Les trois vies de l’ayatollah Khomeiny

L’an quarante de la révolution iranienne · Début février sera célébré le quarantième anniversaire de la révolution iranienne. À l’issue de longs mois de manifestations massives qui entrainèrent le départ du chah, l’ayatollah Khomeiny rentrait d’exil et instaurait la République islamique.

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Rouhollah Moussavi Mostafavi, dit Khomeiny, né en 1902 dans la petite ville de Khomeyn, dans une famille aisée de religieux et de notables locaux, a eu trois vies. En 1979, ce dignitaire religieux de haut rang (ayatollah) fut chef d’État, leader de la révolution qui a renversé le chah d’Iran. Il fut auparavant un opposant politique exilé en Irak pendant quatorze ans, après avoir été à Qom, jusqu’à l’âge de 59 ans, un professeur très apprécié, respectueux de la hiérarchie religieuse et du pouvoir politique.

Le jeune Rouhollah fit de brillantes études de théologie à Qom, disciple des deux plus grands ayatollahs iraniens : Abdol-Karim Haeri, rénovateur des écoles religieuses de Qom dans les années 1930, puis le très respecté Hossein Boroujerdi. Tous deux étaient partisans d’un islam chiite savant et quiétiste, opposé à l’action politique. Pendant plus de trente ans, Rouhollah Khomeiny fut ainsi un brillant et savant professeur de théologie, de droit et morale islamique (figh, charia), dans la prestigieuse école Feyzieh de Qom, loin de la vie politique très agitée de l’Iran. Ce conformisme social n’a pas empêché le jeune professeur d’étudier d’autres formes de pensée pourtant très mal vues des religieux chiites traditionnels, comme la philosophie grecque, notamment Platon, le soufisme (erfan), et même la poésie persane. En 1942, il osa publier Kashf ol-asrar Le dévoilement des secrets »), son premier ouvrage politique contre les réformes de Reza Chah, mais resta fidèle à la tradition apolitique des notables du clergé.

Tout changea en 1961, après le décès de son maître le Grand Ayatollah Boroujerdi (marjah-e taqlid) et le refus du clergé de Qom, qui se méfiait de lui, de le promouvoir comme « grand ayatollah ». En 1963, il multiplia les discours contre la Révolution blanche de Mohamad-Reza chah Pahlavi (réforme agraire, droit de vote pour les femmes). Il trouva un grand écho parmi les jeunes mollahs dont la révolte fut sauvagement réprimée, notamment le 5 juin 1963 (15 khordad du calendrier iranien) qui devient la date symbole de l’opposition khomeiniste au régime du chah. Peu après, Khomeiny fut exilé à Najaf en Irak et devint le symbole de l’opposition radicale au régime despotique du chah.

À Najaf, Khomeiny multipliait les conférences et écrits politiques. Il reçut la visite de nombreux leaders anti-impérialistes, de libération nationale, tiers-mondistes, et de militants cherchant à associer islam et politique. Se constitua autour de lui le réseau d’opposants qui fera tomber le chah. En 1977, la contestation s’amplifia en Iran sur les droits humains, la liberté politique, contre la soumission à la domination américaine. Pour briser le réseau des religieux contestataires de Najaf et de Qom, le chah demanda à Saddam Hussein d’expulser l’ayatollah Khomeiny. Il fut finalement accueilli en France le 6 octobre 1978 par Abol-Hassan Bani Sadr, le futur premier président de la République d’Iran.

Pendant quatre mois, Neauphle-le-Château, près de Paris, devint ainsi la capitale des multiples oppositions iraniennes. Les libéraux comme les marxistes acceptèrent comme leader ce religieux mal connu, mais excellent orateur, capable de mobiliser une grande partie de la population iranienne grâce à son réseau de religieux — les mollahs — dont les mosquées quadrillaient le pays et qui diffusaient les cassettes audio de discours simples et clairs appelant à la révolte. Utopie révolutionnaire : l’heure était au consensus et à l’unité révolutionnaire pour l’indépendance, la liberté et la République. Pour de nombreux opposants, l’islam était seulement le contexte culturel et non l’essence du combat politique.

L’ayatollah Khomeiny commença sa troisième vie le 1er février 1979, après son retour triomphal en Iran, puis la victoire de République islamique le 11 février 1979. Sa pensée politique profonde et longtemps mûrie devint alors réalité. Tout en s’inscrivant totalement dans la culture chiite traditionnelle en matière de mœurs (morale islamique, voile des femmes, modestie, souci des pauvres…), il met en œuvre sa théorie du « gouvernement du Docte » (velayat-e faghih). Selon ce principe, le gouvernement doit être dirigé, au moins pendant les périodes de crise grave, par les personnes « qualifiées », en clair, l’élite religieuse, en adaptant ainsi les idées de Platon dans La République. L’ambition universaliste d’exporter ces idées en appelant la communauté des musulmans, l’oumma, à se révolter contre les régimes corrompus fut bloquée par la guerre Irak-Iran (1980-1988), la première entre États musulmans. Ce drame, s’ajoutant aux contraintes de la gestion de l’État, imposa une dimension nationaliste et pragmatique à la politique iranienne, ce qui n’était pas pour gêner un Rouhollah Khomeiny habile et réaliste, mais toujours déterminé et n’hésitant pas, après tant d’années d’attente, à prendre tous les moyens nécessaires pour arriver à ses fins. En bref, un leader révolutionnaire auquel personne ne pouvait vraiment succéder à sa mort, en juin 1989.

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