cas. Et il faut en parler pour que la pratique soit en accord avec le cadre juridique ». L’absence de papiers nationaux ne doit donc plus être un obstacle à la réadmission des déboutés du droit d’asile ou du permis de séjour.

En public, le ministre algérien de l’intérieur Noureddine Bedoui s’est placé ostensiblement sous le signe de la lutte contre le terrorisme, « phénomène transnational », et a évoqué du bout des lèvres l’accord algéro-allemand qui doit concerner également la contrebande, la criminalité organisée et l’immigration clandestine. Cet accord est en négociation depuis des années et devrait être accéléré après la visite de Thomas de Maizière qui a obtenu une promesse : la réadmission dans leur pays de 500 jeunes Algériens incarcérés dans les prisons allemandes, cependant à la double condition que « les reproches soient établis » et sans recourir à des charters. Les « détails » du futur accord d’extradition et de son application sont confiés aux polices des deux pays.

Renvoi d’ascenseur à Tunis

C’est à Tunis que la négociation a été la plus facile. Le « projet pilote » imaginé par les autorités allemandes y sera testé avant d’être généralisé, en l’occurrence par un groupe de 20-25 déboutés rapatriés chez eux par charter, a annoncé de Maizière2. Depuis la révolution de 2011, l’Allemagne a fait un gros effort en faveur de la Tunisie où sa présence économique était déjà importante. Deux cent cinquante entreprises y sont installées et ont continué à investir malgré les difficultés, l’armée allemande aide à achever le mur qui doit isoler la Tunisie de la Libye et les fondations allemandes sont très actives sur la scène politique et intellectuelle tunisienne.

Et les droits humains ?

La presse allemande n’a pas caché son scepticisme quant aux résultats concrets de la tournée de Thomas de Maizière. « À court terme, ce n’est pas faisable sans marchandage avec des gouvernements louches », écrit le quotidien de Berlin Tageszeitung du 2 mars, « la morale et les droits humains passent au second plan ». De son côté, le quotidien algérien El Watan s’interroge : « l’accord signé entre Alger et Berlin pourrait bien poser de sérieux soucis aux autorités algériennes, qui devront faire face à ce mouvement de retour de jeunes qui ont fui le pays à la recherche d’une “vie meilleure” »3 Autre crainte, le précédent allemand ne sera-t-il pas invoqué, s’il fonctionne, par d’autres pays d’Europe abritant des Maghrébins déboutés du droit d’asile ou sans-papiers ?

1En 2015, 1,25 million demandeurs d’asile sont arrivés dans l’Union européenne dont 35 % en Allemagne. En dehors des ressortissants du Proche-Orient (Syrie, Irak), d’Asie centrale (Afghanistan, Pakistan et Iran) et des Balkans (Albanie, Kosovo), 325 510 viennent d’autres pays, dont le Maghreb, sans qu’Eurostat ne fournisse leur nombre. (Eurostat, Bruxelles, 4 mars 2016).

2AFP, 1er mars 2016.

3Hacen Ouali, « Que fera le gouvernement avec ses migrants ?, Elwatan.com, 3 mars 2016 ».

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