SOMMAIRE
➞ Algérie : une participation au pouvoir qui a coûté cher
➞ Libye, une faible légitimité révolutionnaire
➞ Maroc : au gouvernement sous l’œil du roi
➞ Mauritanie : une renaissance
➞ Tunisie : l’épreuve du pouvoir
Algérie : une participation au gouvernement qui a coûté cher
Les Frères musulmans ont toujours été minoritaires dans le mouvement islamiste algérien. En 1989, le Front islamique du salut (FIS), dominé par les salafistes djihadistes, gagne les élections municipales et s’impose dans tout le pays. La même année, Mahfoud Nahnah lance le Hamas, devenu par la suite le Mouvement pour la paix et le salut (MSP), qui reste très minoritaire malgré ses liens avec les Frères musulmans égyptiens. Ce n’est qu’après l’échec du FIS et la guerre civile qui suit l’interruption des élections législatives de janvier 1992 que le MSP s’implante quelque peu chez les commerçants et dans le centre du pays. À partir de 1999, il participe avec deux partis nationalistes à l’alliance présidentielle qui appuie Abdelaziz Bouteflika, ce qui lui vaut d’occuper des portefeuilles ministériels et d’enrichir nombre de ses amis. Après le Printemps arabe, le MSP quitte le gouvernement et boycotte l’élection présidentielle du 17 avril 2014. Sa participation ministérielle lui aura coûté cher : il existe en Algérie pas moins de sept partis islamistes, sans compter les salafistes qui s’affichent de plus en plus ouvertement et s’attirent la vindicte du nouveau ministre des affaires religieuses.
Les Frères musulmans tentent de surmonter leurs divisions. Ils se regroupent dans une Alliance verte aux élections législatives de 2013 dont ils attendaient beaucoup à la suite des victoires électorales d’Ennahda en Tunisie et des Frères musulmans en Égypte. Leurs sortants sont renvoyés par le corps électoral. Leur choix de l’opposition est durement sanctionné mais ne les a pas fait changer de ligne. Actuellement, ils participent à une tentative de regroupement de toute l’opposition (sauf le Front des forces socialistes d’Hocine Aït Ahmed resté à l’écart) pour réclamer une transition démocratique et l’établissement des libertés fondamentales.
Libye : une faible légitimité révolutionnaire
Clandestine sous le régime du colonel Mouammar Kadhafi, la confrérie des Frères musulmans n’a pas joué un rôle décisif dans le déclenchement et la conduite de l’insurrection de février 2011 qui a conduit à la chute du régime. Leur parti politique créé le 23 mai 2012 a été baptisé « Parti de la justice et de l’édification » (hizb Al-adala wal bina) et a obtenu rapidement par le jeu des alliances la majorité au Conseil national général élu le 7 juillet 2012. Aucun de ses membres dirigeants n’a combattu dans les rangs des brigades insurgées en 2011 ou occupé de fonctions au sein du Conseil national de transition pendant ou après la guerre civile de 2011. Ils disposent par conséquent d’une faible légitimité « révolutionnaire » en comparaison des puissants chefs de katibas insurgées, et n’ont que peu de poids sur l’action de celles-ci. Officiellement partisans d’une solution politique, ils refusent de soutenir officiellement l’une ou l’autre des milices combattantes dans la guerre qui oppose partisans et opposants du général Khalifa Haftar depuis mai 2014 tout en désignant clairement ce dernier comme un putschiste contre-révolutionnaire responsable de la crise actuelle.
Dans le contexte actuel de militarisation générale du pays, le parti des Frères musulmans dispose d’un poids politique faible et risque de se voir dépassé à l’avenir par le courant des « salafistes nationalistes » dont se réclament nombre de chefs de brigades combattantes.
Maroc : au gouvernement sous l’œil du roi
Depuis 2011, les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD), gouvernent le Maroc. Son chef, Abdelilah Benkirane, 59 ans, a été membre dans sa jeunesse du Chabiba islamiyya, le premier groupuscule islamiste apparu au Maroc au début des années 1970. Mouvement radical, violent et clandestin, le Chabiba islamiyya a trempé dans l’assassinat en 1975 d’Omar Benjelloun, un leader de la gauche. Après le limogeage d’Abdelkarim Moti, fondateur du mouvement, Benkirane crée en 1982 la Jamaa al-islamiyya à l’issue d’une autocritique sans concession où il répudie le recours à la violence et prône le respect des bonnes mœurs et l’accomplissement des obligations religieuses. Dix ans plus tard, proche du leader tunisien d’Ennahda Rached Ghannouchi, il fonde le Parti du renouveau national pour se lancer dans la bataille électorale. Échec : le Palais refuse. En 1999, Benkirane et ses amis du Mouvement de l’unicité et de la réforme (MUR) rejoignent le moribond Mouvement populaire constitutionnel et démocratique (MPCD) du docteur Abdelkrim Al-Khatib, un cacique monarchiste fidèle à la dynastie alaouite. C’est le prix à payer pour être autorisé à concourir… Sa première tentative aux élections législatives de 2007 est volontairement limitée, le MPCD présente seulement 55 candidats et est absent dans 36 circonscriptions électorales. Il arrive en seconde position loin derrière l’Istiqlal.
Le 20 février 2011, de grandes manifestations éclatent dans plusieurs grandes villes aux cris de « À bas la dictature ». Après la Tunisie et l’Égypte, le Printemps arabe débarque dans le royaume. Benkirane et les siens brillent par leur absence de la rue, laquelle est emmenée par une nouvelle organisation, le Mouvement du 20 février, qui regroupe surtout de jeunes citadins hostiles aux partis « officiels » comme aux islamistes plus radicaux rassemblés depuis 1980 autour du Al-Adl wal-Ihsane (Justice et bienfaisance), fondé par le cheikh Abdessalam Yassine. Aux élections législatives de novembre 2011, le PJD arrive en tête avec 107 sièges mais reste minoritaire. Son gouvernement de coalition partage inégalement le pouvoir avec le Palais.
Mauritanie : une renaissance
La version locale de la confrérie, le Rassemblement national pour la réforme et le développement (RNRD), plus connu sous le nom de Tawassoul, a participé pour la première fois à des élections législatives et municipales en décembre 2013. Tawassoul est ainsi devenu la deuxième force politique du pays derrière le parti du président Mohamed Ould Abdel Aziz, l’Union pour la république (UPR), en remportant 16 sièges sur 147 à l’Assemblée et 18 communes sur 218. Mais ce succès n’a été obtenu que par défaut, et au prix de la séparation de Tawassoul d’avec la Coordination de l’opposition démocratique (COD) dont les dix autres partis membres avaient décidé de boycotter les élections.
Le parti Tawassoul est né le 5 août 2007. Il a été légalisé en 2008 sous le mandat du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi (2007-2008), un civil, homme ouvert, pieux et descendant d’une chefferie religieuse soufie. Après de nombreuses années de persécution, les islamistes participent au pouvoir avec deux ministres. Mais le président est rapidement renversé par le général Mohamed Ould Abdelaziz, le président actuel, légitimé par les urnes une première fois en juillet 2009 puis réélu le 21 juin 2014.
Le deuxième congrès du parti a réélu en juillet 2014 Jémil Ould Mansour, un réformiste, en présence de Rached Ghannouchi, président du parti islamiste tunisien Ennahda.
Tawassoul semble avoir réussi son implantation dans le pays, particulièrement chez les jeunes et les femmes, notamment parce qu’il développe un discours centré sur la justice sociale. Mais aussi parce qu’il maîtrise la communication en arabe et en français, avec le site d’information continue Alakhbar.info, le groupe de presse Essirage et dernièrement la chaîne de télévision Al-Mourabitoune qu’il a créée.
Tunisie : l’épreuve du pouvoir
En 1970, Rached Ghannouchi et Abdelfattah Mourou réunissent les premiers noyaux du Mouvement islamique tunisien (MTI) et rassemblent en public une centaine de personnes en 1973 à Sousse. La répression s’abat et le parti entre alors dans la clandestinité. En 1979, après la révolution iranienne, le Mouvement de la tendance islamique (Ittijah islami) tient son premier congrès, s’implante dans le pays et coopère avec d’autres opposants. En 1987, un millier de militants sont arrêtés pour appartenance à une organisation illégale. Zine El-Abidine Ben Ali arrive au pouvoir, ouvre un dialogue avec les prisonniers et les libère. Mais dès 1991-1992, la répression est de retour ; elle durera jusqu’en 2009-2010. Le MTI, devenu Ennahda, ne joue aucun rôle dans la chute de Ben Ali en janvier 2011 mais gagne la même année les élections d’octobre et forme un gouvernement de coalition qu’il domine. Sa mauvaise gestion de l’État, de l’économie et de l’ordre public suscite des oppositions de plus en plus fortes qui l’obligent à se retirer fin 2013 au profit d’un cabinet de technocrates. Ennahda ne gagne pas les élections législatives du 26 octobre 2014 mais limite les dégâts. Dans l’Assemblée constituante sortante, si ses députés occupaient 41 % des sièges, ils sont tombés à 30 %. Aucune majorité n’était possible hier sans eux compte tenu des divisions de leurs adversaires, c’est moins le cas aujourd’hui.
Ghannouchi, l’une des personnalités de premier plan à l’international, a été le défenseur d’une ligne « modérée », partisan d’un compromis avec les forces non islamistes, très critique à l’égard de la stratégie des Frères musulmans égyptiens. Il se dit prêt à abandonner l’exercice quotidien du pouvoir à d’autres à condition de contrôler le pouvoir législatif et la genèse des lois, notamment sociétales dans le but non dissimulé d’islamiser la Tunisie « par le bas ». Reste à savoir si ses députés accepteront les mesures « profanes » d’ordre économique et financier qui risquent d’être douloureuses pour la majorité de la population si le prochain gouvernement veut remplir les obligations souscrites auprès du Fonds monétaire international en avril 2013 par un premier ministre nadhaoui.
Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Orient XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.