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Libye, Mali : inquiétudes algériennes, pressions françaises

Bien qu’elle affirme n’avoir aucune responsabilité dans la situation de la Libye et du Mali, l’Algérie regarde avec inquiétude l’instabilité croissante dans ces deux pays avec lesquels elle partage une longue frontière. Elle subit aussi une forte pression française pour assumer des responsabilités sécuritaires régionales plus larges.

L’Algérie va-t-elle rompre avec sa traditionnelle politique de non-ingérence dans les conflits extérieurs en s’engageant de manière plus directe dans les deux crises principales à ses frontières, c’est-à-dire en Libye et au Mali ? Depuis plusieurs semaines, cette question est régulièrement posée par la presse algérienne et provoque dans le même temps d’interminables débats passionnés sur les réseaux sociaux. On le sait, concernant la Libye, les autorités algériennes se sont toujours tenues à distance des évènements qui ont secoué ce pays depuis février 2011 en refusant, par exemple, de participer à l’intervention militaire contre le régime de Mouammar Kadhafi (une position qui leur vaut, aujourd’hui encore, une certaine hostilité de la part de plusieurs composantes du nouveau pouvoir à Tripoli).

Mais, aujourd’hui, les pressions occidentales se multiplient à l’encontre d’Alger pour l’obliger à sortir de sa position de neutralité en contribuant à stabiliser la situation sécuritaire libyenne. De même, pour ce qui est du Mali, le pouvoir algérien n’a jamais cessé de plaider pour une négociation entre les autorités de Bamako et les rebelles touaregs tout en excluant la moindre action militaire aux côtés des forces françaises engagées dans l’opération Serval. Or, là aussi, les appels plus ou moins explicites se multiplient pour que l’Armée nationale populaire (ANP) joue un rôle plus actif dans la sécurisation du nord-Mali.

La France à la manœuvre

« En Libye comme au Mali, la situation n’évolue pas comme l’aurait souhaité la communauté internationale et plus particulièrement la France et l’Europe », explique un haut responsable algérien qui a requis l’anonymat. « En Libye, c’est le chaos total et il n’y a plus de pouvoir central. On ne sait pas ‘qui est qui’ et qui est l’ennemi. Au Mali, les raisons qui ont engendré la crise de 2012 sont toujours là. On nous demande de mettre de l’ordre et on nous reproche de ne pas jouer notre rôle de puissance régionale. Or, il ne faut pas l’oublier, ce n’est pas l’Algérie qui est à l’origine de ces deux désastres. Nous n’avons pas vocation à jouer le rôle de pompiers de service, surtout dans un environnement de crise qui évolue sans cesse. »

Reste à savoir qui est l’auteur de ces pressions. En Algérie, la majorité des observateurs, mais aussi l’opinion publique, sont persuadés que la France est à la manœuvre. Une certitude confortée par la visite à Alger, le 21 mai 2014, de Jean-Yves Le Drian, ministre français de la défense. Ce dernier a rappelé avec insistance que son pays et l’Algérie ont « des accords très clairs pour éradiquer le terrorisme sous toutes ses formes » qui sévit en Afrique du Nord et « gangrène les États ». Une mise en cause qui peut concerner à la fois les groupes djihadistes qui opèrent au nord du Mali et les milices qui sèment le trouble en Libye. Le Drian n’a certes pas évoqué publiquement une intervention directe de l’ANP sur les deux théâtres d’opérations, mais il a tout de même plaidé pour « une grande coordination » des outils diplomatiques et de renseignement des deux pays. Surtout, le ministre français a reconnu avoir eu « une discussion approfondie sur la Libye » avec Ramtane Lamamra, le ministre des affaires étrangères.

La frontière avec la Libye sous surveillance

Selon des sources diplomatiques, et en attendant la prochaine visite que doit effectuer le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, Paris aurait pour l’instant échoué à convaincre Alger d’être plus actif sur le plan militaire, notamment dans les régions frontalières. Jusqu’à présent, le pouvoir algérien insiste sur la nécessité de « sécuriser » ses frontières sans pour autant évoquer la possibilité d’opérations hors de ses frontières même si, durant l’été 2013, l’ANP a déjà effectué quelques incursions sur le territoire tunisien pour réduire le maquis islamiste implanté sur le mont Chaambi. Le 26 mai 2014, lors d’un entretien accordé à la radio publique francophone Chaîne 3, le général Boualem Madi, directeur de la communication de l’état-major de l’armée algérienne, a tout de même estimé que la situation aux frontières de son pays était « préoccupante » et qu’elle exigeait donc « une vigilance permanente et un déploiement rigoureux ». Pour mémoire, l’Algérie a une frontière de 1400 kilomètres avec le Mali et de 1000 kilomètres avec la Libye (autant qu’avec la Tunisie). Depuis la mi-mai, la frontière terrestre entre l’Algérie et la Libye a été fermée sur décision d’Alger, une mesure qui en rappelle une autre, prise à la mi-janvier 2013 – et qui reste en vigueur — pour boucler celle qui sépare l’Algérie du Mali.

S’il a bien insisté sur l’action de l’ANP à l’intérieur du pays, le général Madi a aussi évoqué une présence de l’ANP sur « la bande frontalière ». Au total, 40 000 militaires algériens sont postés le long de la frontière libyenne, un déploiement toujours présenté comme défensif pour faire barrage à des tentatives d’incursion de groupes terroristes ou de trafiquants d’armes. Or, un nouveau scénario commence à circuler à Alger avec l’hypothèse d’interventions préventives au-delà des frontières. Ces actions ponctuelles viseraient les groupes djihadistes, qu’ils soient positionnés au sud-est de la Libye ou au nord du Mali. « Cela mettrait la pression sur les groupes armés tout en donnant un sérieux coup de main aux partenaires européens de l’Algérie », note un militaire algérien à la retraite, qui ajoute toutefois que les autorités de son pays ont « l’obsession d’éviter d’être aspirées par un engrenage débouchant sur une longue guerre d’usure ».

À cela s’ajoute un autre risque. L’opinion publique reste majoritairement opposée à toute intervention extérieure. De fait, si Alger devait remettre en cause sa doctrine traditionnelle, ce serait immédiatement assimilé à un renvoi d’ascenseur en faveur d’une France qui a pris soin de ne pas critiquer l’élection d’Abdelaziz Bouteflika pour un quatrième mandat présidentiel

Les relations entre l’Algérie et ses voisins - Akram Belkaid à l’Université populaire iReMMO
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