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Nucléaire iranien. Le jeu ambigu des conservateurs

Ajournées au lendemain de l’élection du nouveau président Ebrahim Raïssi, les négociations autour de l’accord sur le nucléaire iranien ne vont pas reprendre avant plusieurs semaines. Vue de Téhéran, la position iranienne semble osciller entre un discours d’ouverture et la ferme volonté de ne pas faire de concession.

L'image montre l'intérieur d'une installation industrielle, probablement liée à la production d'énergie. On y voit un grand réacteur ou un réservoir cylindrique au centre, entouré de structures métalliques et de passerelles. Au-dessus, une grande plateforme circulaire est en train d'être soulevée, tandis qu'en bas, on aperçoit une zone vide. Plusieurs personnes en casques de sécurité se trouvent dans la pièce, probablement en train d'inspecter ou de superviser l'opération. L'éclairage est principalement artificiel, et les murs sont en béton. L'ensemble dégage une atmosphère technique et contrôlée.
Réacteur nucléaire à eau lourde IR-40 d’Arak (290 km au sud-ouest de Téhéran)
HO/Organisation de l’énergie atomique d’Iran/AFP

Le septième cycle des négociations de Vienne — le premier depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau président Ebrahim Raïssi en juin 2021 — sera un test pour le nouveau gouvernement conservateur, notamment pour le ministre des affaires étrangères Hussein Amir Abdullahian, ancien vice-ministre auprès de son prédécesseur Mohamed Javad Zarif. La question est de savoir si le nouveau pouvoir compte adopter une nouvelle stratégie.

L’objectif des États-Unis à travers ces négociations était de contrôler le programme nucléaire de l’Iran, et surtout d’empêcher son utilisation à des fins militaires. De son côté, l’Iran aspirait à obtenir des avantages économiques et la levée de toutes les sanctions qui lui étaient imposées. L’un et l’autre de ces objectifs devaient être réalisés grâce à un plan d’action global, dans le cadre de l’accord nucléaire de 2015. Mais le dialogue a été rompu avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir et sa décision de se retirer de l’accord en 2018, suivies d’une série de nouvelles sanctions imposées à Téhéran. Ainsi, Washington a choisi la pire voie possible pour obliger Téhéran à négocier.

Malgré leur rôle prépondérant dans la géopolitique internationale, les États-Unis ont besoin d’un bon conseiller pour leur apprendre comment agir avec l’Iran. Il leur faut comprendre en effet que le retour à l’accord de 2015 est la solution diplomatique la plus sage pour pouvoir contrôler le programme nucléaire de l’Iran. D’un autre côté, et selon l’un des anciens négociateurs iraniens, les avantages économiques que l’Iran peut tirer de cet accord constituent le meilleur argument pour le convaincre d’y adhérer sans réserve, et de consentir à des négociations globales à l’avenir.

Pas d’option militaire

Les États-Unis et l’Europe devraient cesser d’accuser l’Iran de tentative de militarisation de son programme nucléaire, puisqu’ils savent bien que, depuis 2003, il n’y a rien eu de tel. Si cela avait été le cas, il faudrait alors donner un oscar à Israël pour le vol de documents relatifs au programme nucléaire, en janvier 2018 à Shurabad, près de Téhéran. Or, il est avéré que ces documents n’avaient aucune valeur, car les informations qui y figuraient étaient déjà entre les mains de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), des États-Unis et du groupe P5+11 et faisaient l’objet de négociations. Leur publication par l’ancien premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou n’a d’ailleurs eu aucun effet sur l’accord de 2015, et Tel-Aviv n’a pas pu apporter la preuve d’une quelconque militarisation.

Par ailleurs, les services de sécurité américains et européens ont confirmé que l’Iran n’a pas tenté de militariser son programme nucléaire depuis 2003, ce qui a conduit à clôturer le dossier durant les négociations de 2015. De fait, les États-Unis comme l’Europe ne doivent pas se laisser influencer par Israël dans leurs négociations avec l’Iran. Ils doivent toutefois savoir que toute négociation future avec la République islamique passera forcément par le retour à l’accord de 2015. C’est uniquement au prix d’un retour de la confiance avec les Occidentaux que l’Iran adhèrera à nouveau au principe du droit international ; une confiance qui ne peut s’acquérir qu’avec la levée complète de toutes les sanctions.

Or, les six derniers cycles de négociation ont montré que les Américains n’ont pas l’intention d’aller aussi loin, ni d’offrir des garanties quant à leur respect total et sans réserve de l’accord, ou au fait de ne pas s’en retirer à nouveau et de manière unilatérale. Du point de vue iranien, les interlocuteurs occidentaux ont tenté jusque-là de réaliser deux objectifs, le premier étant la garantie d’un contrôle à long terme — pour ne pas dire permanent — sur le programme nucléaire iranien, y compris donc au-delà de la période couverte par l’accord ; le deuxième objectif est la garantie que l’Iran participerait à des négociations régionales au Proche-Orient, afin d’y faire baisser la tension et restaurer un sentiment de confiance. Or, les deux perspectives ont été catégoriquement rejetées par l’Iran.

Téhéran reproche par ailleurs à Washington de ne pas avoir levé les sanctions imposées à plusieurs individus et institutions iraniennes par l’administration de Donald Trump, de même que la non-suspension du Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (Caatsa). Plus encore, la nouvelle administration américaine ne semble pas prête à donner une quelconque garantie afin d’encourager les grandes entreprises internationales à investir en Iran sur le long terme.

Une « économie de résistance »

Dans ce climat de défiance, la nouvelle délégation iranienne sous l’égide des recommandations du Guide suprême et du Conseil suprême de sécurité nationale ne fera certainement pas preuve d’une quelconque souplesse au cours du prochain cycle de négociation. Elle n’acceptera qu’un accord total. L’Iran poursuivra par ailleurs sa politique en réduisant ses engagements sur le dossier du nucléaire, estimant que tant son économie que la population se sont habituées aux sanctions américaines qui lui sont imposées depuis 15 ans. Or Téhéran demeure la première puissance politique et militaire de la région. Depuis cinq ans, il a mis en place ce qu’il a appelé une « économie de résistance », signant un accord stratégique de 25 ans avec la Chine, et entamant une coopération similaire avec la Russie. Depuis mars 2021, l’Iran est en effet devenu membre de l’Union économique eurasiatique et a intégré l’Organisation de coopération de Shanghaï menée par Pékin et Moscou le 18 septembre 2021. Autant de raisons qui font que Téhéran n’est pas pressé d’arriver à un accord.

Plus encore, le nouveau gouvernement iranien estime que ce sont les États-Unis qui ont fait échouer l’accord sur le nucléaire et qu’il leur revient par conséquent de faire le premier pas afin de rétablir une relation de confiance. Enfin, le prochain cycle des négociations doit, selon les nouveaux responsables iraniens, porter exclusivement sur le programme nucléaire. Ces derniers estiment que les partenaires occidentaux n’ont nullement le droit de soulever d’autres questions qui ne sont pas en lien direct avec le dossier, y compris le rôle régional de l’Iran ou son programme balistique de défense.

Une lueur d’espoir

Toutefois, plusieurs déclarations permettent de garder espoir quant à la disposition du nouveau pouvoir à signer un accord. Le 5 août 2021, devant le Parlement, le nouveau président Ebrahim Raïssi a lui-même exprimé son soutien pour « toute solution diplomatique qui conduirait à la levée des sanctions sur l’Iran ». Pour sa part, le rédacteur en chef du journal officiel Joumhouri-e Eslami Massih Mohadjeri s’est adressé au président de la République dans son éditorial du 25 août 2021 en écrivant :

Monsieur le président, si vous connaissez un autre moyen que l’accord sur le nucléaire et l’adhésion au Groupe d’action financière [GAFI] pour lever les sanctions, alors n’hésitez pas à l’employer. Mais si vous sentez que la solution de l’accord et du GAFI est indispensable, alors n’hésitez pas à prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir le confort et le bien-être de la population iranienne, car notre pays en a besoin.

Dans ce contexte, Abdel-Reza Fardji, ancien ambassadeur iranien en Norvège et en Hongrie, a exprimé sa crainte de voir « les négociations s’éterniser à Vienne, ou l’espoir d’arriver à une solution s’évanouir, car cela aura des conséquences négatives sur le long terme, à la fois sur le gouvernement et la population ». Une peur tempérée par Zahra Alhayan, membre de la commission de sécurité nationale et de politique étrangère au Parlement iranien, qui affirme que le ministre des affaires étrangères Hussein Amir Abdullahian « considère les négociations comme quelque chose de positif et de constructif, et qu’elles sont conformes à la vision du Guide suprême et du président »2.

Une occasion historique

En effet, et bien qu’Ebrahim Raïssi soit un des principaux leaders du courant conservateur dans le pays, ses positions suggèrent qu’il souhaite faire preuve d’ouverture sur le dossier de la politique étrangère, davantage même que le gouvernement modéré qui l’a précédé, ce qui constitue une occasion historique pour les Américains et les Européens. Il y a même une certaine conviction à Téhéran que, si les Occidentaux réussissent l’épreuve de Vienne, des négociations plus élargies pourraient avoir lieu dans les quatre prochaines années.

Dès l’élection de Raïssi, ses conseillers politiques et économiques ont en effet pris contact avec nombre de personnalités du camp des réformateurs afin de réfléchir à des solutions aux crises économique et politique que connaît le pays. Le nouveau gouvernement n’a pas pris jusque-là un virage conservateur à l’intérieur du pays. Sur le plan extérieur, des appels ont été lancés pour l’établissement de relations égalitaires avec les pays occidentaux, dans le respect mutuel.

Le point fort du président iranien est que, pour la première fois depuis 32 ans, les conservateurs contrôlent tous les jalons du pouvoir dans le pays, contrairement à ce qu’a connu son prédécesseur Hassan Rouhani. De plus, si un accord est conclu à Vienne, Raïssi sera le premier à en cueillir les fruits : il pourra alors renforcer sa position à l’intérieur du pays, car il aura permis de lever les principaux obstacles au développement de l’économie iranienne.

À noter également que Raïssi est membre de l’Assemblée des experts et qu’il est considéré comme l’un des candidats les plus en vue pour hériter du titre de Guide suprême, considérant tous les postes qu’il a occupés jusqu’ici, y compris celui de la présidence de la République. L’ayatollah Ali Khamenei lui-même le considère comme l’une des personnalités religieuses les plus brillantes du pays, ce qu’il n’a pas manqué de souligner lors du décret de confirmation de la présidence de Raïssi. De fait, beaucoup prédisent à ce dernier un destin semblable à celui de Khamenei, passant de président de la République à Guide suprême, ce qui fait de lui le futur chef de l’Iran. Une position qui pousse le nouveau président à jouer actuellement les bons pères de famille, en montrant sa disposition à adopter des solutions modérées, loin de toute radicalité, que ce soit sur le plan économique ou sanitaire.

Un accueil inattendu

Le 23 mai 2021, soit à la fin du mandat du président Hassan Rouhani et à échéance des délais fixés par le Parlement iranien dans le cadre de la loi relative aux actions stratégiques pour abolir les sanctions, le président conservateur du Parlement Mohamed Ghalibaf a déclaré que l’AIEA n’avait désormais plus le droit d’obtenir les enregistrements des caméras de surveillance installées sur les sites nucléaires. Dans ce contexte, Ali Reza Salimi, membre de la commission principale du parlement iranien a déclaré que tous les enregistrements des caméras de l’AIEA devraient être supprimés et qu’il faudrait en aviser l’agence.

Mais lors de la visite à Téhéran du directeur de l’AIEA Rafael Grossi le 12 septembre 2021, ce dernier s’est entretenu avec le nouveau président de l’Organisation de l’énergie atomique en Iran Mohamed Eslami. Les deux hommes se sont mis d’accord pour que l’AIEA fasse des opérations de maintenance sur les appareils de contrôle et que les cartes mémoire des caméras de surveillance soient changées. Les anciennes cartes mémoire resteraient toutefois en Iran, avec la garantie, pour l’agence nucléaire, qu’on n’en toucherait pas le contenu. Cet accord, qui a sans doute surpris l’AIEA, a été considéré comme une preuve de bonne volonté de la part de Téhéran, qui plus est de la part d’un gouvernement conservateur. Il n’a pas été contesté par le Parlement.

Les négociations de Vienne se sont arrêtées à un point critique. Il revient à l’Iran et aux États-Unis de dépasser cette étape en adoptant des politiques raisonnables qui ouvriraient la voie vers un éventuel changement.

1NDLR. Le P5+1 est le groupe des six pays qui, en 2006, ont mis en commun avec l’Iran leurs efforts diplomatiques à l’égard de son programme nucléaire. Il est composé des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies que sont la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis, auxquels s’ajoute l’Allemagne.

2Mehr News Agency, 19 août 2021.

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