Mobilisation des Arabes-Américains du Michigan à l’élection présidentielle

Front uni contre Donald Trump · L’élection présidentielle américaine a permis d’affirmer la présence politique de la diaspora arabo-américaine sur les plans local et fédéral. L’image négative véhiculée dans les médias, où les Arabes et les musulmans sont assimilés au terrorisme et à l’extrémisme n’a pas empêché cette communauté d’exercer son droit électoral avec un taux de participation de 69 %, au-delà la moyenne fédérale. Pour qui et pourquoi les Arabes-Américains se sont-ils ainsi mobilisés ?

Badges du kit de campagne #YallaVote, 2016.

Dans la ville de Dearborn, située à proximité immédiate de Detroit, la communauté arabo-américaine est particulièrement concentrée. Elle est par conséquent la plus représentative de l’identité politique de la diaspora au niveau national. L’implantation des Arabes-Américains dans cette ville remonte au début du XXe siècle, avec l’établissement du gigantesque complexe industriel Ford River Rouge, et l’adoption par Henry Ford du principe selon lequel pour accroître la production, il faut augmenter la consommation, ce qui implique que le pouvoir d’achat des ouvriers clients des usines Ford soit suffisamment élevé. Des milliers d’immigrés de toutes nationalités (plus de soixante nationalités) s’installent alors près des usines de River Rouge, dont les (futurs) Arabes-Américains. Leur nombre a augmenté au fil des guerres et des destructions dans leurs pays d’origine.

L’immigration massive des Libanais et des Syriens remonte au début de la première guerre mondiale, alimentée par des crises diverses, notamment les guerres civiles. Celle des Palestiniens a commencé après l’exode de 1948, et celle des Yéménites n’a cessé d’augmenter du fait des crises internes, jusqu’à atteindre son apogée aujourd’hui. Enfin, l’immigration des Irakiens est le résultat de la guerre menée contre l’Irak en 1990-1991, suivie de son invasion en 2003. La venue de chaldéens1, comme celle, constante, d’autres minorités venues des pays arabes, résulte pour leur part de la marginalisation et de l’oppression.

Après l’effondrement de la production des usines de River Rouge, la diaspora arabe, et plus particulièrement yéménite, a investi en masse les quartiers sud-est de Dearborn. La plupart des Libanais se sont installés, quant à eux, à l’est, et commencent à présent à céder la place, pour s’établir dans d’autres quartiers ou villes.

Une communauté dynamique

L’histoire de Dearborn est marquée par le racisme à l’encontre des minorités, surtout des Afro-Américains. Les migrants venus des pays arabes sont pour leur part parvenus à se fondre dans la population, servis par leur couleur de peau et les Arabo-Américains représentent près de 40 % des habitants de la ville qui en compte près de 100 000. Le nombre d’Arabes habitant le Michigan se situe autour de 450 000, sur les 4 millions établis aux États-Unis2.

La croissance constante du nombre d’Arabo-Américains a entraîné la formation d’institutions culturelles, religieuses, sociales et économiques. Les jeunes générations se montrent plus à même de participer à la vie politique, dès lors que leur appartenance à la société américaine n’est pas inhibée, comme c’est le cas pour la première génération, par l’appartenance à la patrie d’origine. 18 000 Arabo-Américains se sont inscrits sur les listes électorales pour cette dernière élection, alors que le nombre d’électeurs inscrits en 1985 ne dépassait pas 700.

Le discours anti-arabe et anti-musulman développé depuis le 11 septembre 2001 a eu un impact considérable sur les interactions politiques avec la communauté arabe dans le Michigan. Celle-ci a alors été mise à l’index et a perdu de sa vitalité ; s’en réclamer comprenait une prise de risque politique pour les candidats. La virulence du discours raciste de Donald Trump au cours de cette campagne électorale a néanmoins incité les enfants de la diaspora à se réveiller pour défendre leur présence. Une réaction qui avait commencé suite aux événements du 11 septembre 2001, et qui s’est consolidée avec la première élection de Barack Obama.

La deuxième génération, consciente de son appartenance ethnique, prend part à la politique avec enthousiasme. Elle est témoin des répercussions négatives des pratiques racistes et discriminatoires qu’elle-même subit à différents niveaux. Cette immersion dans la vie politique s’est manifestée dernièrement lors des élections locales (au niveau de chaque État) marquée par des succès à différents niveaux, dont la plus importante fut la victoire de Abdallah Hammoud, le plus jeune député de l’histoire à la chambre des députés du Michigan.

Des voix qui commencent à compter

Ces avancées sur le plan local, ainsi que les référendums sur les questions relatives aux villes ou aux États, marquées par le succès de nombreux Arabo-Américains, ont augmenté le nombre de votants parmi ces derniers, et donné aux voix « arabes » une importance réelle dans la répartition des voix pour les candidats à l’élection présidentielle.

L’État du Michigan fait partie des « swing states », les États charnières déterminants pour les résultats finaux de la présidence. Étant donné que le choix entre le candidat démocrate et le candidat républicain se détermine selon un écart de 3 à 4 %, il est normal que les voix arabes intéressent les candidats. Leurs visites répétées au sud-est du Michigan et les invitations des Arabo-Américains lors des campagnes électorales en sont la meilleure preuve.

La diaspora arabe n’a cependant pas bénéficié d’une visite spéciale de Trump. Sa position raciste à l’égard les musulmans et des Arabes est claire et connue. L’apparition d’un cheikh enturbanné à l’arrière de l’estrade, lors d’une de ses visites dans le Michigan, n’y a pas changé grand-chose. En revanche, le candidat malheureux Bernie Sanders a rendu visite au siège du syndicat des ouvriers, au sud-est de Dearborn, à l’occasion des primaires des démocrates. Devant une foule d’Arabo-Américains dépassant toute attente, il a déclaré son soutien à la cause des ouvriers et des minorités. Il a ensuite réitéré sa visite dans la ville, et s’est réuni avec les militants arabo-américains.

Quant à Hillary Clinton, elle s’est rendue à Detroit à trois reprises, ainsi que dans la ville de Livonia. Lors de ses visites, la présence arabe a été clairement relevée. Son mari, Bill Clinton, présent pour la soutenir, a pris la peine d’entrer dans les commerces et les restaurants des Arabo-Américains à Dearborn. Il faut également noter que quelques personnalités arabo-américaines faisaient partie du groupe de consultation des candidats Sanders et Clinton, notamment Zeinab Hussein, directrice de la campagne électorale de cette dernière, et James Zogby, le représentant du groupe de Bernie Sanders dans la négociation avec ses partisans.

En outre, la participation des Arabo-Américains à la primaire des élections du parti démocrate a occupé la première place dans les médias locaux et nationaux, car le candidat Bernie Sanders a obtenu plus de 60 % des voix des Arabo-Américains, alors qu’il est juif et de gauche. La préférence marquée pour Sanders par rapport à Clinton témoigne d’une lecture correcte des positions et du programme des candidats par les électeurs, qui ont dépassé le stéréotype de l’antagonisme entre juifs et Arabes. Car l’agenda de Bernie Sanders répond aux revendications de la classe moyenne et des personnes à revenus modestes. Il a en outre une position modérée à l’égard de la cause palestinienne et des questions arabes.

Du vote républicain au vote démocrate

La plupart des Arabes-Américains ont adopté une stratégie visant à barrer la route coûte que coûte à l’arrivée de Trump, préférant le mauvais au pire. A la dernière élection, durant lesquelles le nombre d’Arabes votant a augmenté, les voix se sont réparties entre les candidats à raison de 70 % pour Clinton contre 22 % pour Trump, dans les régions sud-est de Dearborn où habite la grande majorité de la diaspora. Si l’on examine la carte de la ville en fonction des quartiers, la candidate Clinton a remporté la victoire dans la région sud de Dearborn, avec entre 81 et 91 % des voix. À l’est, elle a obtenu entre 70 et 81 % des voix, selon les chiffres communiqués par la municipalité. Concernant la carte des taux de vote en annexe, la couleur foncée apparait clairement au sud-est et à l’est de Dearborn, où une forte densité de population arabe est présente, ce qui indique la densité du vote en faveur de Clinton.

Présidentielle américaine 2016 : Répartition des votes à Dearborn, Michigan
Source : municipalité de Dearborn

Que dit cette élection de l’influence politique des Arabes-Américains aux niveaux local et fédéral ? Selon Hassan Jaber, directeur de l’ Arab Community Center for Economic and Social Services (Centre communautaire arabe pour les services économiques et sociaux, Access) — la plus grande organisation arabo-américaine aux États-Unis —, les résultats indiquent un transfert massif des votes du parti républicain vers le parti démocrate par rapport aux précédentes élections où les voix arabes étaient équitablement partagées entre les deux partis.

Après le drame irakien, le parti démocrate l’a emporté parmi la communauté, mais sans jamais atteindre le niveau actuel. Cela tient au discours de Trump, appelant à ficher et à interdire l’entrée des musulmans dans le pays, ainsi que pour d’autres raisons purement internes : sa promesse d’en finir avec l’« Obamacare » (Le Patient Protection and Affordable Care Act — loi sur la protection des patients et les soins abordables — promulgué par Obama en 2010), son soutien à la privatisation du régime de retraite, ses positions racistes envers les minorités et le manque de clarté de son programme économique. Autant de points qui ont fonctionné comme repoussoir chez les Arabo-Américains.

Le directeur d’Access considère que la diaspora arabo-américaine ne peut pas résister à la menace représentée par l’élection de Trump en restant à l’écart des minorités sinistrées, telles que les Afro-Américains et les Hispano-Américains, mais aussi les femmes, les homosexuels et autres marginaux. Une alliance regroupant tous ces groupes est en passe de se former. Elle s’est réalisée pendant la campagne de Bernie Sanders, pour faire face à une politique bipartisane n’ayant jamais exprimé les aspirations des classes moyenne et populaire, depuis l’époque du président Ronald Reagan.

S’allier pour résister

Hassan Jaber ajoute que les organisations à but non lucratif telles qu’Access vont être affectées par la baisse du soutien fédéral au programme de sécurité sociale. Il estime que cela menacera la santé de plus de 7 000 malades du centre de santé principal de Dearborn, alors que ceux-ci en ont le plus grand besoin dans la mesure où ils sont démunis, ne peuvent acheter les produits de première nécessité et n’ont pas accès à d’autres centres de santé. D’après lui, l’élection de Trump poussera d’une manière ou d’une autre ses opposants à s’allier, ce qui augmentera leurs capacités, rompant avec la pratique politique habituelle de l’establishment, qu’elle soit républicaine ou démocrate. Jaber pense que le dépassement des conséquences négatives de l’élection de Trump, accompagnées de l’épanouissement politique des Arabo-Américains, constituent des bases saines à l’apparition de ce que l’on pourrait nommer le « lobby arabe ».

Enfin, la politique de Trump sur la question syrienne a des répercussions au niveau de la diaspora. Rasha Demashkieh, directrice associée du Comité des droits civiques et présidente du conseil d’administration d’Access, active au niveau de la diaspora syrienne et arabe, voit dans son élection un retour sur les engagements à accueillir les réfugiés syriens, considérés comme des nids du terrorisme. Demashkieh affirme que le dernier engagement d’Obama à augmenter le nombre de réfugiés de 10 000 à 30 000 risque de ne pas être tenu par Trump. « Jusqu’à présent, 13 000 réfugiés sont arrivés, qui ont été répartis dans les différents États. Les organisations de la société civile qui aident à leur réinstallation craignent une réduction des financements résultant de l’atmosphère islamophobe répandue par sa politique ».

Les opinions des représentants des minorités témoignent d’une appréhension réelle à l’égard de l’administration Trump, malgré les affirmations selon lesquelles le discours du candidat est toujours différent après l’élection, comme l’ont illustré l’abandon de l’interdiction d’entrée du territoire aux musulmans ou le frein à la dissolution d’Obamacare. La peur reste justifiée, car les investitures au sein de son administration se font parmi les partisans les plus férocement racistes et néoconservateurs. Son programme est par ailleurs peu clair à plus d’un niveau en ce qui concerne la classe moyenne et les personnes à faibles revenus, notamment les blancs marginalisés qui se sont ralliés à son discours populiste, déversant toute leur colère sur les minorités accusées d’être la cause de tous leurs malheurs.

1NDLR. Les chaldéens font partie de la mosaïque ethnique qui compose la société irakienne. Ils sont chrétiens. Leur migration aux États-Unis remonte à la fin des années 1970. Leur présence dans le Michigan s’est faite plus importante dans les années 1990.

2La plupart des chiffres mentionnés se basent sur les recensements de Zogby Analytics.

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