Le 1er juin dernier, reconduit depuis peu, le premier ministre Abdelmalek Sellal a prononcé son discours de politique générale qui était la copie conforme de celui qu’il avait énoncé devant les mêmes députés en septembre 2012 et qui ressemblait comme un frère à celui de son prédécesseur en 2009. Un catalogue d’idées générales et de principes intemporels. Seule surprise, mais de taille celle-là, il a, pour la première fois dans la bouche d’un officiel algérien, confirmé la « mauvaise nouvelle » connue jusque-là des seuls initiés : en 2030, « ce que nous produisons, nous le consommerons nous-mêmes, sans pouvoir exporter à long terme… ». S’agit-il de tous les hydrocarbures liquides et gazeux ? Le premier ministre est resté dans le flou mais, semble-t-il, ce sont les exportations de gaz naturel, représentant une petite moitié des recettes en devises du pays, qui sont menacées d’extinction d’ici quinze ans. En clair, l’Algérie est menacée du syndrome égyptien : devenir un pays importateur d’hydrocarbures après avoir été exportateur pendant plus d’un demi-siècle.
Que faire ? Réponse de Sellal : « Ce serait un péché de ne pas exploiter le gaz non conventionnel, car on mettrait l’avenir des générations futures en péril ». Si l’on en croit le département américain de l’énergie, le sous-sol algérien renfermerait les troisièmes réserves mondiales « probables » de gaz de schiste, il n’y a donc pas d’autre option que de se lancer dans l’aventure en dépit de ses incertitudes et de ses dangers, a décidé le régime1.
« Capitalisme de copinage »
Il y a pourtant d’autres pistes que ce modèle reposant exclusivement sur des ressources fossiles. Elles sont défendues par des professionnels, d’anciens ministres de l’énergie et d’anciens PDG de la compagnie nationale, la Sonatrach, comme on a pu le voir au début de l’année lors d’un colloque consacré justement au « Développement économique et à la transition énergétique »2.
Et d’abord agir sur la demande intérieure. Si l’Algérie manque de gaz, c’est à cause du spectaculaire emballement de la demande intérieure d’énergie qui croit de 7 à 10 % par an. Ce n’est pas l’industrie qui en est responsable mais les ménages qui se motorisent (un demi-million d’automobiles importées chaque année) et s’équipent en climatiseurs (la pointe de la consommation électrique se situe désormais en été). Rien là que de très normal sauf qu’ils y sont encouragés au-delà du raisonnable par une politique des prix proprement démagogique. Depuis 2003, les tarifs des carburants, du gaz ou de l’électricité n’ont pas bougé. Le prix du litre d’essence ne dépasse pas 0,2 € et, compte tenu de l’inflation enregistrée depuis plus de dix ans, les factures de Sonelgaz, l’EDF-GDF algérien, ont été divisées par deux, sinon par trois et sont loin de couvrir les coûts des fournisseurs que sont toutes des entreprises publiques. Commençons par relever les prix, cela modérera la consommation et libérera des volumes exportables, réclament les partisans d’une plus grande vérité des prix, ce à quoi s’opposent, avec une rare constance, les gouvernements successifs du président Abdelaziz Bouteflika, de peur de déclencher une bronca sociale.
Autre piste, la sortie de la « monoculture » des hydrocarbures et la diversification de l’économie. L’heure n’est-elle pas venue pour l’Algérie de se donner les capacités d’exporter non plus des ressources fossiles, forcément temporaires, mais des biens et des services comme l’ont fait tous les pays émergents depuis une bonne quarantaine d’années ? Sur le papier, tous les responsables sont d’accord et on ne compte plus les discours exaltant la diversification de l’économie et la sortie du « tout pétrole » dans les discours ministériels et les congrès politiques ou syndicaux. Mais pour y parvenir, il faudrait changer en profondeur les règles et les habitudes, alléger les contraintes et la bureaucratie. On en parle, mais rien ne se passe et l’Algérie collectionne les dernières places dans les classements internationaux sur le climat des affaires ou la justice. À l’évidence, le « capitalisme de copinage » financé par la rente pétrolière convient à l’élite au pouvoir.
Autisme officiel
Les spécialistes des hydrocarbures, comme Sid Ahmed Ghozali qui fut l’un des fondateurs de la Sonatrach, s’étonnent du choix du non conventionnel et plaident pour le conventionnel, moins difficile et moins coûteux à exploiter, sans parler des risques pour l’environnement. « S’il est raisonnable de penser que nos ressources financières et humaines ne sont pas illimitées, il faut donc commencer par investir pour développer ce qui coûte le moins, c’est-à-dire le conventionnel », déclarait Ghozali au journal TSA Algérie3, sans oublier le solaire ou l’éolien, secteurs dans lesquels l’Algérie est à la traîne sur ses voisins maghrébins. Son Programme national de développement des énergies renouvelables (PNDER) adopté en 2011, tarde à se concrétiser sur le terrain.
Comment expliquer cet autisme officiel et cet entêtement à ne jouer dans cette partie difficile qu’une seule carte, le gaz de schiste ? Les raisons en sont politiques. Le régime a besoin pour survivre de disposer d’une rente qui ne doive rien au travail ni à l’énergie de la grande majorité des Algériens (Moins de 1 % de la population active travaille dans les hydrocarbures) et qu’il puisse utiliser à son gré, loin de tout contrôle parlementaire ou institutionnel. Deux tiers de l’énorme budget de l’État sont directement financés par la rente, ce qui permet une dépense publique pléthorique au bénéfice de millions de « clients ». Une récente journée d’études sur le « régime politique algérien » tenue par des spécialistes venus d’Algérie comme d’Europe, l’a bien montré : plus encore que la répression, c’est le clientélisme et le patronage qui dominent aujourd’hui la gouvernance du pays. Si, pour alimenter les finances publiques, la rente doit être à l’avenir remplacée par l’impôt supporté par les entreprises comme par les particuliers, il sera plus difficile pour le régime d’en disposer à sa guise sans prendre l’avis des contribuables…
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1Sur les enjeux et les contraintes de l’exploitation du gaz de schiste, on pourra lire par exemple d’Abdelmajid Attar, ancien PDG de Sonatrach, « Algérie : faut-il avoir peur du gaz de schiste ? », Jeune Afrique, 8 novembre 2013.
2Réunion de l’Association des ingénieurs d’État diplômés de l’Institut algérien des pétroles, Alger, 22 février 2014.
3Zineb A. Maiche, « Gaz de schiste, politique énergétique de l’Algérie : entretien avec Ahmed Ghozali », Tout sur l’Algérie (TSA), 24 mai 2014.