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Décryptage

Ouragan sur le marché pétrolier

Depuis la mi-mars, la consommation de pétrole s’effondre dans le monde, et les capacités de stockage sont saturées. La guerre de positions sur les niveaux de production continue de faire rage entre l’Amérique de Donald Trump, la Russie de Vladimir Poutine et l’Arabie saoudite de Mohamed Ben Salman. Et l’accord obtenu le 9 avril entre l’OPEP et la Russie est peu susceptible d’avoir un impact durable sur le marché.

L'image présente des réservoirs à gaz de forme sphérique, surmontés de structures métalliques. Ils sont disposés sur une plateforme, tandis qu'un ciel nuageux et dramatique se profile en arrière-plan. Les couleurs à la fois sombres et lumineuses créent une atmosphère industrielle marquée par le contraste entre les réservoirs et le ciel.
Wikimedia Commons

Dans l’infernale partie de poker menteur actuellement en cours entre Donald Trump, Vladimir Poutine et Mohamed Ben Salman, qui cédera le premier ? Chacun compte que les faiblesses de l’autre l’obligeront à réduire sa production d’hydrocarbures pour faire remonter les cours, tombés à 35 dollars (32 euros) le lundi 9 mars, puis à 25 dollars (23 euros) le lundi suivant, contre plus de 70 dollars (64 euros) début janvier avant la funeste réunion de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et de ses alliés russes (OPEP+)1 le jeudi 5 mars.

Qui a rompu le premier ?

Les Saoudiens préconisent alors de réduire de 1,5 million de barils par jour (mbj) supplémentaires la production, les Russes tergiversent et proposent de se donner un mois pour observer les conséquences du coronavirus qui, après avoir touché la Chine, arrive en Europe avant de gagner l’Amérique. Qui prend l’initiative de la rupture ? Les Saoudiens accusent les Russes ; Vladimir Poutine incrimine directement Mohamed Ben Salman d’avoir voulu la peau du schiste américain accusé de déséquilibrer le marché. C’est sa décision d’augmenter la production du pays (+ 4,75 % en mars) qui a entraîné la chute historique des cours du lundi 9 mars.

L’accusation russe est rejetée avec indignation par les ministres saoudiens des affaires étrangères et de l’énergie qui suspectent le Kremlin de vouloir torpiller les relations déjà tendues du royaume avec son puissant protecteur américain. À Washington, au Congrès, deux sénateurs républicains se font déjà l’écho de la tension entre les deux pays. Dan Sullivan et Kevin Kramer ont menacé de demander le retrait des soldats américains stationnés en Arabie saoudite. Conséquence de cette brouille des deux leaders de l’OPEP+, la réunion de « tous » les pays producteurs d’hydrocarbures a été retardée de trois jours et les cours ont replongé de 5 %.

Sauver des parts de marché

En réalité, le choc initial vient de la demande d’hydrocarbures qui s’effondre littéralement à partir de la mi-mars. Standard Chartered, une grande banque britannique, évalue à environ 20 mbj la baisse de la consommation, soit le cinquième de la production mondiale en avril et mai. L’arrêt des transports, en particulier aériens, qui en absorbent 80 %, frappe tous les producteurs obligés de baisser leurs prix pour tenter de sauver les parts du marché qui leur restent. Riyad et Moscou, appuyés par 24 autres pays producteurs dont le Brésil, le Canada et le Mexique, sont prêts à baisser leur production. De combien ? Dix mbj, dit-on dans les couloirs de l’OPEP ; entre 6 et 15 mbj, avancent d’autres experts.

Et les États-Unis, premier producteur mondial ? Sur le plan juridique, le gouvernement fédéral n’a pas le pouvoir d’obliger les centaines de sociétés au travail dans le secteur des hydrocarbures à réduire leur production. Seul un État, le Texas, dispose d’un régulateur, la Texas Railroad Commission, capable de prendre une telle initiative, mais uniquement au Texas, important producteur. Et encore, sur les trois commissaires à la tête de l’institution, un seul défend cette position contre les deux autres. De même, l’American Petroleum Institute (API), principal lobby pétrolier, s’oppose à toute intervention de Washington dans le marché pétrolier. Le secrétaire à l’énergie Dan Brouillet y est également hostile.

Un de ses prédécesseurs, Rick Perry, va plus loin et propose d’interdire l’importation de brut saoudien par les raffineurs américains pour réserver le marché aux producteurs locaux. L’opposition entre raffineurs et producteurs est traditionnelle outre-Atlantique. Les premiers veulent un accès bon marché à la ressource, les producteurs, surtout de schiste, ont besoin d’un prix élevé pour rentabiliser leurs activités. D’autres, plus extrémistes, préconisent des mesures « énergiques » contre les Russes, y compris le recours à la force.

Un tweet de Trump fait remonter les cours

Pris dans ces contraintes, Donald Trump a réagi à sa manière. Le 30 mars, il a un entretien téléphonique avec Vladimir Poutine. Deux jours plus tard, il lâche un tweet sensationnel où il annonce que Riyad et Moscou sont d’accord pour réduire leur production de 10 voire 15 mbj. Résultat, le marché s’emballe et les cours du brut tombé très bas, remontent de 30 %, malgré le démenti du Kremlin. En fin de semaine, le président vilipende l’OPEP à son habitude et, changement de ton, menace d’appliquer des droits de douane sur les importations de brut, une technique favorite du locataire de la Maison Blanche, comme ses partenaires commerciaux de la Chine à l’Union européenne en ont fait l’expérience.

Le retour des États-Unis au rang de premier pays producteur est dû à la montée de l’industrie des hydrocarbures non conventionnels — le pétrole de schiste fournit les deux tiers de la production pétrolière (7,7 mbj en 2019) — qui a largement profité des cours à 100 dollars (91 euros) et plus du baril entre 2005 et 2014 pour se lancer. À des niveaux trois fois plus faibles comme aujourd’hui, le non conventionnel s’étouffe. Les coûts de production les plus bas, par exemple au Dakota du Sud, approchent 25 dollars (23 euros) le baril, soit approximativement les cours en vigueur dans le pays (23,63 dollars, soit 21,58 euros le 7 avril au TWI, le marché de l’hémisphère occidental). Encore s’agit-il de contrats à terme pour avril ou mai : au comptant, le baril est bradé à 10 dollars (9 euros), voire à moins, et les compagnies revoient leurs contrats d’assurance pour y inclure une « clause zéro » au cas où les cours deviendraient négatifs ! D’autres producteurs, comme l’Algérie, offrent des réductions de 2 à 4 dollars (1,83 à 3,65 euros) par baril à leurs clients.

Les banques renâclent à refaire crédit

Ailleurs, en particulier dans le Permian, principale région productrice entre le Texas et le Nouveau-Mexique, les coûts de production oscillent entre 40 et 50 dollars (36,52 et 45,66 euros) le baril. Du coup, les entreprises licencient des milliers de travailleurs, ferment des puits et arrêtent d’investir, une décision fatale dans un secteur où la durée de vie des puits est courte (1 à 2 ans) et où il faut réinvestir en permanence pour maintenir le niveau de la production. Faute de pouvoir s’autofinancer en raison de la faiblesse des cours qui dépriment les comptabilités, il ne reste que l’endettement.

Mais là, les banques renâclent à renouveler leurs lignes de crédit. Le secteur doit déjà rembourser 84 milliards de dollars (31 milliards d’euros) cette année et Wall Street n’est plus en état de faire des cadeaux, même à un secteur stratégique. Le chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites n’arrange pas les créanciers : « Quand une entreprise n’est pas en mesure d’assumer sa dette ou de payer ses créanciers, l’entreprise ou ses créanciers peuvent déposer une demande pour être placés sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites auprès d’un tribunal fédéral. » L’entreprise continue ses opérations sous le contrôle du juge.

Malgré tout, la probabilité d’une baisse de la production s’accentue avec la baisse des cours. « Ils réduisent déjà, et très sérieusement, c’est automatique, c’est la loi de l’offre et de la demande », confiait lundi 6 avril Donald Trump aux journalistes présents à la Maison Blanche. Une façon d’avouer que les Américains participeront sans trop le dire à l’effort des Saoudiens, des Russes et des dix pays finalement invités à la visioconférence organisée le jeudi 9 avril.

Cet engagement a minima peut-il les convaincre ? « Russes et Saoudiens marcheront seulement si les États-Unis se joignent à l’effort », souligne Al Stanton de RBC Capital Markets LLC, un analyste financier réputé. En mars, il ne s’est rien passé, la production américaine a encore frôlé les 13 mbj, un record. Selon le secrétariat à l’énergie, en 2020 la baisse serait de 2,7 millions de barils. Est-ce suffisant pour emporter la décision des autres ? Sans doute pas, car Moscou conteste que baisse spontanée et réduction décidée soient la même chose, mais il faut compter sur un autre obstacle : la saturation des capacités de stockage terrestres et maritimes.

Réservoirs et tankers sont bourrés jusqu’à la gueule, le fret sur les plus gros pétroliers a quadruplé en un mois. La place va bientôt manquer pour abriter les stocks qui se compteront au second trimestre en dizaines de millions de barils. Compte tenu de leur énormité — du jamais vu dans l’histoire pétrolière —, l’agitation des responsables politiques, même si l’accord limité du jeudi 9 avril très inférieur à la baisse de la demande, entre (pour l’instant) l’OPEP et la Russie est respecté, aura-t-il un impact durable sur le marché ? On peut en douter…

1L’alliance OPEP+ est composée des 14 pays de l’OPEP plus 10 autres pays producteurs dont la Russie, le Mexique et le Kazakhstan.

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