Le Sahara occidental au prisme des droits humains

Comme chaque année, le Conseil de sécurité de l’ONU doit se prononcer sur la prolongation pour un an de la Minurso, la mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental. Il était question de son élargissement à la protection des droits humains, mais le Maroc — avec, notamment, le soutien de la France — s’oppose catégoriquement à ce qu’elle considère comme une ingérence dans les affaires intérieures d’un territoire dont les habitants sont, eux, privés de certains de leurs droits élémentaires.

Rond-point à l’entrée de El-Marsa, le port de El-Ayoun.
© Olivier Quarante.

Chaque année, au mois d’avril, le Conseil de sécurité de l’ONU planche sur la situation au Sahara occidental et sur le cadre et les compétences de sa mission présente sur place depuis 1991 : la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso). Depuis que les Sahraouis ont mené en octobre et novembre 2010 leur « printemps », la question de la protection des droits humains est abordée avec davantage d’insistance. Mais, alors qu’il semble y avoir un large consensus sur l’idée qu’elle peut être un moyen de faire progresser les parties prenantes au conflit vers un climat favorable au dialogue, elle reste instrumentalisée. Elle est surtout significative de la « non-volonté » de la communauté internationale de résoudre la situation de cette dernière colonie d’Afrique.

La colonisation par le Maroc de ce territoire considéré comme « non autonome » par l’ONU depuis bientôt 50 ans se poursuit et l’exploitation de ses ressources naturelles stratégiques pour le royaume — à commencer par le phosphate de la mine de Boucra, qui pèse environ 10 % dans la production de ce pays, second producteur mondial, et la pêche qui génère les trois quarts des captures nationales — s’intensifie. Le débat se focalise toutefois sur la question des droits humains et sur la création d’un mécanisme indépendant qui permettrait de vérifier si ces droits sont respectés ou non, comme en sont dotées la plupart des missions onusiennes.

Opposition catégorique de Rabat

Plusieurs pays sont favorables à l’extension du mandat de la Minurso dont la mission est essentiellement de surveiller le cessez-le-feu de 1991, l’organisation du référendum — sa tâche première — étant passé au second plan. Les États-Unis ont présenté un projet de résolution dans ce sens avant la réunion du Conseil de sécurité d’avril 2013. Des ONG militent pour que soit mis en place un tel mécanisme. Le Conseil des droits de l’homme en septembre 2012, le rapporteur spécial sur la torture en mars 2013 et le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon lui-même, en avril 2013 et dans son rapport du 10 avril 2014 ont pour leur part demandé la mise en œuvre de mesures indépendantes de surveillance des droits humains.

On peut noter que la quinzaine d’opérations dites "de maintien de la paix" actuellement réparties dans le monde comportent toutes une mention explicite pour agir en faveur des droits de l’homme. Toutes, sauf la Minurso.

Le Maroc s’y oppose. En avril 2013, il a pu s’appuyer sur le soutien actif de la France pour faire capoter l’initiative américaine. Au fond, le royaume exprime ainsi le procès en illégitimité qu’il entend faire à la Minurso à chaque occasion qui se présente. Le Sahara occidental étant marocain selon lui, le peuple n’ayant fait que récupérer ses « provinces du sud » grâce à l’annexion « pacifique » menée en octobre 1975 et rebaptisée « Marche verte », rien ne vient justifier la présence continue d’une mission internationale.

Les signaux sont on ne peut plus clairs. Les communications qu’on eues les militaires et les civils de la Minurso avec le siège de l’ONU à New-York ont ainsi pu être écoutées1. En mai 2012, la confiance avait été retirée par le Maroc à Christopher Ross, l’envoyé personnel de Ban Ki-moon, juste avant son voyage dans la région. Quelques mois auparavant, lors du mouvement de protestation des Sahraouis à Gdeim Izik, la Minurso n’a pas pu observer la situation sur place : « Les tentatives de patrouilles militaires et les visites par le personnel de sécurité et de police des Nations unies ont été empêchées ou stoppées à plusieurs reprises »2. Pour le Maroc, s’opposer à l’extension du mandat de la Minurso est d’abord montrer l’inflexibilité de sa position.

Le fait qu’une telle hypothèse suscite autant d’opposition également au sein de la communauté internationale est significatif de l’impasse actuelle. On pourrait s’interroger : si le Conseil de sécurité ne parvient déjà pas à s’accorder pour que soit étendu de la sorte le mandat d’une de ses missions de maintien de la paix, peut-on attendre d’elle qu’un jour, ce conflit soit définitivement réglé ? L’ancien ministre des affaires étrangères français, Roland Dumas, a théorisé en ces termes cette position, dans le documentaire Enfants des nuages » d’Alvaro Longoria : « la non-solution est une solution ». Pour que cette « non-solution » tienne, il faut donner des gages d’une certaine bonne volonté, aux pays « pro-sahraouis », aux opinions publiques et aux institutions internationales pour édulcorer une réalité lourde.

Une "intifada pacifique"

La tenue en 1992 du référendum d’autodétermination, prévue et acceptée par les deux parties — le Maroc et le Front Polisario — en août 1988 n’a pas eu lieu ; les initiatives suivantes (notamment les plans Baker en 2001 et 2003) ont également échoué. En 2005, ce que les Sahraouis nomment l’« intifada pacifique » éclate dans le territoire occupé par le Maroc. Manifestations et sit-in se succèdent depuis et des rapports d’ONG comme Amnesty International ou Human Rights Watch dénoncent la répression qui touche la population sahraouie. Y sont évoqués les arrestations arbitraires, les maintiens en détention sans jugement, les tabassages, les violations de propriétés ou l’interdiction d’existence légale des associations sahraouies.

Fin 2010, le mouvement de contestation des Sahraouis prend une forme inédite : la création d’un camp dit « de la dignité » qui comptera 6610 tentes (chiffre de l’ONU) à Gdeim Izik, dans le désert autour de la ville principale du Sahara occidental, El Ayoun. Au moins 20 000 Sahraouis y prendront part.

À la suite du démantèlement du campement par les autorités le 8 novembre 2010, au moins 150 Sahraouis sont arrêtés et détenus. 24 sont condamnés par le tribunal permanent des armées en février 2013 à de lourdes peines, huit l’étant à la perpétuité et 14 à des peines de 20 à 30 ans pour le meurtre de 11 agents des forces de sécurité. Human Rights Watch relève alors le fait que l’implication dans ces violences n’a pas été établie « de façon crédible ».

Cette situation de tensions et cette escalade vers un système de plus en plus répressif sont connues3. Les délégations d’ONG, les parlementaires européens, quand ils y sont autorisés par le Maroc, et les membres d’institutions internationales s’en font l’écho, mais pour contrecarrer cette réalité, le Maroc reste inflexible. Le pays dénigre toute expression critique, allant jusqu’à refuser l’accès à des journalistes, à des hommes politiques et à des ONG. En même temps, il multiplie les signes de sa bonne volonté.

Des espaces de dialogue ?

La création, en décembre 2011, du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH) et d’une « section régionale » au Sahara occidental est unanimement saluée. Mais, chargée de surveiller et promouvoir les droits humains, l’antenne d’El Ayoun se confronte à des ennemis de l’intérieur, comme l’a dénoncé son président, Salem Cherkaoui, en juillet 20134 : de sérieuses « poches de résistance » opposées à son action et des forces de l’ordre avec qui il est contraint de négocier un protocole pour assurer la sécurité des membres de sa propre équipe.

Dans de telles conditions, l’objectif, louable, de créer des espaces de dialogue pour que ce qu’il qualifie de « troisième voie », c’est-à-dire les Sahraouis, puisse s’exprimer en toute sérénité — y compris par le referendum d’autodétermination « un droit universel » selon Cherkaoui — paraît bien ambitieux. Sans doute même hors sujet.

Autre signe de cette bonne volonté, une loi visant à empêcher la comparution de civils par les tribunaux militaires a été validée en conseil des ministres en mars 2014. Ce texte permettrait — il doit encore être approuvé par le Parlement — de se mettre en conformité avec les normes internationales. Saluée également, cette initiative est tombée à point nommé, un mois avant la réunion du Conseil de sécurité. Pourquoi ? La dernière réforme constitutionnelle approuvée par référendum fin 2011, elle aussi brandie comme une preuve de la volonté d’améliorer les droits humains, prévoyait déjà cette disposition. Le CNDH avait recommandé cette avancée au moment du procès de Gdeim Izik, ce dont Mohamed VI s’était « félicité » le 2 mars 2013.

En rejettant l’hypothèse de la création d’un mécanisme indépendant de surveillance des droits humains, une contradiction demeure pour le Maroc : ce monitoring, qui s’appliquerait également dans les camps de réfugiés d’Algérie où vivent entre 100 et 150 000 Sahraouis, lui donnerait le moyen de vérifier le sort réservé à ces « frères » dans ces « prisons à ciel ouvert », dont Mohamed VI, après Hassan II demande le retour à la mère patrie.

1Voir le point 46 du rapport d’avril 2012.

2Voir le point 4 du rapport d’avril 2011.

3Olivier Quarante, « Mensonges et répression au Sahara Occidental », L’Humanité,22 octobre 2013.

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