Fin avril, le président américain Barack Obama annonçait, depuis sa tournée en Asie, une pause dans les négociations israélo-palestiniennes, neuf mois après leur relance par son secrétaire d’État John Kerry. À l’approche de la date butoir du 29 avril 2014, les progrès en vue d’un premier accord-cadre étaient minces, voire inexistants, Washington ayant en définitive misé sur un échange de bons procédés pour sauver le processus d’une déroute totale : l’acceptation par l’Autorité palestinienne d’un report de l’échéance fixée en contrepartie de la libération d’un certain nombre de prisonniers palestiniens par Israël et d’un gel partiel de la colonisation en Cisjordanie, au nez et à la barbe de Tel Aviv et Washington. À la surprise générale, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) signait aussi, le 28 avril, un accord de réconciliation1 avec le mouvement islamiste Hamas en vue d’un gouvernement de consensus chargé d’organiser de futures élections. Nétanyahou suspendait immédiatement les pourparlers.
De qui ces événements en cascade traduisent-ils exactement l’échec ? De toute évidence, les parties au conflit n’ont jamais fait montre d’une volonté ou d’un enthousiasme quelconques pour reprendre les négociations, Israël campant notamment sur son obstination à toute épreuve. Nétanyahou qualifiait ainsi le plan américain de caduque dès son lancement, se refusant à reconnaître la colonisation juive en Cisjordanie comme un obstacle à toute solution de paix sur la base de deux États souverains. Sur fond de démolitions et d’actes anti-palestiniens, les constructions dans les territoires occupés ont augmenté au rythme exponentiel de 123 % depuis 20122. Et comme si cela ne suffisait pas, le ministère israélien de la défense approuvait récemment, pour la première fois depuis les années 1980, de nouvelles constructions juives à Hébron.
État israélien, « État juif » ?
Du côté palestinien, il n’est pas question d’accepter le régime d’occupation de quelque manière que ce soit, ni de reconnaître Israël comme un « État juif » et de renoncer, chemin faisant, au droit au retour. Or la reconnaissance de l’identité juive d’Israël est un élément cardinal de tout accord de paix pour les Israéliens. Ils estiment en effet que les racines du conflit se trouvent précisément dans le rejet de l’État israélien par le camp arabe, et non dans l’occupation. Ainsi, alors qu’Israël s’est toujours défendu d’une politique d’apartheid, et bien qu’aucun consensus n’existe quant à la définition de « l’État juif », plusieurs projets de loi ont été présentés à la Knesset depuis 2010 pour en appuyer l’idée, dont l’un qui proposait de supprimer l’arabe comme langue officielle et d’imposer la loi religieuse juive comme première source de droit. Au mois de mai 2014, le gouvernement Nétanyahou défendait lui-même un projet visant à faire inscrire dans la Constitution le statut d’Israël comme État-nation pour le peuple juif, tout en rejetant la notion d’un État binational, juif et arabe, au sein des frontières d’Israël. Annoncé au moment des commémorations annuelles de la Nakba (le désastre en arabe, en référence à la création d’Israël en 1948), ce projet a déclenché plusieurs émeutes en Cisjordanie3.
Un échec couru d’avance
En réalité, les efforts de paix conduits par John Kerry avaient peu de chances d’aboutir, au-delà d’une diplomatie forcenée faite d’incessants voyages dans la région. Sous cet angle, le secrétaire d’État, et finalement chaque autre acteur en présence, s’est placé dans une situation d’échec programmé, tentant à tout prix de ressusciter un processus déjà largement moribond. Derrière des annonces essentiellement destinées à sauver la face, son discours du 8 avril (retenu aux États-Unis comme le « poof speech » de la relance des efforts de paix)4, suivi par ses propos sur le danger d’un apartheid en Israël5, sont ironiquement apparus comme une reconnaissance personnelle de la futilité d’un plan de paix sans un désir préalable des parties. Il s’agit aussi ici de l’échec de Barack Obama, qui s’était engagé à relancer le processus dans son discours du Caire de 2009 en condamnant avec force à l’époque la colonisation.
C’est cette dernière qui, quotidiennement, hypothèque toujours un peu plus une solution de paix à deux États sur les frontières de 1967, à savoir celles d’avant la guerre de juin et internationalement reconnues. Les Israéliens refusent de retourner à ces frontières en invoquant la sécurité d’Israël et les colonies juives implantées en Cisjordanie. L’Autorité palestinienne, pour sa part, continue de réclamer la totalité des territoires occupés, dont Jérusalem-Est, comme base territoriale de tout futur État palestinien. Le Hamas, lui, l’inscrit sur la totalité de la Palestine historique, une position condamnée par Washington qui réfute le principe d’une réconciliation inter-palestinienne, « n’aidant pas la paix » pour reprendre les termes d’Obama.
La diplomatie américaine mal placée pour arbitrer
La diplomatie américaine n’a en fait guère évolué au fil des décennies, campant sur un légendaire laisser-faire à l’égard d’Israël, son allié stratégique indéfectible dans la région, et sur ses bonnes vieilles recettes et mêmes hommes6. Au premier rang des méthodes éculées et erreurs des États-Unis figurent l’unilatéralisme notoire de son hyperpuissance et la prétention d’agir comme seul médiateur d’un conflit inextricable. Or, du haut de leur position d’étroits partenaires d’Israël, comment les Américains peuvent-ils encore prétendre effacer le déséquilibre inhérent à toute négociation entre occupants et occupés ? L’Europe, en apparence plus neutre envers les Palestiniens, aurait pu jouer un rôle actif dans les dernières négociations. Mais John Kerry l’a laissée hors-jeu, dans la droite ligne de ses prédécesseurs. L’Europe avait adopté, au moment même de la reprise des pourparlers en 2013, des directives visant à exclure les colonies juives, illégales au regard du droit international, de tous ses financements et programmes de coopération communautaires7. Elle s’était par là-même dotée d’une capacité de pression économique réelle sur le gouvernement israélien et sa population, pour qui perdre le Vieux continent n’est pas une option.
Silence de l’Europe
Dans le même temps, ce levier européen est resté cantonné à la feuille de papier, les chancelleries européennes ayant cruellement manqué de courage lorsqu’un boulevard s’est ouvert devant elles. La réflexion entamée à Bruxelles et dans certains États-membres pour étiqueter les produits issus des colonies8 n’a pas progressé non plus, beaucoup des 28 répugnant encore à faire pression sur Israël. De manière plus générale, l’Europe est préoccupée par bien d’autres enjeux, qu’il s’agisse de l’après-crise financière ou des turbulences à ses portes, dont la récente crise ukrainienne et les conséquences de la guerre civile syrienne. Le conflit israélo-palestinien n’est pas au registre de ses priorités, ce qui laisse Washington aux commandes.
Les États-Unis, discrédités sur le Proche-Orient après avoir multiplié, depuis les accords d’Oslo en 1993, les tentatives infructueuses pour résoudre ce conflit9, sauront-ils trouver de nouveaux horizons, en refusant notamment les manœuvres de diversion israéliennes et la prolongation interminable d’un processus de négociation qui permet en réalité à Israël de poursuivre indéfiniment la colonisation des territoires sans être inquiété ? Les États-Unis doivent sans attendre réintégrer l’Europe dans un dialogue qui la concerne au premier plan et dont elle s’est éloignée à force d’être tenue en marge. Cela ne signifiera pas la fin de l’impasse, dont il revient aux deux parties de s’extraire, mais un effort diplomatique déjà plus crédible.
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1Alexander Kouttab, « Palestinian reconciliation and negotiations », European Council of Foreign Relations, 1er mai 2014.
2Comme le rapportait en mars 2014 le Bureau des statistiques israélien.
3« L’ONU réclame une enquête après “l’exécution” de Palestiniens en Cisjordanie », Le Monde, 21 mai 2014.
4Isabel Kershner, « Israel Says It Is “Deeply Disappointed” by Kerry’s Remarks on Peace Talks », New York Times, 9 avril 2014.
5« John Kerry : Israël risque de devenir un État d’“apartheid” », Huffington Post/AFP, 28 avril 2014.
6C’est ainsi Martin Indyk, ancien ambassadeur des États-Unis en Israël et proche du lobby pro-israélien Aipac qui est choisi comme émissaire américain pour le Proche-Orient. Outre le fait que ce dernier n’est que peu apprécié des Palestiniens, ses adversaires lui ont souvent reproché ses nombreux échecs diplomatiques passés.
7Guidelines on the eligibility of Israeli entities and their activities in the territories occupied by Israel since June 1967 for grants, prizes and financial instruments funded by the EU from 2014 onwards, 2013/C 205/05, Commission européenne, publié dans le Journal officiel de l’Union européenne, n° 56, 19 juillet 2013 ; p. 9.
8« L’UE reporte l’étiquetage des produits des colonies de Cisjordanie », Le Monde/AFP, 19 mai 2013.
9« Conflit israélo-palestinien : les cinq échecs américains », Le Monde, 29 avril 2014.