Après avoir tenu des propos peu amènes à l’égard des Algériens de Marseille, l’acteur français Gérard Depardieu a expliqué au journal Le Provençal que son propos avait peut-être été « mal compris ». Et pour preuve de sa bonne foi, il a annoncé qu’à l’instar d’Éric Cantona, qui habite Oran, il allait s’installer à Alger. « Ce que j’ai voulu dire, c’est que les Algériens de Marseille n’oseraient pas dire le quart de ce qu’ils disent, en Algérie ».
Dans les médias algériens, l’annonce de la venue de l’acteur français a été plutôt bien accueillie, à l’image du site TSA qui titre sur « Depardieu, l’Algérie dans le cœur ». L’épisode Rafik Khalifa, homme d’affaires sulfureux dont il a été un des ardents défenseurs, est à peine évoqué. El Manchar, le Gorafi algérien, a publié pour sa part un article persifleur titré « Plusieurs ministres algériens annoncent leur désir de s’installer en Algérie ».
Les « amitiés algériennes » de Gérard Depardieu sont indéniables. Mais celle qu’il entretenait avec Rafik Khalifa demeure dans les esprits. Le patron du groupe Khalifa était un petit opérateur de pharmacie devenu milliardaire début 2000 grâce à un système de cavalerie qui lui a permis de siphonner l’argent d’institutions publiques et aussi de milliers d’épargnants. Le groupe (une banque, une compagnie aérienne, une chaîne de télévision et d’autres filiales) s’est effondré en 2003 avec des pertes pour les déposants estimées entre 1,5 et 5 milliards de dollars (1,2 et 4 millards d’euros). Très courtisé et présenté comme un modèle de réussite dans une Algérie à peine sortie des affres de la guerre civile, il comptait du beau monde parmi ses employés. L’un des frères du président, Abdelghani Bouteflika, était son avocat-conseil.
Gérard Depardieu faisait office de caution people de l’homme d’affaires. Il n’hésitait pas à cogner dur sur ceux qui doutaient de l’origine de la fortune subite de son ami. On se souvient de sa sortie véhémente contre le député des Verts et maire de Bègles Noël Mamère en septembre 2002. Mamère avait annoncé son refus d’assister au match de rugby opposant Bordeaux à Bègles par défiance politique à l’égard de Khalifa, sponsor du club girondin, en raison de ses doutes sur l’origine de sa fortune et de ses liens avec le pouvoir algérien. « Il a peut-être chié dans son froc en velours... Je suis peiné pour lui et son parti. Je pense que les Verts sont plus intelligents que ce qu’il a dit et de ses propos proches de propos racistes... Il faudrait le chasser de son parti », avait éructé l’acteur.
Vénalité assumée
Les amitiés algériennes de Gérard Depardieu sont si fortes qu’elles lui ont valu de figurer, sous le nom de Gilbert Perdrieux, parmi les personnages hauts en couleur et vénaux gravitant autour de Khalifa dans un roman noir et pamphlétaire, L’envol du faucon vert, paru en 2007 aux éditions Métailié :
Tout ce qui comptait dans l’organigramme de la nomenklatura se bousculait devant l’entrée des officiels. Pour des raisons inexpliquées, n’étant pas particulièrement connue comme amatrice de football, l’actrice Marguerite Villeneuve, venue spécialement de Paris et installée à la tribune officielle du stade à la droite de la nouvelle incarnation présidentielle, s’ennuyait royalement et le montrait… Le célèbre comédien Gilbert Perdrieux était là lui aussi. Mais, contrairement à la Villeneuve, il s’amusait visiblement comme un fou et riait aux éclats. À la fin du match, devant des caméras tiers-mondistes énamourées, il exprima à sa manière théâtrale sa profonde sympathie pour les enfants du pays et spécialement pour le grand, l’immense Oulmène.
La scène raconte un moment réel, celui de l’organisation par le groupe Khalifa à Alger d’un match de football entre l’équipe nationale algérienne et l’Olympique de Marseille, également sponsorisée par le groupe. Catherine Deneuve (Marguerite Villeneuve dans le roman) et Gérard Depardieu étaient présents ce 28 février 2002 à la tribune officielle aux côtés du président Abdelaziz Bouteflika. Tout le monde se souvient de la mine renfrognée de Catherine Deneuve assise à côté du président algérien. Le match avait été suivi d’un dîner de gala organisé par la star algérienne du moment, Rafik Khalifa.
L’actrice aurait accepté sans complexe une rémunération de 45 000 euros, elle a en revanche déclaré regretter la présence du président Bouteflika : « Il ne devait pas y avoir Bouteflika. C’était un évènement sportif, mais il a été récupéré politiquement. » À nouveau présente — avec d’autres acteurs tarifés — à la villa Bagatelle à Cannes (achetée pour 37 millions d’euros) en septembre 2002 pour le lancement en grande pompe de Khalifa TV (KTV), elle s’est indignée dans une déclaration au journal Le Monde qu’on lui fasse grief de cet épisode Khalifa : « Pour Gérard Depardieu, on dit : c’est une connerie de plus. Pour moi, ça devient un crime de lèse-majesté. Je n’ai jamais dit que j’étais la Vierge Marie. »
Dans un entretien à VSD en 2006, Rafik Khalifa, alors en cavale à Londres, a raconté le « problème » Catherine Deneuve et comment Gérard Depardieu l’a aidé à la résoudre. « Sur place, elle m’a dit qu’il n’était pas question qu’elle se retrouve face à Bouteflika. Elle m’a confié qu’elle avait déjà refusé d’assister à des meetings avec Jacques Chirac. Alors, Bouteflika… De mon côté, j’espérais qu’il ne se déplacerait pas au stade. Mais il est venu. Il voulait absolument récupérer l’événement à son profit. À ce moment, Catherine Deneuve a fait une grosse crise. Elle refusait de sortir de sa chambre. Gérard Depardieu m’a aidé à la convaincre de venir à la cérémonie. Elle est arrivée en retard au stade. Et puis, elle a fait la gueule pendant tout le dîner. Bouteflika l’a remarqué et, depuis, il lui voue un vrai ressentiment personnel. »
« Le sauveur de l’Algérie moderne »
Si les amours algériennes de Catherine Deneuve ont pris fin, les liens de Gérard Depardieu avec Khalifa et l’Algérie sont une passion plus durable. En septembre 2002, au moment du fameux dîner de Bagatelle, l’acteur affirmait qu’il n’était pas rémunéré pour ses apparitions aux côtés de Rafik Khalifa. « Si je le soutiens, c’est sincèrement par amitié et parce que je vois en lui le sauveur de l’Algérie moderne », a-t-il déclaré au Parisien. Néanmoins, rapporte le journal, il a fini par changer d’avis sur le sauveur de l’Algérie en janvier 2005 devant les policiers de la brigade financière française : « Je me suis aperçu rapidement qu’il y avait des problèmes du côté du groupe Khalifa, a-t-il confié lors de son audition. Ils ne tenaient pas leurs rendez-vous, ils prenaient une décision, mais cela n’était pas suivi d’effet... J’en ai eu assez et j’ai stoppé mes contacts avec Rafik Khalifa. Je dois préciser que tout ce que j’ai fait, je l’ai fait pour ce pays et M. Bouteflika, et même pour Ali Benflis [NDLR. Chef du gouvernement à l’époque], sans nier mon amitié avec Rafik Khalifa. »
Au passage, il a reconnu qu’en venant en Algérie en février 2002 pour le match Algérie-OM il avait trouvé une enveloppe à son nom de 30 000 euros : une « surprise agréable », une « façon élégante de me dédommager », dit-il.
La chute de Rafik Khalifa n’a pas mis fin aux « hautes amitiés » algériennes de Depardieu. Le journal El Watan le rappelle : « Gérard Depardieu n’est pas un étranger à l’Algérie. Il a plusieurs fois visité notre pays et rencontré de nombreux responsables du monde culturel et politique dont le président Bouteflika. Aussi, il a acquis un vignoble de 50 hectares à Tlemcen dont le domaine porte le nom de Saint Augustin ». In vino veritas ?
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