Les islamistes en tête de l’opposition en Mauritanie

Succès de Tawassoul aux élections législatives et municipales · Les islamistes mauritaniens se sont présentés pour la première fois de l’histoire à une élection, le 23 novembre dernier, sous la bannière de leur propre formation politique, Tawassoul. Arrivés en deuxième position après le parti au pouvoir, l’Union pour la république (UPR), ils deviennent de facto la première force d’opposition reconnue dans le pays. Une nouvelle donne qui change tout sur l’échiquier politique mauritanien.

Jamil Ould Mansour, président du parti Tawassoul.
Capture d’écran Al-akhbar.

Les élections législatives et municipales du 30 novembre 2013 ont certainement été les plus chaotiques de l’histoire politique du pays, à cause du désordre qui a accompagné les différentes phases de leur organisation. Le parti islamiste, le Rassemblement national pour la réforme et le développement (RNRD), plus connu sous le nom de Tawassoul est sorti grand vainqueur de ce scrutin sans véritables enjeux. Dès l’annonce des résultats du premier tour dans huit mairies, Tawassoul a proclamé sa victoire et commencé à croiser le fer avec le parti au pouvoir, l’Union pour la République (UPR) en vue du second tour dans trente-cinq circonscriptions. Les élections législatives lui ont déjà permis de remporter quatorze sièges, et il se trouve en ballotage dans six circonscriptions. Un score qui sonne comme une victoire éclatante pour les islamistes « modérés », ainsi qu’ils se qualifient eux-mêmes. Et ils pensent déjà à l’exploiter pour se positionner sur la scène politique.

Le nombre de sièges obtenus permet à Tawassoul d’aspirer à devenir le leader de l’opposition. Une fonction jusqu’ici occupée par le Rassemblement des Forces démocratiques (RFD), opposant historique à tous les régimes militaro-démocratiques et dirigé par Ahmed Ould Daddah. Ce dernier et ses amis au sein de la Coalition de l’opposition démocratique (COD), une alliance qui regroupe dix partis, ont boycotté le scrutin législatif, laissant la voie libre à Tawassoul pour occuper le terrain.

Auteur du rahil qui réclamait le départ du président Aziz du pouvoir — équivalent du « dégage ! » emprunté aux révolutions arabes et lancé en 2011 en Mauritanie —, le parti islamiste n’a pas hésité à se démarquer de la COD lorsque celle-ci a décidé de ne pas participer aux scrutins législatif et municipal. Il y voyait même l’opportunité de s’imposer comme leader de l’opposition. Au risque de mécontenter ses anciens alliés.

Ce n’est pas la première fois que Tawassoul sort du rang et agit en solo. En 2009, il militait activement au sein du Front national pour la défense de la démocratie (FNDD), une coalition formée au lendemain du putsch qui déposa le président civil démocratiquement élu, Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, le 6 août 2008. La crise institutionnelle ainsi ouverte a trouvé son dénouement avec le fameux accord de Dakar, réalisé au forceps sous l’égide de la communauté internationale1. Une élection présidentielle était organisée dans la précipitation le 18 juillet 2009. Le FNDD devait désigner le leader haratine2 Messaoud Ould Boulkheïr, président de l’Assemblée nationale, pour défendre ses couleurs. À la surprise générale, Tawassoul brisait l’unanimité au sein de la coalition anti-putsch et présentait alors son propre candidat à cette élection, son président, Mohamed Jamil Ould Mansour.

Pis, au lendemain du scrutin présidentiel qui allait porter au pouvoir l’actuel président, Mohamed Ould Abdel Aziz, le général auteur du coup d’État de 2008, le parti islamiste rompait, encore une fois, avec l’opposition. Alors que cette dernière dénonçait des « fraudes massives », le parti Tawassoul reconnaissait la victoire de l’ancien putschiste et s’alliait même, quelques mois plus tard, au cours des sénatoriales partielles, avec l’UPR. Faisant ainsi montre d’un pragmatisme qui n’est, politiquement parlant, pas payant dans la mesure où il peut finir par jeter le discrédit sur des alliés jugés peu fiables, comme dans le cas de l’Égypte où presque toute la classe politique s’est dressée contre le pouvoir de Mohamed Morsi et des Frères musulmans et a soutenu les militaires qui les ont déposés. Il n’est pas exclu de voir le même scénario se reproduire en Mauritanie. En effet, les relations de Tawassoul avec les autres partis d’opposition risquent bien de se distendre. Non seulement du fait qu’il leur vole la vedette en tant qu’opposition démocratique, mais également — même si l’accusation n’est pas formulée ouvertement — parce que les membres du RNRD sont perçus comme des traîtres qui naviguent sans scrupules d’un camp politique à un autre.

Pour le pouvoir en place, Tawassoul est, en somme, un ennemi idéal. Un parti d’obédience islamiste facile à discréditer et même à diaboliser sur le plan international. Ce constat n’échappe pas à Ahmed Wadia, responsable de la communication du parti. Il explique cependant, la « légèreté » de son comportement par la « jeunesse politique » d’une grande partie de la direction de la formation islamiste qui, à la différence de la majorité des formations politiques, n’est pas dominée par une seule personne.

Dans le reste de la direction et au sein des militants, l’heure est plutôt à l’euphorie, à la célébration de la victoire et à la préparation du second tour des élections législatives et municipales. Des jeunes gens font d’ores et déjà du porte–à-porte à Nouakchott où le parti rêve encore de remporter plusieurs mairies pour décrocher le poste de présidence de sa communauté urbaine.

Quel que soit le résultat à terme, le parti islamiste a réellement amélioré son positionnement sur la scène politique nationale. Ses dirigeants estiment que leur bilan positif n’est que la récompense de plusieurs années de militantisme et de labeur.

1Les trois grands pôles de la vie politique mauritanienne, le RFD, le FNDD et le camp de la majorité se sont engagés le 2 juin 2009 à Dakar, sous l’égide de l’Union africaine et de l’ONU, à former un gouvernement transitoire d’union nationale en attendant l’élection présidentielle. Le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdellahi, déchu lors du précédent coup d’État a démissionné pour permettre la tenue de cette élection.

2Les Haratines, également appelés « Maures Noirs » sont les anciens esclaves de Mauritanie.

Soutenez Orient XXI

Orient XXI est un média gratuit et sans publicité.
Vous pouvez nous soutenir en faisant un don défiscalisé.