Le Maroc à l’assaut de la planète football

Qui organisera la Coupe du monde 2026 ? · Alors que s’ouvre le 14 juin la Coupe du monde de football à Moscou, le Maroc mène une diplomatie active pour en être l’organisateur en 2026, à la suite du Qatar (2022). Quelles sont les ambitions du royaume en matière sportive ? Peut-il faire concurrence à la candidature de l’Amérique du Nord (États-Unis, Canada, Mexique), alors que, pour la première fois, ce sont les 207 membres de la FIFA qui devront décider ?

Fouzi Lekjaa (g.), président de la FRMF et Gianni Infantino (d.), président de la FIFA.
DR, 2016

À rebours d’initiatives sportives et diplomatiques ayant eu pour effet de rapprocher par le passé des États aux relations difficiles, la stratégie sportive marocaine s’inscrit dans un processus de très longue durée. En effet, après quatre tentatives infructueuses (1994, 1998, 2006 et 2010), le Maroc s’est lancé à nouveau dans la course à l’organisation de la Coupe du monde. Pour convaincre « la planète foot » de son attractivité à l’aune du cahier des charges de la Fédération internationale de football (FIFA) dont les attendus et les critères d’évaluation se sont complexifiés (passage à 48 équipes), le royaume s’est entouré de l’expertise technique et stratégique de Mike Lee et de son agence Vero Communications (Londres 2012, Rio 2016, Paris 2024, Qatar 2022), mais aussi de Hamid El-Kadiri, patron de l’agence marocaine Klem et sa filiale spécialisée en marketing sportif, 1896 Sports Management, ainsi que de l’agence de communication française Keneo MKTG.

Catalyseur des politiques éducatives

La candidature marocaine a été officiellement présentée le 17 mars dernier à Casablanca. Le président du comité de candidature et actuel ministre de l’industrie et du commerce Moulay Hafid Elalamy prévoit un budget d’investissement à hauteur de 15,8 milliards de dollars (13,39 milliards d’euros), dont 3,2 milliards (2,71 milliards d’euros) venant du secteur privé et 9,6 milliards (8,14 milliards d’euros) couverts par le budget de l’État. Ce montant — légèrement supérieur à celui de la Coupe du monde au Brésil — sera alloué à la mise à niveau d’équipements existants et à la réalisation de grands projets d’infrastructures pérennes tels que des stades modulaires, de nouvelles lignes ferroviaires et des autoroutes, l’amélioration du système de santé ou encore l’accroissement des capacités hôtelières. Néanmoins, si certains plans de financement ont déjà été budgétés avant le dossier de candidature, l’examen de certaines orientations du « Bid Book » (dossier de candidature) témoignent, dans ce contexte, de perspectives inédites.

L’héritage d’une Coupe du monde est un actif à valoriser. Il ne peut se limiter aux infrastructures sportives ; il se mesure plutôt à la capacité à bénéficier des effets catalyseurs et structurants d’un projet dans les domaines social, économique et environnemental. En effet, comme le souligne le chercheur Pierre-Olaf Schut, « L’héritage des grands évènements sportifs a longtemps été centré sur les infrastructures sportives. Mais les équipements démesurés laissés à l’abandon du fait de leur coût de fonctionnement trop élevé constituent un fardeau pour les générations futures »1. L’article 33 de la nouvelle Constitution marocaine du 1er juillet 2011 souligne la place de la jeunesse, du sport et de la culture au cœur d’un système vertueux de croissance.

Les pouvoirs publics ont pour mission de mobiliser l’ensemble des acteurs permettant de soutenir cette nouvelle politique éducative et sportive. À cet effet, les investissements publics menés depuis plusieurs années avec le déploiement des filières sports-études, mais aussi la réorganisation de l’Institut royal de formation des cadres de la jeunesse et des sports, le développement d’académies sportives d’excellences ou la réalisation des centres socio-sportifs de proximité sont autant d’exemples de politiques menées en matière d’éducation et de cohésion sociale.

Stratégie de marketing et « soft power »

Objectif annoncé lors des assises nationales du sport à Skhirat en octobre 2008 avec le lancement de la stratégie de développement touristique durable « Vision 2020 », les dirigeants marocains ont décidé d’investir le calendrier annuel des manifestations sportives mondiales et continentales, en renforçant par ce biais la visibilité du royaume au sein des instances sportives internationales. En effet, comme le souligne le géographe Loïc Ravenel dans l’ouvrage collaboratif Atlas du sport mondial. Business et spectacle : l’idéal sportif en jeu (éditions Autrement, 2010), les référents spatiaux traditionnels du sport se transforment. En d’autres termes, la mondialisation soustrait progressivement le monopole des puissances traditionnelles du sport en favorisant la multipolarisation des évènements sportifs. Cette stratégie, dite de « marketing mondial de positionnement », s’illustre pour le royaume à travers une politique extravertie d’accueil d’évènements sportifs : le trophée Hassan II de golf, qui compte pour l’European Tour depuis 2010, mais aussi le meeting international Mohammed VI d’athlétisme à Rabat, des tournois de tennis, dont l’ATP 2502 de Marrakech, ou encore un Grand Prix international automobile. À cette liste, il faut ajouter l’organisation de la Coupe du monde des clubs de la FIFA en 2013 et 2014, le championnat d’Afrique des nations (CHAN) et la Coupe du monde de judo en 2018.

Mais le sport apparaît également comme la vitrine de projection de l’image du Maroc en Afrique et dans le monde. Le royaume inscrit cette stratégie dans le cadre du soft power  : le sport deviendrait une ressource capable de susciter de l’attractivité et un capital sympathie dans l’échiquier mondial des influences géopolitiques. Le soft power est en effet un pouvoir multidimensionnel qui réinvestit la capacité à développer une influence « positive » sur une multitude d’acteurs très divers, tels que les États, les gouvernements, les médias, les ONG ou encore les fédérations. L’exemple de la diplomatie sportive qatarie manifeste, à l’heure des sociétés mondialisées, le savoir faire d’un micro-État — qui inquiète autant qu’il fascine — à façonner des opinions publiques. S’appuyant sur les travaux des chercheurs John Mark King sur les occurrences thématiques du Qatar dans les médias3 et de l’historien J. E. Peterson, qui s’interroge sur la capacité des micro-États à jouer de leurs différences pour exister sur la carte du monde4, Anthony Ryman, directeur du cabinet de conseil Wandilla et spécialiste du Qatar avait tenté de mettre en évidence dans son article « Building the Qatari brand, from the Ground up » (Qatar Today, 15 septembre 2012) dans quelle mesure le Qatar pouvait imaginer construire, à la manière d’une firme transnationale, une stratégie pour rehausser son image sur la scène internationale.

Conscient de la perception ambivalente qu’il véhicule et des clichés dont il s’estime victime, nous avions souligné dans une recherche académique que cette stratégie qatarie était caractérisée par deux principes. Le premier est que ce sont les émotions qui construisent le regard de l’autre et offrent la possibilité d’interagir avec l’individu. La seconde est que nul ne peut prétendre « se vendre » au monde s’il n’est pas d’abord repéré. Ainsi, pour augmenter son attractivité, il a fallu aux décideurs qataris reformuler dans le champ des perceptions la narration du pays : son identité (que suis-je ?) et sa réputation (l’image voulue) ; mais aussi la vision du pays (où voulons-nous aller ?). Ces trois niveaux de reformulation devaient permettre de susciter les conditions d’une attraction inévitable vers quelque chose d’unique et de singulier à raconter. C’est dans cette optique que le sport et le football en particulier sont très vite apparus comme les meilleurs vecteurs pour atteindre cette ambition, car leur exposition répétitive permettait de garantir a priori une meilleure représentation du Qatar dans le monde.

Créer la surprise

Instrument ou politique incontournable ? Contrairement au Qatar ou aux Émirats arabes unis, l’économie marocaine n’est pas assise sur d’énormes surcapacités d’investissement. En effet, les décideurs marocains n’ambitionnent pas encore de construire une véritable industrie sportive intégrée dans la mondialisation économique du sport. Les ressources financières ne proviennent pas d’accumulations d’excédents en matières premières, mais de financements intégrés dont l’objectif est d’abord de restructurer le paysage sportif national pour permettre au pays d’accueillir des évènements sportifs internationaux. Le 13 juin, le 68e congrès de la FIFA désignera le prochain pays organisateur de la Coupe du Monde 2026. Face à la candidature nord-américaine (Canada/USA/Mexique), le Maroc devra réunir au moins 104 voix parmi celles des 207 membres de la FIFA. Le retour du pays au sein de l’Union africaine (UA) devrait lui permettre d’engranger le soutien de la quasi-unanimité des 55 votants de la Confédération africaine de football (CAF). Réussira t-il à créer la surprise ?

2NDLR. Classement des joueurs professionnels de l’Association of Tennis Professionals (ATP).

3« Nation Branding : Coverage and perception of Qatar in Major World Newspapers », Business Research Yearbook, n° 2, 2008 ; p. 27-32.

4« Qatar and the World : Branding for a micro-state », Middle East Journal, n° 4, Washington D. C, 2006 ; p. 732-748.

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