Liban, le retour tant attendu de Michel Aoun

L’élection de Michel Aoun à la présidence du Liban met fin à une longue crise politique. Elle témoigne de la volonté des différents protagonistes de mettre le pays à l’abri des soubresauts régionaux et elle pourrait signaler un rôle accru des chrétiens sur la scène nationale, voire régionale.

Beyrouth 2016. Affiche électorale faisant référence à l’époque de la « guerre de libération ».
Amer Ghazzal/Alamy Stock Photo, 31 octobre 2016.

Et du chaos, du désordre et de la peur surgit la lumière ! Le Liban a enfin un chef de l’État après deux ans et demi pendant lesquels le fauteuil présidentiel est resté vide, entraînant la paralysie des institutions. Dans un contexte d’anarchie ambiante au Proche-Orient, le sentiment était que le Liban allait à vau-l’eau, assis sur un volcan à cause de la guerre à ses frontières en Syrie, le redoutable grand frère. Or cette fois Damas, où se négociait — voire se décidait — le choix du président libanais n’a même pas eu son mot à dire.

On croirait rêver et pourtant les choses se sont imposées avec une simplicité bon enfant. Comme dans un conte de fées, Michel Aoun, l’ancien chef de l’armée âgé de 81 ans — autrefois officier briscard, passablement atrabilaire, honni et moqué par une bonne partie de la classe politique, mais opiniâtre et adulé par ses partisans — s’est imposé au premier tour de scrutin au Parlement libanais le 31 octobre 2016. Du presque jamais vu ! Le plus vieux président que le Liban ait connu a fait autour de lui une quasi-unanimité de façade, rassemblant les voix de 83 députés sur 1271.

Du jour au lendemain, les inimitiés entre sunnites, chiites et chrétiens sont apparues comme dissipées. Les divergences et les rancœurs politiques ont semblé céder face à l’horreur du vide. À défaut d’une cure de jouvence souhaitée par la société civile et la jeunesse, la classe politique a préféré, de guerre lasse, élire le vieil homme qui depuis des années clame haut et fort qu’il veut être président.

Pourtant quelques semaines plus tôt, personne au Liban ou à l’étranger (parmi les « amis du Liban ») ne voyait la crise institutionnelle se résoudre. Son principal allié le Hezbollah n’imaginait pas vraiment que Michel Aoun puisse accéder à la magistrature suprême. Au point que le tout-puissant chef du parti chiite Hassan Nasrallah n’a donné son accord qu’une semaine avant le jour de l’élection. Et ce, bien qu’il ait toujours affirmé que le vieux général était son candidat naturel. Un candidat, rappelons-le, qui voulait bouter l’armée syrienne hors du Liban au début de son aventure politique à la fin des années 1980, provoquant ainsi son propre exil pendant quinze ans en France et une énième crise politique. Bref, un candidat qui était aux antipodes des idées du Hezbollah, allié de choix du régime syrien. Qui plus est, ce dernier, empêtré dans la guerre en Syrie, avait tout fait depuis le départ du dernier président élu Michel Sleiman2 pour empêcher la tenue de nouvelles élections.

Que s’est-il donc passé ? Où va le Liban ? Et surtout quid des chrétiens, grands perdants dans ce Proche-Orient en recomposition au vu de cette élection ?

« Napol-aoun »

Pour obtenir un consensus sur son nom, Aoun a reçu l’appui inopiné de deux de ses adversaires politiques : le leader chrétien des Forces libanaises (FL) Samir Geagea et l’ex-premier ministre sunnite Saad Hariri, tous deux hostiles au président syrien Bachar Al-Assad et à ses alliés libanais du Hezbollah. Ces ralliements peuvent étonner, étant donné que les deux camps (les milices des FL et les unités de l’armée sous l’ordre du général) s’étaient livré des batailles féroces avant la défaite finale de Michel Aoun et son exil forcé. Quant à Hariri, à la tête de la coalition politique anti-syrienne du 14-mars, son ralliement à la candidature d’Aoun a surtout obéi à sa volonté de ne pas disparaître de la scène politique, en revenant au pouvoir en tant que premier ministre

Les principaux postes de l’État sont dévolus aux trois plus importantes communautés religieuses : la présidence de la République à un chrétien maronite, celle du Parlement à un musulman chiite et le poste de premier ministre à un musulman sunnite. Depuis l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri en 2005, le paysage politique était scindé en deux : la coalition du 14-Mars anti-syrienne, réunie autour de son fils Saad Hariri et regroupant notamment les FL d’un côté, et le mouvement du 8-Mars pro-syrien dirigé par le Hezbollah et ultérieurement rejoint par Michel Aoun de l’autre. Ironie de l’histoire, en adoubant Aoun, l’anti-syrien Saad Hariri — empêtré dans des difficultés financières, plus ou moins abandonné par son parrain saoudien et affaibli au sein de son propre mouvement — s’est ainsi rallié au Hezbollah, pourtant tenu avec Damas pour responsable de la mort de son père.

Autre ironie, l’élection de Aoun — que ses détracteurs continuent de surnommer « Napol-Aoun » — a donné lieu à d’étranges réactions, tel le fait d’avoir été saluée par Washington, alors que le principal allié du nouveau président est le « Parti de Dieu », inscrit sur la liste terroriste des États-Unis.

Le Hezbollah maître du jeu

Plusieurs constats peuvent être tirés de cette nouvelle donne : fissuration de la coalition anti-syrienne, recul de l’influence de l’Arabie saoudite au profit du Hezbollah qui se présente plus que jamais comme meneur de jeu au Liban au moment où Damas et le parti chiite obtiennent de nouveaux succès sur le terrain en Syrie, forts du soutien russo-iranien face aux rebelles soutenus par l’axe des monarchies sunnites.

Le nouveau président a cependant insisté dans son discours d’intronisation sur la nécessité de préserver son petit pays du conflit qui dévaste la Syrie voisine. Il s’est également inquiété de la présence de plus d’un million de réfugiés syriens au Liban. « Nous devons nous assurer du retour rapide dans leur pays des déplacés syriens et œuvrer pour que les camps de déplacés ne se transforment pas en zones hors de contrôle ». Enfin, il a souligné la nécessité d’entreprendre des réformes économiques drastiques au moment où l’administration, plus que jamais minée par la corruption, s’avère incapable d’assurer les services de base comme le ramassage des ordures ou la distribution d’électricité. Peu commentée, la situation financière du pays, dégradée depuis que les monarchies sunnites du Golfe boudent le Liban, commençait d’ailleurs à sérieusement inquiéter les responsables, et l’élection présidentielle a aussi permis d’insuffler un peu d’optimisme.

En attendant la formation et le fonctionnement d’un gouvernement — deux exercices qui s’annoncent difficiles — et alors que les élections législatives, deux fois reportées, doivent se tenir en 2017, l’accession de Michel Aoun au pouvoir suprême est loin d’annoncer la fin des divisions politiques. Et sur les réseaux sociaux, des internautes n’ont pas manqué de railler l’ancien militaire qui qualifiait il y a peu d’« illégitime » ce Parlement auquel il doit son élection et que ses partisans ont boycotté tant qu’il n’était pas assuré de gagner.

Faut-il aussi rappeler que les pouvoirs du chef de l’État ont été rognés à la fin de la guerre civile (1975-1990), même si le président chrétien continue de jouer un rôle (d’arbitre ou d’empêcheur de tourner en rond ?) dans la vie politique ? « Malgré les réserves qu’on peut formuler sur la manière peu démocratique dont Michel Aoun a été élu et sur sa personnalité, on ne peut que se féliciter de son élection, car elle met fin à la vacance du pouvoir et à la marginalisation politique de la communauté chrétienne. Mais le Hezbollah reste maître du jeu », nous a dit l’historien et chroniqueur libanais Ibrahim Tabet.

Les frères ennemis chrétiens

De fait, le rapprochement des anciens frères ennemis chrétiens Samir Geagea et Michel Aoun constitue un catalyseur dont a grandement besoin cette communauté pour conserver et raffermir son rôle politique dans le pays, alors que l’Orient chrétien traverse une de ses pires périodes, selon certains experts. Cette entente interchrétienne « va au-delà de la crise constitutionnelle à laquelle ils ont contribué à mettre fin ». En unissant leurs efforts depuis janvier 2016, ils ont surtout abouti « à un accord qui signale aux autres leaders libanais et puissances régionales que la couverture chrétienne accordée aux programmes politiques des chiites et des sunnites sera désormais chèrement monnayée », et que leur entente vise à « restaurer l’importance de leur communauté et à donner un nouveau souffle à la participation politique des chrétiens » dans les affaires du pays, estime Anthony Elghossain du Carnegie Endowment for International Peace. Selon ce chercheur, cette entente devrait perdurer au-delà de cette élection présidentielle. « Sans doute avec réticence, Geagea et Aoun ont enfin compris qu’il leur fallait adopter une autre approche susceptible de faire face aux transformations démographiques et politiques (régionales et internationales) au-delà de leur contrôle » (qui les dépassent), note-t-il3.

Quoi qu’il en soit, cette stratégie du « pas de deux » a d’ores et déjà permis dans les mois précédant l’échéance présidentielle d’écarter les autres candidatures, telle celle du leader chrétien proche de Damas Sleiman Frangié. Reste à voir si les deux hommes sauront mener à bien leur programme, après avoir montré leur capacité à devenir respectivement roi et faiseur de rois.

1L’élection présidentielle au Liban fait l’objet d’un scrutin indirect durant lequel au moins les deux tiers des membres de la chambre des députés sont appelés à choisir un candidat.

2Le 24 mai 2014.

3« Christian Consolidation and Lebanon’s Political Puzzle », Carnegie Endowment for International Peace, 2 novembre 2016.

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