Musulmans, Iran, Jérusalem... Dissensions entre Donald Trump et ses futurs ministres

Certaines positions de Donald Trump sur les relations des États-Unis avec la Russie, l’Europe, la Chine ou le Mexique, ses considérations sur l’OTAN, le traité avec l’Iran ou encore le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem ont suscité une réprobation à l’étranger. Mais des dissensions apparaissent déjà entre le nouveau président et ses futurs ministres. Elles laissent, au mieux, le sentiment d’une équipe impréparée. Au pire, elles augurent un chaos dont on ne sait où il peut mener.

John Pemble, 16 juin 2016.

Décidément, l’entrée en fonction de Donald Trump n’a rien de commun avec tout ce que l’histoire américaine a fourni à ce jour. L’attitude du nouveau président comme ses déclarations à l’emporte-pièce sur l’avenir de sa relation avec la Russie ou les entreprises allemandes, celles sur l’OTAN, l’Europe, la Chine ou le Mexique — on en passe — suscitent d’innombrables interrogations. Mieux : ses propres futurs ministres — « secrétaires », comme on les nomme aux États-Unis — ou directeurs d’agences (administrations) de premier ordre, comme la Central Intelligence Agency (CIA), lorsqu’ils sont auditionnés par le Sénat qui doit constitutionnellement confirmer leur nomination, en viennent à contredire publiquement de manière plus ou moins frontale ses prises de position.

Politique discriminatoire envers les musulmans ?

Premier à passer devant les sénateurs, Jeff Sessions, proposé pour devenir secrétaire à la justice (attorney general), n’a pas manqué à la règle. Donald Trump avait envisagé durant sa campagne d’interdire l’entrée des musulmans dans le pays et de créer un « fichier des musulmans » vivant aux États-Unis pour lutter plus efficacement contre le terrorisme. Sessions, représentant typique des élus du sud héritiers de l’ère de la ségrégation raciale, a déclaré au Sénat « ne pas soutenir l’idée que les musulmans, en tant que groupe religieux, soient interdits d’entrée aux États-Unis », et « ne pas être favorable à un registre des musulmans ». Il faut dire que les propositions de Trump avaient choqué jusqu’au sein du parti républicain (Dick Cheney, l’ancien vice-président, les avait jugées « anti-américaines »). Personnage très controversé — il a mené depuis 15 ans toutes les batailles contre la régularisation des immigrés sans papiers, qui sont 11,5 millions aux États-Unis, Sessions avait besoin de rassurer. Futur patron du département d’État, Rex Tillerson s’est aussi dit opposé à l’instauration d’une politique discriminatoire envers les musulmans.

Confirmé par le Sénat au poste de secrétaire à la sécurité intérieure (Homeland Security) le 20 janvier, le général John Kelly a également déclaré « refuser tout fichage de gens basé sur l’ethnicité ou la religion ». Évoquant le « mur » qu’entend construire Trump tout au long de la frontière mexicaine, il a aussi indiqué qu’« une barrière physique en elle-même ne fera pas l’affaire », sous-entendant que l’immigration clandestine est d’abord un enjeu politique. Pendant ce temps, Trump réitérait en conférence de presse que non seulement il bâtirait ce mur gigantesque, mais qu’il parviendrait à faire payer l’État mexicain pour cela. « Souvenez-vous-en », clamait-il, pointant le doigt vers un ennemi invisible.

Rien ne dit qu’une fois en fonction, Sessions ne prendra pas des mesures de fichage contre les musulmans américains, comme de plus en plus de groupes xénophobes l’exigent aux États-Unis. Mais des contradictions similaires à celle entre ses propos au Sénat et ceux énoncés par Trump sont apparues chez de futurs responsables potentiels dans les domaines de politique internationale. Elles pourraient être symptomatiques de divergences de vues très profondes au sein de la nouvelle administration.

Moscou, l’OTAN, la CIA et la menace climatique

— Quand Trump se dit « ouvert » à une levée des sanctions américaines contre Moscou, plusieurs des candidats auditionnés par le Sénat ont insisté sur le fait que la Russie constituait une « menace » pour les États-Unis, et non un allié : « un adversaire sur des enjeux-clé », a cependant jugé James Mattis, nommé à la défense.

— L’OTAN, dit Trump, est « obsolète ». Le même Mattis l’a qualifiée à l’inverse d’« alliance militaire la plus réussie de l’histoire moderne ».

— Trump a défendu publiquement l’usage de la torture pour lutter contre le terrorisme. « En aucun cas », a martelé Mike Pompeo, nommé pour diriger la CIA.

— Les agences de renseignement américaines sont « incompétentes », a lancé Trump. Les généraux James Mattis et John Kelly ont vigoureusement pris leur défense.

Cette liste est loin d’être exhaustive des affirmations des candidats ministériels venues contredire celles sur lesquelles Trump a bâti sa victoire électorale. Non, le commerce international ne se déroule pas au détriment des États-Unis, et oui, la menace climatique est une réalité, sont venus dire d’autres candidats ministres.

Le dossier iranien

Et sur deux des dossiers les plus chauds du Proche-Orient, même si Trump — comme ses futurs ministres — a été peu disert sur la Syrie, des divergences sont là encore apparues radicales. Sur l’Iran, d’abord. Trump a durant sa campagne plusieurs fois répété qu’il entendait « abroger » ou « renégocier » le traité avec l’Iran, « le pire » et « l’un des plus idiots » jamais signé par son pays, a-t-il jugé. Lors de son audition, James Mattis, lui, a proclamé : « C’est un accord de contrôle des armes imparfait, et ce n’est pas un traité d’amitié. Mais lorsque les États-Unis donnent leur parole, nous devons nous y conformer et travailler avec nos alliés. » (la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne sont eux aussi signataires de l’accord). Quant à Mike Pompeo, qui en tant qu’élu à la Chambre a milité activement contre l’accord en 2015, il a refusé d’évoquer son abandon, stipulant que la CIA sous ses ordres analyserait son application « de façon rigoureusement juste et objective ».

Les voix se multiplient aux États-Unis dans son propre camp pour appeler Trump à la mesure sur le dossier iranien. Le républicain Bob Corker, président de la commission des relations extérieures du Sénat, qui a vigoureusement milité contre l’accord avec Téhéran avant sa signature, assure aujourd’hui que « le déchirer n’adviendra pas ». Rex Tillerson, candidat au département d’État (affaires étrangères), qui se désolait en mars 2016 que sa compagnie Exxon-Mobil soit désavantagée par les sanctions américaines contre l’Iran comparativement à ses concurrents — il avait cité Total et Shell — n’a jamais été un farouche partisan de la politique des sanctions. Trump lui-même a donné dans la période récente plusieurs signes qu’il éviterait de remettre en cause sur le fond le principe de l’accord. « Je ne vais pas dire à l’avance ce que je vais faire de l’accord avec l’Iran », a-t-il déclaré le 16 janvier au Times et à Bild.

De son côté, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, qui devrait figurer parmi les premiers visiteurs de Trump à la Maison Blanche, a dit le mois dernier avoir « au moins cinq idées en tête » à lui soumettre afin de saboter l’accord nucléaire sans le dénoncer formellement. Or l’inquiétude monte dans les cercles du renseignement israélien (qui avaient été hostiles à toute opération militaire contre Téhéran avant la signature de l’accord). Selon le quotidien Haaretz, les agences israéliennes estiment que l’« Iran respecte ses engagements »1 et un rapport a été remis au premier ministre stipulant qu’un revirement américain constituerait « une sérieuse erreur ».

L’ambassade américaine à Jérusalem

Le second sujet évoqué à Washington porte sur l’engagement de Donald Trump de déménager l’ambassade américaine en Israël de Tel-Aviv, où elle a son siège comme tous les autres pays du monde, à Jérusalem. En campagne, Trump s’y est engagé avec force. Pourtant, dans son interview au Times et à Bild, il a refusé de confirmer : « Je ne ferai pas de nouveau commentaire. On verra ce qui se passera ». Cependant, lors de la désignation au poste de nouvel ambassadeur à Tel-Aviv de David Friedman, un avocat de Trump qui est aussi un financier des milieux coloniaux religieux israéliens, le communiqué officiel de l’équipe préparant l’entrée à la Maison Blanche indiquait que Friedman « avait hâte d’agir dans l’ambassade américaine située dans la capitale éternelle d’Israël, Jérusalem ». Réaction du général Mattis, interrogé sur le sujet au Sénat : « À ce jour, je respecte la position américaine. (…) La capitale d’Israël où je me rends, c’est Tel-Aviv ». On le sait, dans son ultime conférence de presse, Barack Obama, sur la question de Jérusalem, a mis en garde son successeur : « Quand des initiatives soudaines et unilatérales sont prises qui touchent aux questions et aux sensibilités essentielles de chaque partie, cela peut être explosif ».

Les dirigeants israéliens, eux, se divisent déjà sur l’attitude à adopter. Naftali Bennett, le patron du Foyer juif, qui représente l’extrême droite religieuse coloniale, entend proposer rapidement une loi d’annexion de la seconde plus grande colonie israélienne de Cisjordanie, Maale Adoumim2. Mais le chef du gouvernement Benyamin Nétanyahou, du Likoud, et son ministre de la défense, Avigdor Lieberman du parti Notre Maison Israël, y sont opposés, considérant qu’une loi formelle porterait préjudice au projet de colonisation dans son ensemble. Surtout, toute la droite israélienne s’interroge après l’audition de Rex Tillerson au Sénat. Il n’a pas dit un mot sur le projet de déplacement de l’ambassade américaine à Jérusalem ni sur son attitude dans le conflit israélo-palestinien. Mais un rapport classifié des services israéliens aurait informé le gouvernement que l’ex-patron d’Exxon n’aurait aucune intention de modifier la politique traditionnelle de Washington, qui peut se résumer en deux points : a) soutien indéfectible à Israël ; b) négociations directes entre Israéliens et Palestiniens aboutissant à la présence côte à côte de deux États, Israël et la Palestine, vivant en paix et en sécurité chacun avec Jérusalem pour capitale.

Si tel est le cas, et si Trump valide les positions affichées par Mattis et Tillerson, il est exclu que l’ambassade américaine soit déplacée de Tel-Aviv à Jérusalem. Au grand dam de la majorité de l’opinion et de la droite coloniale en Israël, où une rumeur circule déjà. Si son ambassade était maintenue à Tel-Aviv, le nouvel ambassadeur américain David Friedman, qui possède depuis longtemps un appartement privé à Jérusalem, déciderait alors de mener ses activités diplomatiques… à partir de chez lui. Manière de montrer sa désapprobation. En attendant, personne ne sait de quel côté penchera Trump sur l’enjeu de Jérusalem.

Personne, d’ailleurs, ne se risque à pronostiquer quoi que ce soit sur les innombrables enjeux internationaux sur lesquels il a annoncé un bouleversement des positions américaines traditionnelles. Trump, pour constituer son équipe, « a choisi des gens en fonction de leur expertise, et non pour leur capacité à se conformer à ses positions », a indiqué le futur porte-parole de la Maison Blanche, Sean Spicer. Mais il a ajouté qu’« au bout du compte, chacun d’eux devra suivre l’ordre du jour de Trump et sa vision », autrement dit, le patron décidera et ils devront se soumettre ou se démettre. Cela promet quelques surprises de taille.

2La colonie israélienne la plus peuplée dans les territoires palestiniens occupés se situe à Jérusalem-Est.

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