Enseigner l’histoire autrement

Les accords d’Oslo dans les manuels scolaires. Les « extrémistes » contre la paix

Depuis le 7 octobre 2023, de multiples interrogations ont émergé autour des termes à employer pour qualifier les actes commis par le Hamas et Israël. Porteur de multiples connotations, le mot « extrémisme » apparait particulièrement prégnant. Il est notamment employé dans les manuels scolaires du secondaire comme grille de lecture principale du conflit israélo-palestinien.

© tOad

Depuis les massacres commis par le Hamas le 7 octobre 2023 et la dévastatrice guerre menée par l’armée israélienne dans la bande de Gaza, de multiples interrogations ont émergé sur le registre sémantique le plus approprié pour qualifier les actes commis de part et d’autre : « pogroms », « génocide » ainsi que les acteurs eux-mêmes (« terroriste », « État colonial »). Parmi d’autres, le champ lexical de l’« extrémisme » revient régulièrement1. Le mot n’est évidemment pas neutre et véhicule un certain nombre de connotations.

Or, dès 2020, il est abondamment employé dans les manuels scolaires français du secondaire, qui en font leur grille de lecture principale du conflit israélo-palestinien2 au programme de terminale de la spécialité histoire-géographie, géopolitique et science politique (HGGSP). À travers un chapitre intitulé « Du conflit israélo-arabe au conflit israélo-palestinien : les tentatives de résolution, de la création de l’État d’Israël à nos jours », les élèves doivent appréhender « les logiques des conflits régionaux et tentatives de paix impliquant des acteurs internationaux au Moyen-Orient », comme le mentionne le Bulletin officiel de l’éducation nationale spécial no. 8 du 25 juillet 2019.

Dépourvus de toute dimension prescriptive et fruit de nombreux compromis, les manuels scolaires sont néanmoins largement utilisés par les enseignants comme par les élèves ; ils façonnent dès lors les pratiques des uns et les représentations des autres. Il ne s’agit évidemment pas de critiquer les auteurs qui font face à de nombreuses contraintes — manque de temps, limitation stricte du nombre de caractères, obligation de varier la nature des documents — dans la réalisation des manuels, dont il convient en outre de rappeler la finalité commerciale. Mais les choix effectués peuvent orienter la vision du monde d’une partie des jeunes. L’objectif est donc ici de comprendre comment les manuels expliquent l’impasse actuelle du « processus de paix » engagé par les accords d’Oslo de 1993, et quels biais le récit déployé par l’ensemble de ces manuels peut-il induire.

La faute aux « extrémistes »

L’intégralité des manuels scolaires rejette ainsi l’échec du processus de paix sur le compte des « extrémistes » des deux bords, employant le terme à plusieurs reprises. Du côté palestinien, l’attention est placée quasi exclusivement sur le Hamas, hormis une mention d’ « extrémistes arabes », sans plus de précisions dans le Magnard. Les auteurs des manuels insistent sur trois caractéristiques essentielles du Hamas : il s’agit d’un mouvement « islamiste », il a recours à la violence (par contraste avec l’OLP qui y a officiellement renoncé après Oslo), et il ne reconnaît pas l’État d’Israël.

Stricto sensu, ces différents éléments sont indiscutables et il ne s’agit pas ici de les nier. Ils tendent toutefois à masquer plusieurs choses importantes. Tout d’abord, malgré l’importance politique et militaire bien supérieure du Hamas, la focalisation sur ce dernier ne rend pas compte de la diversité des mouvements armés palestiniens, à l’instar du Djihad islamique. Par ailleurs, l’emploi insistant du terme « islamiste » (également utilisé pour qualifier le Hezbollah) occulte la nature duale, à la fois islamiste et profondément nationaliste, du Hamas3 et peut implicitement favoriser aux yeux des élèves, une association avec les mouvements de type Al-Qaida. Enfin, insister sur son recours à la violence et sur son refus de reconnaître officiellement Israël (deux éléments réels) empêche d’envisager qu’il puisse devenir un jour un partenaire pour la paix. Un seul manuel mentionne d’ailleurs l’adoption par le Hamas d’une nouvelle charte en 2017 qui gomme ses aspects antisémites et ouvre implicitement la voie à une reconnaissance d’Israël. S’il est sans doute trop tôt pour analyser froidement les répercussions des massacres du 7 octobre 2023, il pourrait être pertinent de rappeler que le Hamas négocie indirectement avec Israël depuis des années, comme le prouvent les nombreux cessez-le-feu conclus par l’intermédiaire de l’Égypte cette dernière décennie, et que certains dirigeants du groupe ouvrent la porte à un compromis.

Du côté israélien, les « extrémistes » dénoncés sont beaucoup moins clairement identifiés et aucune organisation n’est nommément désignée. Les manuels insistent avant tout sur l’assassinat d’Yitzhak Rabin par Yigal Amir, qualifié d’« ultranationaliste israélien » (Magnard), d’« extrémiste sioniste religieux » (Belin), d’« extrémiste juif » (Hatier) ou encore d’« extrémiste sioniste » (Nathan). On peut noter ici la difficulté qu’ont les manuels à définir précisément son idéologie. Plutôt qu’un groupe structuré, ces « extrémistes » israéliens apparaissent également comme des acteurs isolés ou comme des formes de dérives individuelles. Ils sont pourtant aujourd’hui structurés dans différents partis politiques : l’extrême droite religieuse dans le Foyer juif4 et Force juive, l’extrême droite laïque dans Israel Beytenou, etc.

Plus généralement, cette focalisation sur l’« extrémisme » appelle plusieurs commentaires. En premier lieu, on peut noter que les deux camps sont rejetés dos à dos comme également responsables de l’échec du processus de paix engagé à Oslo. Par ailleurs, le terme même d’« extrémiste » laisse entendre qu’il s’agit d’acteurs incapables de compromis, voire irrationnels (d’autant plus que l’on insiste sur leur religiosité) ayant pour seul but de saboter la paix. Au-delà du jugement moral que l’on peut porter en tant que citoyenne, ces groupes ont des intérêts bien définis à défendre et se considèrent parfaitement rationnels. En dépit de leur grande violence, il faudrait par ailleurs distinguer les acteurs opposés à la paix et ceux opposés aux négociations de paix telles qu’elles ont été engagées à Oslo5. Toute une littérature en science politique existe aussi sur la gestion de ces acteurs qui restent en dehors des négociations de paix et peuvent les saboter, et sur les acteurs avec qui il est important ou moral de discuter. Il aurait été judicieux d’aborder brièvement ces enjeux avec les élèves.

Les autres acteurs exonérés de toute responsabilité

A contrario des « extrémistes », le gouvernement israélien et l’OLP sont presque totalement disculpés de toute responsabilité dans l’échec du processus de paix. Le refus de la moindre concession par les gouvernements israéliens à partir du retour de la droite au pouvoir en 1996 et la décrédibilisation progressive de l’Autorité palestinienne (AP) sont pourtant des éléments centraux pour comprendre l’impasse actuelle. L’échec des négociations ultérieures, tel que le sommet de Camp David II en 2000 et le rejet des différents plans de paix, comme l’initiative de paix arabe de 2002, ne peuvent s’expliquer uniquement par l’existence d’une minorité d’extrémistes. Si la colonisation en Cisjordanie est largement abordée par quasiment tous les manuels, elle est rarement présentée comme un processus toléré, voire encouragé à diverses périodes par la grande majorité de la classe politique israélienne. Rappelons ici que Benyamin Nétanyahou obtiendra le soutien de différents partis d’extrême droite dès son deuxième mandat de premier ministre en 2009, soit bien avant l’inclusion largement décriée par la presse et la communauté internationale de ministres ouvertement suprématistes dans son gouvernement en 2022.

Du côté palestinien, on peut difficilement comprendre l’attrait pour des mouvements comme le Hamas si l’on ne mentionne pas la corruption et l’autoritarisme qui rongent l’AP. Certains choix politiques de Ramallah — au premier chef la coopération sécuritaire avec Israël — sont fortement contestés par une partie de l’opinion publique palestinienne. Aucun manuel ne rappelle d’ailleurs que le Hamas a intégré le jeu politique palestinien en participant aux élections législatives de 2006, mais que sa victoire n’a jamais été acceptée par les Occidentaux. Le parti pris des États-Unis en faveur d’Israël et par conséquent l’inefficacité de l’ONU sont en revanche clairement mis en avant par la plupart des manuels.

En se focalisant sur les « extrêmes », les manuels scolaires entretiennent donc une vision simpliste de l’échec du processus de paix engagé à Oslo, qui serait dû aux « extrémistes » religieux irrationnels en dépit de la bonne volonté des acteurs gouvernementaux légitimes.

1Dans un article paru le 20 novembre 2023 sur Le Grand Continent, le politiste Asiem El Difraoui utilise le terme à plusieurs reprises pour qualifier le Hamas. Mercredi 13 décembre 2023, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen suggère quant à elle que les « colons extrémistes » de Cisjordanie soient sanctionnés par l’Union européenne.

2Les manuels scolaires pris en considération pour cette étude sont : le Belin dirigé par A. Doustaly (2020) ; le Hachette dirigé par A. Gasnier, F. Maillo-Viel, M. Navarro, H. Simonneau et S. Vautier (2020) ; le Hatier dirigé par M. Beshara et H. Billard (2020) ; le Magnard dirigé par M. Chevallier (2020) ; le Nathan dirigé par S. Cote, E. Godeau, E. Janin et G. Le Quintrec (2020).

3Le logo du Hamas, qui mêle références religieuses (mosquée du Dôme du Rocher, chahada, couleur verte) et nationalistes (carte de la Palestine, couleurs du drapeau palestinien), illustre bien les deux registres de légitimation du mouvement.

4En 2023, le Foyer juif fusionne avec le Parti sioniste religieux pour former le Parti national religieux-Sionisme religieux, surnommé Mafdal-Sionisme religieux et dirigé par Bezalel Smotrich.

5Les manuels tendent à présenter les accords d’Oslo de 1993 comme un moment historique (ce qu’ils sont), mais sans suffisamment insister sur le fait qu’ils ne constituent qu’une simple reconnaissance réciproque entre Israël et l’OLP : les véritables enjeux du conflit (le partage du territoire, Jérusalem, les réfugiés, etc.) ne sont pas du tout traités.

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