Hirak

Les autorités algériennes choisissent la manière forte

Après des mois d’atermoiements, d’hésitations entre répression et ouverture, les autorités algériennes semblent décidées à en finir avec toute contestation avant les élections législatives du 12 juin.

Alger, 22 février 2021. Manifestation marquant le deuxième anniversaire du Hirak. La police est déployée en force, des hélicoptères survolent la ville tandis que des checkpoints créent des embouteillages
Ryad Kramdi/AFP

Alger a arrêté sa ligne : la répression. Depuis le 27 avril, la manifestation hebdomadaire du mardi, dite « des étudiants » et suivie également par des Algériens ayant largement dépassé l’âge des études est interdite, les manifestants y sont dispersés vigoureusement et les rares journalistes présents interpellés sans ménagement, gardés à vue et menacés du pire. La marche du Hirak, le vendredi, est en danger d’être interdite. Le ministère de l’intérieur exige désormais une déclaration préalable sur son itinéraire, avant même la manifestation. Un oukaze impossible à satisfaire pour un mouvement qui n’a ni chefs ni leaders. Le 14 mai, les manifestations ont été plus ou moins « empêchées » par la police dans au moins la moitié des wilayas. Le 21 mai, cela recommence.

Les mois de prison tombent sur les militants ramassés ici ou là, en général des jeunes isolés et sans protection. Les plus anciens, libérés en janvier dernier au retour du président Abdelmajid Tebboune d’Allemagne fédérale le sont à titre provisoire ; ils sont donc précaires. Le médiateur de la République, nommé début 2020, a été limogé ; jugé trop libéral, il détonnait dans l’équipe au pouvoir.

Même attitude de fermeté officielle sur le front social qui s’est rallumé ces dernières semaines : le pouvoir redoute que les grévistes rallient les opposants. Les postiers, les enseignants, les hospitaliers, puis les pompiers ont déclenché des grèves sans préavis ou manifesté jusqu’à El-Mouradia, siège de la présidence.

Si le président Tebboune recommande verbalement le dialogue, son premier ministre et le ministre du travail, un islamiste virulent, menacent les grévistes des foudres de la loi. El Djeich, la revue de l’armée les a dénoncés dans sa livraison de mai comme des « agents de l’étranger », voire des espions du Maroc ou des ennemis intérieurs.

Les grévistes de la fonction publique ont pourtant des raisons d’être mécontents : la dévaluation accélérée du dinar et le recours sans limite à la planche à billets pour financer le déficit budgétaire (20 % du PIB en 2021 ?) ont provoqué une reprise de l’inflation et une baisse dramatique de leur pouvoir d’achat selon le professeur Abderrahmane Metboul, spécialiste reconnu. Il aurait été divisé par deux en 20 ans. Le salaire minimum, bien qu’augmenté au début de l’année, est de moins de 150 euros par mois.

La France, « ennemi éternel »

Avec la France, l’intermède mémoriel lancé par le président Emmanuel Macron à l’automne dernier a cédé la place à une campagne hostile. Le même ministre du travail a dénoncé l’Hexagone comme « l’ennemi traditionnel et éternel » de l’Algérie. La visite à Alger du premier ministre Jean Castex a été annulée sans préavis 48 heures avant et le président Tebboune, qui avait manifesté auparavant une certaine ouverture vis-à-vis de Paris, a réclamé le jour anniversaire des massacres de Sétif et de Guelma du 8 mai 1945 la repentance de Paris et une indemnisation des victimes des essais nucléaires français au Sahara. La première est exclue en période électorale française, la seconde est en cours depuis plusieurs années. Le dernier appel téléphonique du président français à son homologue algérien, le 11 mai, n’a quasiment pas été repris par la presse, tandis que le nouvel ambassadeur de France, accusé de se mêler des affaires intérieures de l’Algérie pour avoir rencontré des leaders de partis d’opposition parfaitement légaux fait l’objet de dénonciations venimeuses.

Tout se passe comme si les « durs », hostiles au Hirak comme à la réconciliation avec Paris, avaient après une période de flottement repris les choses en main et impriment désormais leur marque aux affaires politiques et diplomatiques. À la mort du général Ahmed Gaïd Salah, le 23 décembre 2019, le président de la République et son successeur à la tête de l’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP,) le général-major Saïd Chanegriha, se sont retrouvés sur la défensive. L’un avait perdu son soutien, l’autre ne disposait ni de l’influence, ni des réseaux de son prédécesseur. D’emblée, ils ont renoncé à enquêter sur la disparition soudaine de l’homme fort de l’Algérie et ont cherché un accommodement avec ses deux rivaux qu’il avait fait condamner peu auparavant : le général en retraite Khaled Nezzar, ancien ministre de la défense, condamné à 20 ans de prison, revenu d’exil blanchi un mois plus tard en janvier 2020, et l’ancien chef des services de sécurité Mohamed Médiene, alias Tewfik, dont la réhabilitation prendra plus de temps. Sa condamnation à 15 ans de prison sera cassée au printemps 2020 par le même tribunal, ou presque, qui l’avait condamné. Il sera transféré dans un hôpital militaire avant d’être innocenté en janvier 2021. L’un a gardé une certaine aura dans l’armée en raison de son passé de combattant au Sahara ou en Égypte et surtout de son rôle dans la guerre civile, dont la sanglante répression d’octobre 1988 ; l’autre a nommé pendant 25 ans tous les chefs des services, et a conservé des fidèles dans le corps. Entre temps, les promotions faites par Gaïd à la tête de l’armée comme dans les services ont été annulées, le dernier à partir étant le secrétaire général du ministère de la défense.

Les deux octogénaires ont mené ensemble la bataille contre l’insurrection islamiste il y a plus de trente ans, ils se sont réconciliés et ont la conviction que l’histoire recommence. Le Hirak est, à leurs yeux, une menace mortelle pour l’Algérie, en réalité pour son système politique autoritaire. Il ne faut rien lâcher aux berbéristes ni aux islamistes. Une récente « page spéciale de l’Armée nationale populaire » filmée (en arabe) dénonce au nom du peuple et de l’État la cinquième colonne composée de Kabyles radicaux et d’islamistes manipulateurs qui, avec le soutien du Maroc, d’Israël et « de services à Paris qui les financent » menacent l’unité du pays et son avenir.

L’influence de Nezzar et de Tewfik s’est fait sentir lors des dernières nominations et ils pèsent ensemble sur la ligne politique d’ensemble de l’Algérie à la veille des élections législatives du 12 juin prochain qui, à coup sûr, n’inaugureront pas la transition vers plus d’ouverture espérée un temps par le président Macron. Sans gouverner directement, ils sont à eux deux le clan dominant aujourd’hui sans lequel rien ne peut se faire à Alger. Ils désigneront après le 12 juin le prochain premier ministre et le successeur de Tebboune, malade, à la présidence de la République.

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