À la surprise générale, le Liban et le Fonds monétaire international (FMI) ont annoncé jeudi 7 avril 2022 un accord de principe pour une aide de 3 milliards de dollars (2,77 milliards d’euros) afin de sortir le pays de la pire crise économique et sociale de son histoire. Le montant peut paraître dérisoire étant donné le volume d’aide dont le Liban a besoin —chiffré à des dizaines de milliards de dollars (le montant exact est difficile à déterminer, tant les modes de calcul diffèrent), mais il constitue un premier pas devant ouvrir la voie à des versements ultérieurs et d’autres provenant de pays amis. Cependant, l’accord dépend surtout cette fois de l’application d’un train de réformes essentielles et de leur adoption par le Parlement — et donc par la classe politique.
Comme par hasard, l’Arabie saoudite et le Koweït, deux richissimes monarchies sunnites du Golfe, ont dès le lendemain annoncé le retour de leurs ambassadeurs à Beyrouth après cinq mois de bouderie en raison, selon eux, de l’influence iranienne via le Hezbollah chiite sur la politique libanaise.
La veille de ces annonces pourtant, le vice-président du conseil des ministres libanais Saadé Chami, qui conduit depuis plusieurs mois la délégation de son pays dans les négociations avec le FMI affirmait que le Liban était un pays « en faillite » et sa banque centrale également. Le pays, qui a fait défaut en mars 2020 sur sa dette en devises (eurobonds)1 croule sous une dette globale estimée à 92 milliards de dollars (85 milliards d’euros). La banque centrale et les banques locales, qui ne servent plus depuis deux ans que de petites sommes à leurs déposants, détiennent plus de la moitié de cette dette.
L’aide du FMI conditionnée à des réformes
L’accord de principe avec la redoutable institution internationale a été accueilli favorablement par les trois principaux dirigeants du pays : le chef de l’État, le chrétien Michel Aoun, le président du parlement chiite Nabih Berri, et le premier ministre sunnite Nagib Mikati. En revanche, le scepticisme était au rendez-vous au sein d’une population très appauvrie par la crise, et même parmi les dirigeants et la classe politique. « Il faut prier pour que ça marche, J’irai demain à l’église », a confié à Orient XXI Grégoire Giraco, un Libanais incrédule et inquiet pour son pays. Et de fait, le pays n’est pas au bout de ses peines, loin de là, car les réformes nécessitent la bonne volonté des chefs de partis (« les corrompus » comme le crie la rue depuis près de trois ans) qui ont leurs propres intérêts et leur clientèle dans un système que l’ancien ministre et universitaire libanais Ghassan Salamé qualifiait de « kleptocratie redistributive » dans un entretien avec Orient XXI, soit « des gens qui redistribuent à leurs partisans, à leurs confessions, à leurs clientèles les ressources pillées de l’État ». Un système qui fonctionne (mal) depuis des décennies et est rétif à toute réforme, ce qui a amené le Liban d’avant à la faillite. Même scepticisme pour le banquier libanais spécialiste de la dette, Shadi Karam : « Le coût social imposé par le FMI risque d’être trop lourd à supporter par la population ». Et malgré leurs discours, les parties prenantes libanaises « risquent fort de rejeter les termes de l’accord », a t il confié à Orient XXI.
Dans le passé et avant la dernière crise, la communauté internationale avait promis des aides conséquentes : 7,6 milliards de dollars (7 milliards d’euros) lors de la conférence des donateurs internationaux dite « Paris III » de janvier 2007. Mais les réformes souhaitées n’ont jamais vu le jour, faute de bonne volonté, et l’argent promis n’est jamais arrivé. Cette fois, aide et réformes sont intimement liées, sous l’égide du FMI. Et l’UE s’est encore une fois dite prête à apporter son soutien.
Un projet de budget en accéléré
Pour preuve que les choses sont prises au sérieux, le conseil des ministres vient d’adopter non sans mal une loi de finances et le projet de budget pour 2022 qui doit encore être validé en commission et au Parlement. Avant les élections législatives du 15 mai 2022, c’est dire que la course contre la montre est une rude épreuve. D’autant que la crainte est grande de voir un accord en bonne et due forme avec le FMI tarder à se concrétiser après le mois de juin 2022, comme c’est actuellement prévu. Si l’annonce d’un accord de principe avait été reportée, il aurait fallu attendre, calendrier oblige, l’élection présidentielle de l’automne 2022. Pour un Liban quasiment en arrêt cardiaque c’est un renvoi aux calendes grecques !
« Nous coopérerons étroitement pour assurer la mise en œuvre rapide de toutes les mesures convenues avec le Fonds, y compris l’adoption de la législation nécessaire, en coopération avec le Parlement. Nous renouvelons notre plein engagement à poursuivre la coopération avec le FMI afin de sortir le Liban de sa dépression et de le mettre sur la voie du redressement », a ainsi indiqué un communiqué commun de Michel Aoun et Nagib Mikati après l’annonce de l’accord. « Le Liban souffre d’un cumul qui a provoqué une crise économique et financière complexe et sans précédent, un déficit important et une augmentation constante de la dette publique », une des plus élevées du monde, selon ce même communiqué. Insistant sur l’urgence du calendrier des réformes, Saadé Chami a martelé : « Plus nous tardons à lancer les réformes nécessaires, plus le prix sera élevé pour l’économie nationale et donc pour le citoyen. Le prix de l’attente est très élevé, donc tout le monde doit coopérer. »
La Banque du Liban sur la sellette
On ignore encore comment seront réparties les pertes du secteur financier. Les déposants des banques estiment qu’il s’agit de les rendre équitables, alors que le gouvernement envisageait de leur en faire supporter 55 % afin de mitiger celles des actionnaires des banques.
Un point important concerne le rôle de la Banque du Liban (BdL) dont le gouverneur Riad Salamé est visé par plusieurs enquêtes en Suisse, en France, au Liechtenstein et au Luxembourg pour détournements de fonds, malversations financières et blanchiment d’argent, et poursuivi pour « enrichissement illicite » au Liban. Son frère Raja, accusé de connivence, a été jeté en prison. L’accord avec le FMI interdit formellement à la BdL « de financer les déficits de l’État libanais », ce qu’elle a fait pendant des décennies, croit savoir le journal L’Orient-le Jour dans son édition du samedi 9 avril 2022, citant des sources proches du dossier.
Autre difficulté, et non des moindres : comment annoncer que la pilule sera très amère à avaler ? « Le FMI prévoit que le gouvernement définisse une stratégie de restructuration du système bancaire. En réalité, cette stratégie est déjà définie. Mais le cabinet doit la valider et la rendre publique (…) », ajoute le journal. « Tous les acteurs sont prêts à restructurer jusqu’au moment où ils découvrent ce que cela implique réellement, si on fait les choses dans les règles, à savoir une reconnaissance des pertes », résume l’expert financier libanais Mike Azar, cité par le quotidien francophone.
Législatives verrouillées par les grands partis
Les partis politiques traditionnels tiennent le Parlement sous leur coupe et l’opposition (société civile, indépendants) est faible et morcelée. L’échéance du 15 mai vise à élire 128 députés pour une période de quatre ans. Les candidats doivent se rassembler obligatoirement au sein de listes composées d’au moins trois personnes. Les nouveaux venus dispersés et non adoubés par les partis traditionnels reconnaissent qu’ils ont peu de chance de faire une percée significative face à ceux qui connaissent le jeu des partis, largement confessionnel.
Pour la première fois, plus de 225 000 Libanais de la diaspora pourront voter dans les bureaux des ambassades. Pour la première fois également, 155 femmes font partie des 1043 candidats inscrits sur 103 listes, un chiffre record. Parmi elles, Sarah Yassine, une jeune universitaire et militante de la société civile de 34 ans, qui se présente pour un siège à Beyrouth au sein du collectif écologiste et social-démocrate Madinati (Ma ville). Soit quasiment une voix presque inaudible dans cette configuration ; pourtant, ce sont les voix de ces nouvelles générations qui manquent au pays. « Forte de l’expérience de la révolte d’octobre 2019 contre la corruption de la classe politique, je souhaite lutter contre la destruction de notre environnement naturel », a-t-elle déclaré en toute modestie face aux mastodontes sans véritable projet.
Les voix inaudibles du changement
Ainsi, l’opposition issue du soulèvement d’octobre 2019 arrive-t-elle, comme on s’y attendait, en rangs dispersés dans la circonscription du Mont-Liban, pourtant des plus compétitives. Dans cette région, « les groupes de la contestation du 17 octobre arrivent au champ de bataille en rangs encore plus dispersés, puisque ce sont 5 listes se réclamant de la thaoura (le soulèvement) qui s’affrontent cette fois-ci, alors que les deux camps politiques traditionnels adverses présents se sont agglomérés chacun sur une liste »2.
Six partis et collectifs de l’opposition libanaise ont récemment annoncé qu’ils entendaient joindre leurs efforts en vue des législatives. Mais point d’unité ni de programme original pour ces mouvements certes courageux, mais faibles face à des rouleaux compresseurs comme le Hezbollah allié d’Amal, l’autre mouvement chiite du président du Parlement et majoritaire à l’Assemblée avec le parti du chef de l’État, le Courant patriotique libre (CPL), une coalition à laquelle s’opposent notamment les Forces libanaises (FL, ex-milices chrétiennes libanaises), alors que l’ancien chef du Courant du futur Saad Hariri, ancien premier ministre et leader de la rue sunnite a annoncé en janvier 2022 s’être retiré de la vie politique.
Malgré sa puissance, le Hezbollah (qui revendique le plus grand nombre de députés) reste critiqué par des voix de l’opposition telles celle de Charbel Nahas, ancien ministre et secrétaire général du parti Citoyens et citoyennes dans un État. « Le Hezbollah ne porte pas de projet politique »3, affirme cet homme politique charismatique très critique à l’égard des élections, même s’il a décidé d’y participer in fine pour contester la légitimité du pouvoir en place, et prôner un « projet de rupture » en faveur d’un État laïc, social et redistributif. C’est sans aucun doute le meilleur des projets, mais est-il seulement réalisable ?
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