Conférence internationale

Le répit de Bachar Al-Assad

Chroniques syriennes · L’accord de Genève sur l’élimination des armes chimiques syriennes accorde un répit à Bachar Al-Assad. Il en tire de multiples bénéfices. L’opposition démocrate pâtit de ce regain d’intérêt pour celui qu’elle combat. Elle n’apparaît quasiment plus dans les médias si ce n’est pour rappeler sa fragmentation. Le dossier syrien est — provisoirement — réduit à sa dimension « armes chimiques ». Aux États-Unis, le débat sur la doctrine diplomatique de Barack Obama continue de se développer.

Masque à gaz.
Baldiri, 2011.

En scène dans les médias

L’époque est révolue où le président Assad se louait lui-même parce qu’il ne trouvait personne d’autre pour le faire. Aujourd’hui, la communauté internationale lui sait gré de respecter l’engagement qu’il a pris de détruire son armement. Contre toute attente, elle fait de lui un interlocuteur possible dans la perspective de la conférence internationale prévue pour la mi-novembre. Profitant de ce sursis, le président reçoit beaucoup de journalistes, de visiteurs, d’émissaires discrets ou annoncés, etc. Les occasions de faire valoir ses vues ne manquent pas. CBS, Rossiya 24 TV, Fox News, CCTV, teleSUR, Rai News 24, Halk TV et Der Spiegel ont en commun de l’avoir interviewé au cours des quatre dernières semaines1.

Ses entretiens avec la presse sont caractérisés par son impassibilité, son rigorisme et sa logique. Le président a réponse à tout. Il n’est jamais pris par l’émotion. Il ne manifeste ni regret ni remords même si, çà et là, il avance quelques mea culpa collectifs, rares, calculés, qui apparaissent comme des concessions que seuls les puissants s’autorisent. Des « fautes ont été commises » parce que « nous sommes tous des humains », a-t-il coutume de dire (Der Spiegel, Rai News). Encore s’empresse-t-il d’ajouter que les responsabilités viennent d’ailleurs, des « terroristes », des « djihadistes » ou des États qui aident et financent la Coalition nationale syrienne (CNS) « qui ne représente personne ». Enfin, si des « erreurs » ont été commises « dans l’exécution », « les décisions fondamentales étaient justes »2.

Ses idées comme son combat sont si justes que la fin justifie ses moyens, estime-t-il. Car le président juge qu’il ne porte aucune responsabilité dans la situation actuelle. Quel lien y a-t-il entre le massacre d’un peuple innocent et le fait que je sois président ?, interroge-t-il dans son entretien avec Der Spiegel. Il assume ses choix, justifie tout et n’accorde pas d’intérêt aux droits de ceux qui pensent différemment de lui. La notion de peuple syrien qui « décide de tout » revient régulièrement dans ses propos. Le président parle et agit en son nom. Il ne peut seul prendre la décision de quitter le pouvoir, « c’est le peuple qui déterminera (son) sort » (Der Spiegel). Il écoutera le peuple souverain d’ici 2014 pour décider s’il se représentera à l’élection présidentielle l’année prochaine3.

Dans ses rencontres avec les médias, il se fixe comme objectif de redresser la vision occidentale de la réalité. « La vérité est à l’opposé de ce que vous croyez », se plait-il à répéter. À Fox News, il précise qu’il n’y a jamais eu de « guerre civile » en Syrie, mais une guerre d’un type nouveau où se retrouvent des combattants venus d’ailleurs. Il rappelle que sa décision d’éliminer son arsenal d’armes chimiques ne doit rien à l’accord de Genève du 14 septembre dernier. Elle remonte à 2003 lorsque la Syrie a demandé que le Proche-Orient se débarrasse de ses armes de destruction massive (y compris Israël). Les pays occidentaux auraient une vue biaisée des événements et de son action personnelle. Ils percevraient la réalité au travers d’un prisme déformant où « ce qui est juste devient faux, ce qui est faux devient juste » (Al-Thawra Daily, Sana, 4 juillet 2013). Ils se seraient créé un « ennemi imaginaire » (interview à CCTV)4.

Le « miracle » de la destruction des armes chimiques

L’accord américano-russe de Genève du 14 septembre a fixé les conditions de l’élimination de l’arsenal chimique syrien. Sa conclusion a constitué une énorme surprise diplomatique. Sa mise en œuvre rapide semble relever du « miracle ». Les médias s’émerveillent de voir qu’Assad respecte sa parole et coopère avec la communauté internationale. Personne ou presque ne met en doute sa bonne volonté dans le respect de ses engagements. Quelques-uns estiment qu’il peut encore tricher, mais que les conséquences militaires seraient marginales5.

Protégé par Moscou, le président semble désormais accepté par la seule vertu de l’accord de Genève. Sans être exonéré de la responsabilité de l’attaque à l’arme chimique dans la Ghouta orientale (21 août), il n’est plus, pour le moment, celui qui devra rendre des comptes devant la communauté internationale6.

L’occasion est trop belle. De Moscou resurgissent des rumeurs selon lesquelles ce seraient les rebelles qui auraient utilisé l’arme chimique. Plus précisément, une équipe dépêchée par l’Arabie saoudite aurait commis cette « provocation » avec le soutien du groupe Liwa Al-Islam7.

La situation sur le terrain n’est quasiment pas évoquée. Les tirs de mortier qui ont tué huit personnes à Damas (dans les quartiers de Bab Touma et Al-Qasaa) ne sont mentionnés que pour rappeler les risques que courent les experts internationaux présents sur le terrain. La presse fait l’impasse sur les forces de l’opposition. La révélation — capitale si elle était avérée — selon laquelle des rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL) auraient rencontré des émissaires du président pour discuter d’une « solution syrienne à la guerre » n’a guère été reprise8.

Les médias dissertent abondamment sur les conditions techniques de l’éradication des armes chimiques. La destruction du matériel servant à la fabrication des armes a commencé. L’élimination des premiers composants débutera dans quelques jours9.

« Exceptionnalisme » ou isolationnisme américain ?

La situation en Syrie a fait renaître un débat sur l’exceptionnalisme et l’isolationnisme des États-Unis, deux doctrines des relations internationales qui depuis des décennies nourrissent alternativement la diplomatie américaine. Fallait-il intervenir directement en Syrie ou se contenter d’aider militairement l’opposition démocrate ? De la première option, il n’a jamais été question. Quant à la seconde, on ne peut pas dire qu’elle a été mise en œuvre de façon significative. Barack Obama a évoqué ces deux doctrines dans son « adresse à la nation » le 10 septembre10. Il a laissé entendre qu’elles n’étaient pas incompatibles, ajoutant à la confusion populaire. Dans un même paragraphe, il a indiqué que l’Amérique n’était pas « le gendarme du monde » mais qu’elle ne pouvait rester indifférente quand « ses idées, ses principes » et « sa sécurité » étaient en jeu comme c’était le cas en Syrie. Alors, a-t-il conclu, l’Amérique se devait d’agir « avec humilité, mais détermination ». Moyennant quoi, il n’a rien fait, du moins selon la conception de ceux qui auraient voulu que l’administration aide plus efficacement l’opposition démocrate syrienne. Le débat n’est pas tranché et continue de faire rage aux États-Unis. Pire, la diplomatie de l’actuel président n’apparaît pas clairement, au-delà de sa volonté de résoudre par la politique les crises auxquelles l’Amérique doit faire face11.

Ses choix restent contestés aux États-Unis même et au Proche-Orient. L’accord de Genève a troublé. En s’accordant avec Moscou, Obama est apparu comme un dirigeant faible, reculant devant une action militaire et incapable de défendre les intérêts et les alliés de l’Amérique12. Quelques commentateurs, plus néoconservateurs que libéraux, suggèrent au président d’imaginer l’avenir de la région pour redéfinir une diplomatie qui est dans l’impasse. Il ne lui suffit plus d’être celui qui aura mis fin aux guerres américaines, disent-ils. Il a l’obligation de voir plus loin dans le temps et d’élargir sa vision au-delà des frontières syriennes, comme savent le faire l’Iran et l’Arabie saoudite. Les millions de réfugiés syriens constituent un élément de déstabilisation pour les alliés jordaniens et turcs de l’Amérique. Les groupes djihadistes qui combattent le régime syrien constituent un danger pour la région et les intérêts occidentaux. Le Liban et l’Iraq ne sont pas à l’abri d’une guerre civile. Il n’est pas trop tard pour renforcer militairement l’opposition nationaliste, concluent-ils, tentant de relancer un débat qui semble éteint13.

Pour d’autres, l’accord de Genève éclaire la doctrine Obama à l’égard de la Syrie. Ils estiment que le président est à la recherche d’une guerre d’usure au terme de laquelle toutes les parties seraient convaincues de la nécessité de négocier. Dans ces conditions, fallait-il armer l’opposition démocrate ? Oui, mais pas au point de contribuer à sa victoire par les armes. Les tenants de cette thèse en veulent pour preuve les moyens limités accordés à la Central Intelligence Agency (CIA). La Centrale forme en Jordanie des combattants syriens, mais en si petit nombre et avec si peu d’équipements qu’ils ne pourront à eux seuls donner un avantage militaire à l’opposition. Elle n’ignore pas que la priorité d’Obama va à une solution politique dans laquelle la composante militaire n’est qu’une mesure d’accompagnement14,15,16. Les plus optimistes jugent que la diplomatie d’Obama peu produire des effets bénéfiques. La reprise de contact avec l’Iran après trois décennies d’interruption des relations et l’accord trouvé avec les Russes sur la Syrie ne doivent pas être perçus comme des faiblesses, mais comme des gestes courageux17.

Ces deux avancées pourraient contribuer à la mise en place d’un cadre de sécurité dans la région et réduire la tension entre sunnites et chiites. Ce cercle serait vertueux si l’Iran abandonnait « ses rêves révolutionnaires de 1979 » et si l’Arabie saoudite « cessait de s’exciter à propos du croissant chiite ». Deux conditions qui ne sont pas prêtes d’être trouvées dans un avenir proche18. Il est certain en revanche que la gestion internationale de la situation en Syrie a prouvé que l’unilatéralisme à l’américaine semble avoir fait son temps. La Russie, la Chine, les autres pays des BRICS (Brésil, Inde, Afrique du Sud) l’ont compris. Obama aussi.

1CBS (États-Unis, 9 septembre), Rossiya 24 TV channel (Russie, 12 septembre), Fox News (États-Unis, 19 septembre), CCTV (Chine, 23 septembre), teleSUR (Venezuela, 26 septembre), Rai News 24 (Italie, 29 septembre), Halk TV (Turquie, 4 octobre), Der Spiegel (Allemagne, 7 octobre). Voir sur le site officiel de la présidence.

3Cheryl K. Chumley, « Syria’s Bashar Assad mulls third run for presidency », The Washington Times, 4 octobre 2013.

5Joby Warrick, « Syria shows signs of preparing to surrender its chemical-weapons stockpile », The Washington Post, 6 octobre 2013.

9« Experts Begin Dismantling Syrian Chemical Program », The Associated Press/ The New York Times, 6 octobre 2013.

11Noam Chomsky, « The Obama Doctrine », Truthout, October 6, 2013.

12Steven R. Hurst, « Analysis : U.S. Reliability Questioned Overseas », Associated Press », Time, 5 octobre 2013.

14Hamilton Nolan, « America’s Cold-Blooded Syrian Stalemate Policy », Gawker, 3 octobre 2013.

15Greg Miller, « CIA ramping up covert training program for moderate Syrian rebels », The Washington Post, 3 octobre 2013.

17Graham E. Fuller, « With Syria, Iran, has Obama broken the mold in US foreign policy ? », The Christian Science Monitor, 3 octobre 2013.

18David Ignatius, « Obama’s diplomatic opportunity », The Washington Post, 5 octobre 2013.

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