Économie

Les sanctions contre l’Iran et la Russie à l’origine de la flambée du gaz

L’explosion des prix du gaz menace les consommateurs et la croissance, notamment en Occident. Mais c’est pourtant l’Occident qui, par ses sanctions contre l’Iran et la Russie a largement contribué à cette crise.

L'image montre un chantier de construction avec plusieurs grues sur le site. On peut voir des structures métalliques en voie d'achèvement à l'arrière-plan, ainsi que des véhicules de chantier et des ouvriers sur le site. Le paysage environnant est montagneux, et le ciel est dégagé, ce qui suggère une journée ensoleillée. Le chantier semble être à un stade de construction avancé, avec des matériaux disposés sur le sol.
Chantier de construction du champ gazier de South Pars, phase 14, zone 1
Iran International General Contractor (IGC)

Le débat fait rage en Europe et aux États-Unis, accusations et dénonciations se multiplient et personne ou presque n’est épargné. Le président américain Joe Biden s’indigne que les pays membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), et d’abord l’Arabie saoudite, n’augmentent pas davantage leur production. La présidente de la Commission européenne Ursula van der Leyen regrette que la Russie ne suive pas le chemin vertueux emprunté par la Norvège qui accroit ses exportations de gaz vers le vieux continent. Le russe Vladimir Poutine met en cause les efforts de l’Union européenne (UE) pour remplacer les contrats à long terme, à prix stables, par des contrats courts, alignés sur les marchés mondiaux forcément plus instables. Jeudi 21 octobre 2021, sur TF1, le premier ministre français Jean Castex a révélé que les « prix spots »1 du gaz naturel liquéfié (GNL) avaient été multipliés par six en quelques semaines pour justifier sa prime « anti-inflation » de 100 euros.

La presse spécialisée s’étonne qu’outre Atlantique les producteurs de gaz de schiste renâclent à pousser les feux et se contentent de rembourser leurs créanciers, échaudés par un investissement massif qui, au final, ne leur pas rapporté grand-chose. Quant aux professionnels, ils notent que l’industrie pétrolière a drastiquement réduit ses investissements depuis 2014, année de l’effondrement des cours, et que les plus grandes entreprises internationales, les majors, se tournent vers de nouveaux horizons comme les énergies renouvelables au détriment du secteur des hydrocarbures où les nouveaux projets se font plus rares.

Dans ce jeu de massacre avivé par les craintes que l’inflation naissante ne fasse capoter la reprise économique et sombrer les espoirs des sortants à la prochaine élection présidentielle française en avril et aux éléctions parlementaires américaines en novembre 2022, un absent de marque : les sanctions économiques et pétrolières infligées par les États-Unis et l’Union européenne. Deux des principaux pays gaziers du monde, la Russie et l’Iran, en ont fait l’objet. Seul le troisième, le Qatar a été épargné et sa compagnie nationale Qatargas a pu développer avec la coopération des firmes occidentales et asiatiques quatorze trains de liquéfaction et s’installer comme numéro un mondial du marché au comptant. Doha profite à plein de sa position de premier producteur de GNL transporté par navires méthaniers géants aux quatre coins du monde.

Depuis novembre 1979, date de la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran, l’Iran fait l’objet de sanctions qui couvrent à peu près toutes les activités économiques, scientifiques, médicales, technologiques, pour des raisons qui vont du soutien des Gardiens de la révolution au terrorisme ou aux ambitions nucléaires des ayatollahs. South Pars, un gisement offshore de gaz naturel, est situé à cheval entre les eaux territoriales de l’Iran et du Qatar dans le golfe Persique. Découvert en 1971 par Shell, c’est le plus important gisement de gaz naturel du monde. Tour à tour, les plus grands de l’industrie pétrolière ont envisagé d’en exploiter la partie iranienne pour finalement y renoncer sous la pression d’un bureau du Trésor à Washington, l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) créé durant la seconde guerre mondiale par le président Franklin D. Roosevelt pour saisir les biens allemands et japonais dans le monde, devenu tentaculaire après les mesures prises par la Maison Blanche et le Congrès.

Des gisements inexploités

Dernier en date à s’y être essayé, le français Total s’en est retiré en août 2018 sous la pression de l’administration Trump. Trois mois plus tôt, les États-Unis dénonçaient l’accord de Vienne encore appelé Joint Comprehension Plan of Action (JCPoA) qui limitait les possibilités nucléaires iraniennes en échange d’une levée partielle des sanctions. Washington redoublait les sanctions, interdisait de fait au reste du monde d’acheter du brut iranien sous peine de perdre tout accès au marché américain, débranchait les banques iraniennes du réseau Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication (Swift), qui permet les paiements quotidiens interbancaires et plaçait tout utilisateur de dollar américain sous la compétence des tribunaux d’outre-Atlantique. La justice américaine a réclamé à BNP Paribas une amende de plus de 7,35 milliards d’euros pour avoir contourné des sanctions économiques contre l’Iran et plusieurs autres pays placés sous embargo. Résultat, cinquante ans après la découverte de South Pars, Qatar exporte plus de 100 milliards de m3 par an, l’Iran zéro…

Côté russe, les ennuis ont commencé en 2014 avec l’occupation de la Crimée et le soutien du Kremlin aux rebelles d’Ukraine. Le président Barack Obama a sanctionné l’industrie pétrolière russe, interdit les investissements dans toute entreprise dont des Russes détiennent 30 % du capital. Plus grave, la technologie américaine n’est plus disponible pour les Russes, notamment pour les forages à grande profondeur et la mise en valeur des gisements situés dans l’Arctique, une « gigantesque éponge à gaz » selon les propos de Patrick Pouyanne, PDG de Total, une des rares entreprises occidentales à avoir investi dans le gisement de Yamal.

Américains et nombre d’Européens se sont mobilisés pour faire capoter le doublement du gazoduc Nord Stream qui doit au total amener 55 milliards de m3 de gaz des environs de Saint-Pétersbourg à la côte allemande. Le monopole russe Gazprom finance 50 % des 9,5 milliards d’euros d’investissements prévus, le reste étant supporté par deux gaziers allemands, un pétrolier autrichien, Shell et le français Engie. On ne sait toujours pas si le gaz coulera bientôt dans la canalisation, la décision appartenant à un organisme indépendant d’outre-Rhin. En attendant, Washington a multiplié les sanctions, obligeant un navire suisse spécialisé dans les travaux sous-marins à interrompre le chantier en 2019, menaçant cette année les institutions qui garantissent le bon fonctionnement des installations des pires sanctions. Mais avec l’arrêt du gisement néerlandais de Groningue et l’épuisement rapide des réserves gazières de la mer du Nord, l’Allemagne n’a pas le choix ; entre les énergies renouvelables (vent, soleil) forcément intermittentes et le charbon qui participe au réchauffement climatique, Berlin hésite, il lui faut le gaz russe. La décision finale appartiendra sans doute à la future coalition « tricolore » dans laquelle les Verts ne cachent pas leur hostilité au gazoduc et à la Russie.

On ne saura jamais ce qu’ont coûté aux consommateurs les sanctions infligées au fil du temps à l’Iran et à la Russie par les autorités américaines et à un degré moindre par l’UE. Combien de milliards de m3 ont manqué les rendez-vous post Covid-19, et quel rôle cette absence a joué dans la montée inattendue des cours mondiaux sans jamais permettre d’atteindre les objectifs affichés au départ. Dans le jeu des sanctions, les sanctionneurs et le sanctionnés y laissent des plumes. Jusqu’à la crise gazière de cet automne, on l’avait un peu oublié dans ces capitales qui s’adonnent à des pratiques d’un autre âge. Après tout, les lampes à huile, la marine à voile et la guillotine ont disparu ; à quand le tour des sanctions ?

1NDLR. Le prix spot est le prix d’une marchandise (matière première, etc.), fourniture d’énergie (électricité, pétrole, gaz par exemple), valeur mobilière ou devise, payée dans un marché au comptant : c’est le prix fixé pour une livraison immédiate (c’est-à-dire en général à un ou deux jours ouvrables).

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