« America First », le slogan de campagne de Donald Trump s’illustre tout particulièrement dans le projet de budget pour l’année fiscale 2018 présenté par l’administration du président sous l’intitulé Une nouvelle fondation pour la grandeur américaine. Ce budget se veut une mise en œuvre de sa promesse de campagne : « Nous arrêterons d’envoyer de l’aide aux pays qui nous détestent et nous utiliserons notre argent pour reconstruire nos tunnels, nos routes, nos ponts, nos écoles. » Pour tenir ses engagements nationalistes de moins se préoccuper du monde extérieur, Donald Trump souhaite donc réduire drastiquement l’allocation au département d’État de 31 %, soit 19 milliards de dollars de moins qu’en 2017, et de manière plus importante encore les dotations aux pays étrangers. Parallèlement, il entend augmenter les ressources du ministère de la défense de 54 milliards de dollars (soit plus de 10 %).
Le magazine Foreign Policy a rendu public il y a quelques mois un document de travail interne du département d’État qui fournissait des éléments sur les conséquences de la mise en place de cette politique. Ainsi, l’aide économique américaine (pour les projets d’infrastructures, la création de PME, etc.) à l’Égypte devait passer de 142,6 millions de dollars en 2016 à 75 millions en 2018, soit une baisse de 47,4 % ; et celle à la Tunisie de 60 millions à 40. Ces deux États pouvaient s’estimer heureux : l’assistance économique apportée au développement de 77 autres pays serait complètement abandonnée.
Les aides militaires sont également touchées. L’administration Trump entend convertir celle fournie à des pays comme le Pakistan ou le Liban en prêts. Mais celles apportées à Israël et à l’Égypte, les deux plus grands bénéficiaires de ces aides, ne seront pas amputées, a assuré Mick Mulvaney, le directeur du budget à la Maison Blanche.
Selon Joseph Bahout, spécialiste du Proche-Orient au Carnegie Endowment à Washington, les coupes budgétaires proposées révèlent un état d’esprit, mélange d’isolationnisme et de patriotisme économique. Lapidairement, les États-Unis ne sont « pas une tirelire » (…) « Ce message, en ligne avec la philosophie de Trump, marque un tournant : la volonté de soutenir la stabilisation des pays étrangers fait place à une philosophie transactionnelle (du donnant donnant), comme l’a démontré le voyage de Donald Trump à Riyad », ajoute le chercheur. De fait, le président américain, qui s’est rendu en Arabie saoudite fin mai, y a conclu une série de contrats à venir avec Riyad pour des montants totalisant 350 milliards de dollars. L’homme apparait bien plus intéressé par la conclusion de deals avec les pays étrangers que par la promotion de la démocratie et l’aide au développement, piliers officiels de la diplomatie des administrations précédentes.
Résistance du Congrès
Mais ce projet de budget se heurte à la résistance du Congrès. Bien que tous deux dominés par le Parti républicain, le Sénat et la Chambre des représentants ne sont en effet pas à l’unisson du président. De nombreux élus républicains ont manifesté leur réprobation dès l’annonce du projet de budget 2018. Aujourd’hui gravement malade, le sénateur John McCain, l’un des principaux frondeurs républicains, avait lancé il y a quelques mois : « Je suis complètement opposé aux coupes proposées. Nombre de ces programmes du département d’État sont très importants. » Lindsay Graham, autre figure républicaine du Sénat, a quant à lui déclaré : « Si on adopte ce budget, alors on doit se retirer des affaires mondiales ou mettre de nombreuses personnes en danger. »
Les entreprises se sont aussi fait entendre : 255 dirigeants ont écrit au secrétaire d’État pour lui signaler que l’aide au développement permettait aux sociétés américaines d’atteindre de nouveaux marchés et de créer des emplois aux États-Unis.
Résultat, le Congrès a d’ores et déjà récusé les coupes budgétaires proposées pour le Proche-Orient. Et il propose même d’augmenter les aides en cours dans certains cas. Alors que l’administration Trump prévoit 1 milliard de dollars d’aide à la Jordanie, le Congrès demande l’octroi de 1,28 milliard. Il recommande aussi 150 millions de dollars d’aide économique pour l’Égypte, deux fois plus que les 75 millions prévus par la Maison Blanche. Par ailleurs, le projet de loi du Congrès spécifie que les aides militaires des États-Unis accordées à l’Égypte, la Jordanie, la Tunisie et le Maroc doivent rester au niveau actuel ou être augmentées.
Tunis apparait la plus grande gagnante, grâce à un lobbying intense au Congrès et une visite bien préparée, mi-juillet, de son premier ministre Youssef Chahed à Washington où il a été particulièrement bien reçu : il a rencontré le vice-président Mike Pence, le ministre de la défense Jim Mattis et le gendre et conseiller particulier de Trump, Jared Kushner. Il est rare en effet qu’un premier ministre de la région soit reçu par autant d’officiels high profile. Résultat : l’administration Trump prévoyait de diminuer respectivement de 82 % et de 33 % les aides militaires et économiques en 2018 pour la Tunisie, passant au total de 142 à 55 millions de dollars. La Chambre des représentants s’y oppose et propose au contraire d’augmenter l’aide totale à 165,4 millions, en hausse par rapport à 2016.
Diplomatie en suspens
Le budget à venir va faire l’objet d’âpres tractations entre la Maison Blanche et le Congrès dès la rentrée parlementaire de septembre. Mais en attendant son adoption, les couloirs du département d’État — qui emploie 75 000 personnes — sont de plus en plus vides. De notoriété publique, il y règne un profond malaise face aux coupes budgétaires suggérées et à la restructuration du ministère que veut effectuer le chef de la diplomatie, Rex Tillerson, qui prévoit une importante réduction des effectifs. L’Agence des États-Unis pour le développement international (United States Agency for International Development, USAID) pourrait voir son rôle considérablement restreint et ses fonds réduits de façon drastique. Ainsi, le budget accordé à son bureau au Proche-Orient pourrait baisser de plus de la moitié (58,2 % selon les premières indications).
Certains diplomates affirment en privé que Tillerson, ex-patron de la société pétrolière ExxonMobil, est en train de « tuer » le département d’État. Quelques 200 postes de premier plan, dont plusieurs dizaines d’ambassadeurs, sont toujours vacants après que leurs occupants précédents ont été poussés à partir. Une vingtaine de diplomates américains dans le monde seulement ont été nommés à ce jour. La nouvelle ambassadrice en France, la femme d’affaires Jamie McCourt, n’a été nommée que le 2 août. Et avec les « confirmations » obligatoires au Sénat qui peuvent durer des mois, la situation risque de ne pas évoluer avant l’année prochaine. Hormis la désignation d’un secrétaire adjoint pour l’Europe, annoncée fin juillet, la plupart des directeurs adjoints au secrétaire d’État pour différentes régions du monde (Afrique, Asie…) n’ont toujours pas été nommés, alors que David Satterfield, un vétéran du ministère, a été désigné début août secrétaire d’Etat adjoint pour le Proche-Orient. Dans nombre des pays concernés, les discussions avec les États-Unis sont pratiquement gelées faute d’interlocuteurs américains.
Depuis l’intronisation du président, la diplomatie américaine est comme en suspens. Il y a quelques semaines, une employée du bureau Proche-Orient au département d’État nommée à Kaboul ne cachait pas son désarroi face à l’absence d’ambassadeur en Afghanistan, où 10 000 soldats américains sont encore déployés. Là encore, la Maison Blanche a fini par nommer, le 20 juillet, un nouveau représentant. Mais pour beaucoup d’observateurs, la lenteur des nominations continue de représenter un danger qui ne semble pas affoler l’administration.
Des employés de Foggy Bottom (le quartier de Washington où est situé le département d’État) dénoncent l’amateurisme de la nouvelle équipe menée par Tillerson. Dans un article du 6 août 2017, le New York Times fait état des plaintes concernant son management : il ne délèguerait pas assez et se concentrerait sur des détails au lieu de penser une politique étrangère cohérente. Au départ, sa nomination avait pourtant rassuré une grande partie des diplomates : l’ancien patron d’Exxon, avec son expérience à l’international, paraissait plus « sage » que le chef de l’État. Aujourd’hui, beaucoup déchantent. Tillerson projette une image de faiblesse.
Un secrétaire d’État à la peine
Dans Foreign Policy, l’ancien secrétaire adjoint à la défense du temps de l’administration Obama Derek Chollet écrit : « Au lieu de rendre le département d’État plus fort, sous Tillerson, il devient plus comme le ministère des affaires étrangères chinois, russe ou saoudien : une grande bureaucratie avec des fonctionnaires, mais peu de décideurs politiques, et où le vrai pouvoir appartient à l’homme fort du moment, aux militaires et aux services de renseignement. »
Son ministère semble plongé dans une confusion mêlée de lassitude sur fond de conflit latent avec la Maison Blanche. L’administration Trump se montre en effet extrêmement hostile aux diplomates. Foreign Policy citait dans un autre article (31 juillet 2017), des employés du département d’État se plaignant de ne pas être écoutés, reprochant à la Maison Blanche de ne pas comprendre leur travail et de mettre en péril l’héritage diplomatique des dernières décennies. Un officiel s’est confié au magazine : « Avant je me levais le matin avec une vision, à savoir comment travailler pour rendre le monde meilleur (…) La situation est maintenant si démoralisante, surtout quand vous avez des projets. Je passe la plupart des journées à penser à ce bourbier. Il n’y a pas de vision. »
Les rivalités entre la Maison Blanche et le département d’État se font sentir jusque et peut être surtout dans la gestion de crise. Dernier exemple en date : le conflit entre les États du Golfe. Sans aucun doute, la récente visite de Trump à Riyad a donné carte blanche aux Saoudiens et à leurs alliés pour isoler les « amis » de l’Iran, leur ennemi dans la région, en particulier le Qatar. Donald Trump n’a pas caché son soutien à l’Arabie dès le début du conflit, écrivant par exemple sur Twitter début juin que le Qatar a « historiquement financé le terrorisme à un très haut niveau ». Une affirmation abrupte contre un allié de Washington qui a suscité une onde de choc au département d’État. Les Américains disposent en effet d’une base militaire au Qatar depuis laquelle sont lancées des opérations contre les djihadistes de l’organisation de l’État islamique (OEI). Ils y ont également de multiples autres présences. L’un des grands think tanks américains, la Brookings Institution, y a par exemple installé sa division Proche-Orient.
Rex Tillerson s’est donc appliqué à présenter les États-Unis comme une puissance neutre entre les adversaires sunnites (les Saoudiens bénéficient du soutien des Émirats arabes unis et de l’Égypte, les Qataris du Pakistan et de la Turquie). Le secrétaire d’État a multiplié les déclarations en signe d’apaisement, affirmant notamment : « On a besoin que cette partie du monde soit stable. » Pour ajouter à la confusion, les États-Unis ont même validé, trois semaines après la visite de Trump à Riyad, la vente de 30 chasseurs militaires à Doha pour 12 milliards de dollars. Pressé d’apaiser les tensions, Tillerson a aussi effectué en juillet un voyage de quatre jours qui l’a conduit au Koweït, en Arabie saoudite et au Qatar. Mais ses longues conversations autour d’un thé avec les différents émirs et ministres n’ont rien donné.
Les Saoudiens sentent qu’ils ont une grande marge de manœuvre avec Trump, et les différents interlocuteurs de Tillerson savent que son influence est limitée. Or, sans pressions sur Riyad, la route de la réconciliation avec le Qatar risque d’être très longue. Interrogé début août sur les tweets peu diplomatiques de Trump, Tillerson a répondu, lors d’un très rare point presse : « On s’adapte ». Washington bruisse de rumeurs sur un possible « Rexit » — un départ de Rex Tillerson. Selon CNN, il aurait confié à des proches qu’il se sentait frustré devant les ingérences de la Maison Blanche, notamment dans les processus de nomination des directeurs de départements et secrétaires d’État adjoints. Pour mettre fin à l’agitation des médias, Tillerson a déclaré fin juillet : « Je ne vais nulle part. » Officiellement, il n’entend donc pas quitter le navire. Mais, dans le monde trumpien, personne ne serait surpris si cela advenait.
Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Orient XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.