Le retrait de la Finul, une épreuve de plus pour la souveraineté du Liban

Le départ progressif de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), sous la pression des États-Unis et d’Israël, remet au centre du débat l’autorité de l’État libanais dans un pays fragilisé par les divisions internes et soumis à des attaques israéliennes constantes.


Convoi de véhicules de l'ONU près d'une tour de surveillance militaire.
Liban, 18 août 2007. Forces de la Finul.
Marco K./ Wikimedia

Le Conseil de sécurité des Nations unies a finalement tranché. Le 28 août 2025, il a décidé de prolonger le mandat de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) pour une durée exceptionnelle d’un an et quatre mois. Si cette prorogation, portée par la France, a bien été adoptée, elle a été profondément infléchie par l’opposition des États-Unis, soucieuse d’y adjoindre une clause de retrait progressif.

L’ONU prolongera donc sa mission au Liban « pour la dernière fois », selon les mots de la représentante américaine par intérim au Conseil de sécurité, Dorothy Shea, ancienne ambassadrice à Beyrouth. Le retrait des Casques bleus débutera à partir du 31 décembre 2026 et dans un délai d’un an. Si la décision a été saluée par les autorités libanaises, l’enthousiasme affiché peine à masquer le malaise de Beyrouth. Car l’évaluation du retrait ne sera pas liée au contrôle effectif qu’exerce l’État libanais sur l’ensemble du territoire — ce qui aurait supposé à la fois le désarmement du Hezbollah et des camps de réfugiés palestiniens, le retrait des troupes israéliennes et l’arrêt des bombardements. Alors que le nouvel exécutif s’est engagé dans un plan de démantèlement de l’arsenal du mouvement chiite, l’armée israélienne occupe toujours certains points stratégiques au Sud-Liban et multiplie les attaques malgré le cessez-le-feu en vigueur. L’annonce de la fin programmée de la Finul plonge encore plus la sécurité du « Pays du Cèdre » dans l’incertitude.

Une force limitée

Présente au Liban depuis 1978 et le début de l’occupation israélienne du Sud, la Finul a vu son mandat progressivement évoluer au fil des révisions imposées par le terrain. Ses missions, fixées par la résolution 425 (1978), sont de « confirmer le retrait des forces israéliennes, de rétablir la paix et la sécurité internationales et d’aider le gouvernement libanais à assurer la restauration de son autorité effective. » Cependant, la présence de milices chrétiennes affiliées à Tel-Aviv, l’Armée du Liban Sud (ALS), dans sa zone d’action, puis l’offensive israélienne d’ampleur l’emmenant jusqu’à Beyrouth en 1982, ont grandement limité les marges de manœuvre de la force onusienne.

Après 22 années d’occupation, une opinion publique de plus en plus défavorable à sa poursuite et des actions de résistance menées par le Hezbollah, Israël débuta son retrait des territoires occupés au Sud le 16 mai 2000, affirmant vouloir se conformer aux résolutions de l’ONU. Celle-ci décida alors de définir, en juin 2000, une ligne de retrait — la « ligne bleue » — longue de 120 km et qui sera contestée par les deux parties. La Finul est dès lors chargée de documenter toute violation de cette ligne, assurant un mécanisme de surveillance tripartite avec les deux belligérants. En 2006, à la suite d’une offensive israélienne de grande ampleur sur tout le Liban, le mandat de la Finul est renforcé et précisé par la résolution 1701 qui étend ses capacités à 15 000 hommes — contre 2 000 avant la guerre. La résolution l’enjoint également à aider le gouvernement libanais à « empêcher l’entrée au Liban, sans son consentement, d’armes ou de matériel connexe ». De plus, l’article 12 autorise les Casques bleus à patrouiller seuls, sans l’encadrement de l’armée libanaise.

Impuissance à protéger la population

L’équilibre précaire à la frontière s’est brisé en 2023 avec l’entrée en guerre du Hezbollah pour soutenir les Palestiniens. Le 1er octobre 2024, Israël a lancé une offensive terrestre contre le Liban. La Finul a refusé d’évacuer ses positions et a limité l’avancée d’Israël qui a critiqué cette attitude, Benyamin Nétanyahou allant jusqu’à affirmer que les Casques bleus étaient devenus des « boucliers humains » pour les « terroristes du Hezbollah »1. Aux États-Unis également, la mission a été l’objet de critiques. Cette séquence illustre la place paradoxale de la Finul : indispensable pour contenir les escalades et garantir un équilibre précaire, elle est pourtant régulièrement accusée de partialité.

L’accord de cessation des hostilités signé sous l’égide de Washington le 27 novembre 2024 a mis en place un nouveau comité de surveillance, cette fois-ci co-présidé par la France et les États-Unis. Sa mission était de permettre la mise en œuvre et le suivi du cessez-le-feu, principalement en garantissant le démantèlement des armes du Hezbollah au Sud par le biais de l’armée libanaise. Dans ce cadre, la Finul a joué un rôle essentiel d’assistance ayant permis, selon le rapport du Secrétaire général de l’ONU, de détecter 113 caches d’armes non autorisées entre le 21 février et le 20 juin 20252. Cependant, la force onusienne n’a pu limiter les violations répétées du cessez-le-feu par l’armée israélienne. Selon un décompte du quotidien libanais L’Orient-Le Jour en date du 7 août 2025, 301 personnes ont été tuées depuis le début du cessez-le-feu. Au 23 septembre 2025, 82 000 déplacés ne peuvent toujours pas rentrer chez eux à cause des attaques israéliennes. Aux yeux de nombreux habitants du Sud-Liban, l’incapacité de la Finul à les protéger face aux violations israéliennes contribue à un sentiment d’abandon et d’amertume à l’égard de la présence onusienne.

Désarmer le Hezbollah

La décision de mettre un terme au mandat de la Finul, en parallèle d’un déploiement de l’armée libanaise dans le Sud, s’inscrit dans la continuité des efforts du nouvel exécutif libanais pour rétablir le monopole des armes par l’État. Appelée depuis longtemps par une partie de la population libanaise, cette initiative a été accélérée par la défaite militaire du Hezbollah contre Israël, qui a conduit à la signature du cessez-le-feu du 27 novembre 2024.

Ce changement de paradigme a précipité, le 9 janvier 2025, l’élection d’un nouveau président, l’ancien chef de l’armée Joseph Aoun, après deux années de vacances. Celle-ci a été suivie, sept jours plus tard, par la nomination de Nawaf Salam au poste de premier ministre. Le cabinet « d’union nationale » formé par cet ancien président de la Cour internationale de justice considéré « réformateur » et extérieur au sérail, a également marqué un certain affaiblissement politique du Hezbollah et de son allié chiite Amal. Le tandem n’a pas obtenu l’entièreté des portefeuilles réservés à la communauté chiite, quand bien même il en détient le monopole de la représentation parlementaire.

Le 5 août 2025, le nouvel exécutif a fait un pas significatif en chargeant l’armée d’élaborer un plan d’action pour désarmer le Hezbollah d’ici le 2 septembre. Le rétablissement du monopole de la « violence légitime » aux mains de l’État libanais demeure cependant contraint par les divergences qui persistent avec le mouvement chiite. Le Hezbollah a dénoncé la décision du Conseil des ministres, tant par la voix de ses sympathisants que de ses dirigeants. Ces derniers se refusent à parler de désarmement. Ils souhaitent conditionner des « discussions sur une stratégie de défense » qui permettrait de protéger le pays contre toute agression à un retrait préalable d’Israël, l’arrêt des agressions et des bombardements quotidiens, la libération des prisonniers et le début de la reconstruction du Sud.

Malgré ce désaccord de fond, le mouvement chiite maintient le dialogue avec l’exécutif. Pour la seconde fois depuis la décision du 5 août, le conseiller de Joseph Aoun, André Rahal, a reçu, le 18 septembre, Mohammed Raad, chef du bloc parlementaire du Hezbollah. Selon le quotidien libanais Al-Diyar, la réunion aurait abordé le maintien de la « coordination » et du « dialogue » entre les deux parties dans un contexte d’escalade militaire dans le Sud du pays. Le même jour, le porte-parole de l’armée israélienne a émis des avis d’évacuation aux habitants de plusieurs villages avant une série de bombardements d’une ampleur inédite. Au total, cinq localités ont été touchées.

Dans un contexte régional marqué par la fuite en avant militaire d’Israël3 qui est allé jusqu’à attaquer le Qatar le 9 septembre 2025, le Hezbollah tente également d’élargir ses marges de manœuvre en envoyant des signaux positifs aux autres pays de la région. Dix jours après les bombardements sur Doha, le secrétaire général du mouvement chiite, Naïm Qassem, a déclaré souhaiter « ouvrir une nouvelle page » avec l’Arabie saoudite, sur la base d’une unité face à Israël. Il a assuré que les armes de la « résistance » ne seraient jamais utilisées contre le Liban ni contre les pays arabes4. Si ces propos peuvent être perçus comme une inflexion de la position régionale du Hezbollah, ils ne suffisent pas à lever les obstacles internes liés au désarmement. La mise en œuvre de celui-ci reste entravée, notamment pour des raisons techniques. Devant le Conseil des ministres, le général Rodolphe Haykal a souligné les carences logistiques, matérielles et humaines de l’institution militaire, sans pouvoir présenter de calendrier précis à l’exécutif.

Une armée dépendante

Cependant, le 7 août 2025, le gouvernement a explicitement adopté la proposition de l’émissaire étatsunien Tom Barrack qui, à l’inverse de la position du Hezbollah, conditionne le retrait israélien et « l’organisation d’une conférence économique en soutien à la reconstruction de l’économie libanaise » au désarmement du mouvement5.

Couplée à l’annonce de démantèlement de la Finul, cette situation de blocage place le nouvel exécutif dans une posture délicate. Son armée souffre d’un déficit capacitaire et économique important. Elle est fortement dépendante de l’aide internationale et du soutien de la Finul pour mener à bien sa mission dans le Sud et, au-delà, pour défendre le pays. En l’absence d’une armée forte, la réduction des effectifs des Casques bleus risquerait ainsi de laisser à des acteurs extérieurs, aux priorités souvent divergentes de celles de l’État libanais, le soin de définir les contours de sa souveraineté.

Les débats au Conseil de sécurité de l’ONU autour de la décision du renouvellement du mandat de la force onusienne au Liban montre également l’influence israélo-étatsunienne de plus en plus affirmée dans la région. En tant que porte-plume des résolutions sur le Liban, Paris avait présenté un projet de texte conforme aux attentes de Beyrouth. Mais Washington, fort de son droit de veto, a rejeté cette approche, entraînant le report du vote initialement prévu le 25 août. Soucieuse de répondre aux demandes d’Israël qui voit en la Finul un frein à sa politique d’expansion et d’agression au Sud-Liban et qui souhaite un démantèlement ordonné, l’administration étatsunienne souhaitait ajouter une disposition prévoyant un calendrier de retrait progressif.

Chorégraphie israélienne

C’est chose faite. Désormais, les États-Unis sont en première ligne sur le dossier libanais et expriment leur volonté d’aider l’armée libanaise et le gouvernement à développer et exécuter le plan de désarmement du Hezbollah. En déplacement au Liban ce 26 août, Tom Barrack a déclaré que « l’armée libanaise est la réponse, pas la Finul »6. Cette approche s’appuie sur le plan en 11 points présenté par l’émissaire étatsunien et accepté par les autorités libanaises. Un scénario de « pas à pas » dans lequel les engagements du Liban à mettre en œuvre les résolutions onusiennes, notamment la 1701 qui stipule que le gouvernement libanais doit étendre « son autorité sur l’ensemble du territoire », entraîneraient des garanties de pérennité du cessez-le-feu7. Pour autant, l’administration étatsunienne peine à obtenir d’Israël des gages concernant un retrait du territoire libanais et l’arrêt des attaques.

Le gouvernement israélien maintient, quant à lui, sa position : pas de retrait avant le désarmement du Hezbollah. Et cela même si les autorités libanaises ont déjà démantelé plus de 80 % des installations du mouvement au sud du fleuve Litani et adopté le plan étatsunien. Le « pas à pas » semble donc uniquement concerner Beyrouth. Et le bureau du premier ministre israélien d’aller plus loin en déclarant le 25 août, alors que la délégation étatsunienne venait d’achever sa visite, qu’Israël « réduirait sa présence militaire [et non se retirerait] si les forces armées libanaises prenaient des mesures pour désarmer le groupe militant chiite soutenu par l’Iran, le Hezbollah ».

Une manière de rappeler à Beyrouth que, dans cette danse du « pas à pas », Tel-Aviv dicte le tempo et dirige la chorégraphie. Alors qu’Israël poursuit son escalade militaire au Sud-Liban, utilisant pour la première fois depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu des missiles sol-sol, l’annonce de la fin programmée du mandat des Casques bleus au Liban semble être un feu vert de plus à la poursuite des agressions israéliennes. Et conforte le Hezbollah dans sa volonté de garder ses armes.

1«  Netanyahu : les Casques bleus font office de “boucliers humains” du Hezbollah  », The Times of Israël, 13 octobre 2024

2« Implementation of Security Council resolution 1701 (2006) during the period from 21 February to 20 June 2025 : report of the Secretary-General », 11 juillet 2025.

3Thomas Sarthou, «  Israël : le prix de la fuite en avant  », 3 septembre 2025, Iremmo.

4«  Le gouvernement libanais adopte “les objectifs” de la proposition américaine  », L’Orient-Le Jour, 7 août 2025.

5«  Barrack depuis Baabda : Israël est prêt à se retirer du Liban-Sud mais souhaite voir des mesures concrètes  », L’Orient-Le Jour, 28 août 2025.

6Résolution 1701 (2006) adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 11 août 2006

7«  Israel ties pullback from South Lebanon to Hezbollah disarmament, group repeats refusal  », Reuters, 25 août 2025.

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