Palestine. L’urgence d’un sursaut politique unitaire

Et si des décombres renaissait l’Organisation de libération de la Palestine ? Réunissant plus de 400 participants, en février à Doha, la conférence nationale palestinienne a posé les principes fondateurs de la force politique de demain. Celle qui devra faire face au génocide dans la bande de Gaza, au nettoyage ethnique en Cisjordanie et à la politique d’apartheid menée par Israël devra avant tout réussir à s’imposer sur l’échiquier politique palestinien.

Salle de réunion avec des participants levant la main pour voter.
Doha, 19 février 2025. Session de travail lors de la conférence nationale palestinienne. À droite, en bout de table, Mostafa Barghouti, secrétaire général de l’Initiative nationale palestinienne.
National Conference for Palestine / Facebook

Palestine, 1948. La terre est perdue. Non pas cédée, mais arrachée, morceau par morceau, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un peuple sans ancrage, sans toit, sans armée. Ils étaient là pourtant, tenaces, silencieux souvent, dans les camps, dans les rues, dans l’attente.

En mai 1964, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) naît. Moins comme une institution que comme un sursaut. Il fallait une voix. Un nom. Un point de ralliement pour ceux qu’on ne voyait plus. L’OLP n’avait pas les moyens d’un État. Ni même ceux d’une organisation solide. Mais elle avait cette force discrète qui précède les ruptures : la nécessité. Une charte, des mots, un horizon : libérer la terre. Dire, à nouveau, que la Palestine existait et existe encore. Qu’elle n’était pas une parenthèse close, mais une phrase suspendue.

Représenter les Palestiniens, ce n’était pas parler à leur place. C’était ouvrir un espace où leur absence cesse d’être vide. C’était maintenir vivante une géographie invisible, celle des souvenirs, des noms de villages effacés, des rêves transmis à voix basse.

Quand Saïd et Darwich, les voix de l’OLP, se sont tus

Dix ans après la naissance de l’organisation, en 1974, deux figures majeures de la pensée palestinienne se rencontrent à New York : Edward Saïd, intellectuel formé aux États-Unis, théoricien de l’orientalisme, et Mahmoud Darwich, poète de l’exil. Tous deux marqués par la Nakba, tous deux porteurs d’une voix palestinienne sur la scène internationale. Leur amitié, nourrie par une même exigence morale et politique, les conduit à devenir, un temps, les relais culturels de l’OLP. Ensemble, ils participent à la rédaction du discours que Yasser Arafat prononce à la tribune des Nations unies, cette même année, et dont la formule reste dans les mémoires : « Je suis venu, un rameau d’olivier dans une main, un fusil de combattant dans l’autre. »

Mais l’élan se brise en 1993. Les accords d’Oslo, signés dans le secret sous l’égide des États-Unis, entérinent une reconnaissance mutuelle entre Israël et l’OLP. En apparence, c’est un tournant historique. Dans les faits, l’asymétrie est flagrante. L’OLP reconnaît l’État d’Israël ; Israël, lui, ne reconnaît pas un État palestinien. L’Autorité palestinienne (AP), censée incarner l’embryon d’un futur gouvernement, n’a de contrôle ni sur les frontières, ni sur les ressources, ni sur la sécurité. La Cisjordanie est morcelée en zones, dont plus de 60 % restent aux mains de l’armée israélienne. Les colonies continuent de s’étendre. Les sujets les plus sensibles — Jérusalem, les réfugiés, les frontières définitives — sont relégués à des « discussions ultérieures », sans échéance ferme.

Pour Darwich, c’est la « mort du système politique palestinien ». Pour Saïd, un « Versailles palestinien ». Tous deux voient dans cet accord non pas une promesse de paix, mais une reddition maquillée en compromis. Ils prennent leurs distances, refusant de cautionner ce qu’ils perçoivent comme une dénaturation du projet national.

La conférence nationale palestinienne qui s’est tenue à Doha (Qatar) du 18 au 20 février 2025 a pour ambition de faire renaître une Organisation de libération de la Palestine unie dans sa diversité et en prise avec le peuple palestinien. Une gageure.

Une conférence unitaire à Doha

En février 2024 se tenait à Doha une conférence académique sur la Palestine, organisée par le Centre arabe de recherches et d’études politiques (Carep). Il y fut décidé de reconstruire l’Organisation de libération de la Palestine sur une base unifiée, en incluant les partis absents, tels que le Hamas et le Jihad islamique, ainsi que des personnalités indépendantes représentant une majorité silencieuse palestinienne. Plusieurs milliers de Palestiniens de la diaspora, des Territoires occupés et des camps de réfugiés ont signé cet appel.

Pourquoi à Doha, s’interrogent certains. La ville qatarie s’est imposée comme le dernier recours, après le refus clair d’autres capitales arabes, africaines et musulmanes d’accueillir cette rencontre, sous la pression de l’AP. La conférence s’est en effet heurtée à l’hostilité de l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, qui, pour son édition 2025, a empêché 33 membres du Fatah de se rendre à Doha. Plusieurs fonctionnaires de l’AP ont été menacés d’arrestation et de licenciement par les forces de sécurité s’ils se rendaient à la conférence. Les organisateurs ont annoncé un soutien juridique aux participants faisant l’objet de représailles.

La faction de Marwan Barghouti n’est pas la seule représentante du Fatah invitée à la conférence, comme le prétendent certains membres du Fatah au pouvoir, bien que sa figure nationale soit indiscutablement porteuse d’une légitimité populaire. Selon Ahmed Ghonem, un des leaders du mouvement :

Il ne s’agit pas de regrouper les leaders politiques ou de faire une coalition de factions ; cette conférence rassemble les personnes, y compris des représentants des factions, qui aspirent à l’unité nationale, chose que les factions n’ont jamais réussi à concrétiser malgré presque deux décennies de discussion.

La « nécessité » d’un leadership unifié

La conférence a réuni plus de quatre cents participants venus des camps de réfugiés en Syrie, au Liban, à Gaza et en Cisjordanie, mais aussi des métropoles lointaines comme Toronto, Istanbul, Amsterdam, Londres et Chicago.

Pour Mostafa Barghouti, secrétaire général de l’Initiative nationale palestinienne, le troisième parti politique de l’échiquier, se présentant en alternative au Fatah et au Hamas, « il s’agit d’une initiative populaire visant à restaurer l’unité palestinienne et à mener une action nationale urgente face au génocide ».

Autre principe fort : « l’urgence et la nécessité » pour la Palestine « de disposer d’un leadership national unifié afin de faire face à la fragmentation politique et aux pressions extérieures », affirme Anis Kassim. Cet avocat et rédacteur en chef du Palestine Yearbook of International Law (Annuaire de droit international de la Palestine) avait contribué à la saisine de la Cour internationale de justice à l’issue de laquelle l’institution a affirmé, dans son avis consultatif du 9 juillet 2004, l’illégalité du mur de séparation d’Israël et de son régime associé.

Un comité de suivi de 17 membres élus sera chargé de prendre contact avec les factions palestiniennes, y compris — et surtout — celles extérieures à l’OLP, comme le Hamas et le Jihad islamique, pour unifier le leadership. Le président de la conférence, Muin Taher, ancien commandant du bataillon Al-Jarmak du Fatah, qui a joué un rôle clé dans la bataille du château de Beaufort (Qala’at Al-Shkeif) au Sud-Liban en 19821, a réaffirmé l’importance de maintenir une diversité d’opinions au sein d’une OLP unifiée reconstruite « sur des bases nationales et démocratiques ».

Le comité de suivi est également chargé d’ouvrir un dialogue avec le président palestinien Mahmoud Abbas et le Comité exécutif de l’OLP, dans le but d’établir une feuille de route pour des élections démocratiques et une réforme institutionnelle. Les recommandations comprenaient la réactivation des syndicats professionnels, la réouverture de l’adhésion à l’OLP, ainsi que l’organisation d’élections en ligne pour inclure tous les Palestiniens en Palestine occupée et dans la diaspora, y compris les camps de réfugiés.

Au-delà de l’apparence institutionnelle de la conférence, les murmures qui s’élevaient dans les couloirs faisaient écho à la tragédie palestinienne. Récits d’emprisonnements, tortures, pertes ; des blessures récentes ou distillées au fil des décennies. Une femme, rescapée du génocide, nous confie : « Nous sommes les Palestiniens de 23 », une référence à cette nouvelle génération ayant traversé les horreurs du génocide qui a débuté en 2023, tout comme les précédentes qui avaient enduré les catastrophes de 1948 et 1967. Un représentant du Fatah, se préparant à regagner la Cisjordanie, redoutait la colère de la police d’Abou Mazen (surnom de Mahmoud Abbas), au point d’angoisser à l’idée de ne pas dénicher un narguilé en prison…

Au-delà des murs de l’oppression

Beaucoup, au cours de leurs prises de parole, ont exprimé leur frustration face à une OLP qui, au lieu d’être le porte-voix de la lutte pour la libération, est devenue une entité administrative déconnectée des aspirations du peuple palestinien. Ils ont souligné que la diaspora palestinienne, souvent négligée, devait être réhabilitée dans la lutte. Un jeune journaliste venu d’Espagne a résumé ce ressenti :

Regardez, nous sommes unis dans la même douleur face à Israël ; notre lutte est intrinsèquement collective. Comment peut-on encore tolérer ce fossé entre le Fatah et le Hamas après tout ce que nous avons enduré ?

La conférence de Doha a offert aux Palestiniens présents l’occasion de s’exprimer dans un espace sécurisé, où leur parole a pu s’élever au-delà des murs de l’oppression, qu’elle soit orchestrée par Israël ou par l’Autorité palestinienne elle-même.

Qu’ils appartiennent au Fatah, au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) ou au Hamas, l’analyse est unanime : depuis les accords d’Oslo, le rôle de l’OLP s’est réduit à des préoccupations strictement locales, s’enfermant dans une logique gestionnaire et perdant son pouvoir représentatif et sa capacité à défendre les droits du peuple palestinien. En choisissant de faire des concessions sur divers droits, y compris celui d’organiser des élections, les dirigeants palestiniens ont laissé un vide politique, dont les conséquences pèsent aujourd’hui lourdement, au cœur d’un génocide et d’un nettoyage ethnique en cours.

Aujourd’hui, l’absence de Darwich et Saïd se fait sentir comme une cicatrice ouverte, un vide immense dans le cœur des Palestiniens. Dans ce climat de désespoir, la tentation est grande de se demander ce qu’ils auraient dit pour éclairer les esprits et apaiser les peines. « Quelle tristesse qu’ils ne soient pas là, car leur âme et pensée auraient illuminé notre rassemblement », confie un universitaire palestinien.

La conférence de Doha se révèle comme un acte de résistance. Saïd et Darwich auraient ajouté leur voix à cet appel urgent à l’unité : « Ne laissez pas le rameau d’olivier tomber de ma main », s’écriait le Yasser Arafat. Aujourd’hui, ce rameau doit se conjuguer à une volonté de changement. Pour que les Palestiniens de 23 soient la dernière génération des damnés de notre Terre.

Les principes affirmés par la conférence nationale palestinienne, tirés de sa déclaration finale :

  • Restaurer l’Organisation de libération de la Palestine en tant que seul représentant légitime du peuple palestinien dans tous les lieux de sa présence et en tant que foyer unificateur des forces, des institutions et des composantes du peuple palestinien, en rétablissant son rôle de libération nationale, d’une manière qui garantisse la fin de la division palestinienne et l’unité de représentation, et afin de réaliser les droits naturels, historiques, politiques et juridiques du peuple palestinien.
  • Former une direction nationale palestinienne unifiée et faire face au génocide, à l’annexion et aux plans de colonisation, ainsi qu’au projet Trump-Nétanyahou de déplacement et de nettoyage ethnique.
  • Constater l’unité de la terre, l’unité du peuple, l’unité de lutte et de destin, l’unité du récit, l’unité du système politique et le droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
  • Voir dans les élections démocratiques pratiquées par le peuple palestinien, à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine, le mécanisme idéal pour achever le processus de reconstruction de l’OLP.
  • Affirmer le droit du peuple palestinien à lutter et à résister sous toutes ses formes, conformément aux dispositions du droit international, afin de garantir le succès des Palestiniens dans le renversement du projet de colonialisme de peuplement et la fin de l’occupation et du « système d’apartheid » de ségrégation raciale.

1NDLR. La bataille de Beaufort a été menée entre l’armée israélienneet l’OLP le 6 juin 1982, autour du château de Beaufort, au Liban. Il s’agit de l’un des premiers affrontements de la guerre du Liban de 1982, à l’issue duquel l’armée israélienne s’est emparée du château et l’a occupé jusqu’en 2000.

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