Pour Israël, le plan Prawer n’est que partie remise

Les Bédouins du Néguev en sursis · En décembre dernier, Israël renonçait au plan Prawer-Begin de « relocalisation » forcée des Bédouins du Néguev dans des villes créées par l’État. Mais ce n’est que partie remise : la politique d’expropriation et de démolition menée depuis des années finira sans nul doute par trouver, avec le prochain plan, le cadre juridique qui permettra de la justifier a posteriori.

Manifestation contre le plan Prawer à Beer Sheva.
Mona Niebuhr, The Advocacy Project, 28 juin 2013.

Le 12 décembre 2013, un soupir de soulagement parcourait le Néguev après l’annonce du retrait du plan Prawer par son principal architecte, Benny Begin. Cet ancien ministre du Likoud ajoutait que Benyamin Nétanyahou avait accepté sa proposition de renoncer au plan1. Quelques jours auparavant, le 9 décembre, le même Benny Begin avait déjà suscité la stupeur en déclarant devant la Commission de l’intérieur et de l’environnement de la Knesset que les Bédouins n’avaient jamais été informés du contenu du plan et ne s’étaient pas prononcés concernant les mesures envisagées. Alors que le plan avait passé la plupart des étapes menant à son adoption officielle, son porte-parole en sapait lui-même les fondations. Le doute ne tarda cependant pas à revenir, aucune annonce officielle ne venant confirmer l’abandon de la loi. Le 7 janvier 2014, la « régulation » de la présence bédouine dans le Néguev est confiée à Yaïr Shamir2 et le recours à la force reste envisagé dans le cas où aucun accord ne serait trouvé.

Légaliser une pratique existante

La méthode et les objectifs demeurent inchangés, l’abandon de la loi Prawer ne représente donc qu’un simple contretemps. Haia Noach, responsable de l’organisation non gouvernementale Forum pour la coexistence dans le Néguev, souligne : « Cela ne dépend pas de la loi (…). Sur le terrain c’est déjà en route, il y a des démolitions presque tous les jours »3. La loi Prawer ne fait en effet qu’entériner la politique déjà menée par le gouvernement en lui donnant un cadre et des outils juridiques supplémentaires.

Le plan Prawer-Begin visait à « réglementer l’établissement des Bédouins dans le Néguev » et prévoyait pour cela le déplacement de près de 40 000 personnes vers les villes bédouines créées par l’État et les quelques villages reconnus, libérant ainsi les terres occupées par les villages non reconnus. Il était l’aboutissement d’un dogme national et étatique exprimé par Moshe Dayan en 1963, alors qu’il était ministre de l’agriculture : « nous devrions transformer les Bédouins en un prolétariat urbain (…) sans coercition mais avec la direction du gouvernement, ce phénomène des Bédouins disparaîtra »4. Une vision qui guide la politique israélienne envers les populations bédouines, depuis les townships créés dans les années 1970 pour les regrouper jusqu’à ce plan : « phénomène » ou « problème », les Bédouins demeurent un corps étrange et étranger à la société israélienne. Leur statut est étroitement lié à la question de la terre, nœud gordien opposant Israéliens et Palestiniens. Le Néguev, qui représente plus de la moitié de la surface totale d’Israël, est perçu comme la seule direction dans laquelle le pays peut encore se développer. Il est de ce fait un enjeu politique et économique majeur.

Ce plan est aussi le fruit d’un effort concerté de membres de l’establishment politico-militaire israélien. Ehoud Prawer, ancien sous-directeur du Conseil de sécurité nationale et nommé responsable de l’urbanisme auprès de Nétanyahou, est chargé d’appliquer les conclusions du rapport Goldberg (ancien juge de la Cour suprême israélienne) visant à « réglementer l’établissement des Bédouins dans le Néguev ». Ses propositions sont approuvées par le gouvernement en septembre 2011, puis par Yaacov Amidror, conseiller pour la sécurité nationale. Zeev « Benny » Begin est ensuite chargé de la coordination avec la population bédouine. Le 27 janvier 2013, le gouvernement valide ses recommandations pour le plan Prawer. Un des avis de la commission Goldberg est repris : reconnaître, autant que possible, les villages « illégaux ».

Faire disparaître les Bédouins

Pourtant, le reste du rapport réaffirme les termes du dogme national : en dépit des « liens historiques » des Bédouins avec la terre, leurs revendications de propriété sont jugées incompatibles avec les lois existantes. D’autres conditions rendent ces reconnaissances difficiles : nombre d’habitants minimum, densité et continuité de l’habitat mais aussi respect des grandes lignes fixées par le plan métropolitain pour la zone de Beer-Sheva, adopté en 2012. Le 24 juin 2013, la Knesset vote en faveur du projet de loi (43 pour, 40 contre) 5.

L’opposition entre Israël et ses citoyens bédouins se noue autour des villages non reconnus. Une série de lois passées dans les premières années d’existence de l’État hébreu a permis l’expropriation de nombreuses terres palestiniennes, en dépit de l’existence de titres de propriété en bonne et due forme. Avec la loi sur la propriété des absents adoptée en 1950, l’État s’est approprié les terres des Palestiniens déplacés vers un autre pays ou à l’intérieur même de la Palestine historique après 1947. La loi d’acquisition des terres (1953) la compléta en permettant des expropriations pour des motifs militaires ou de développement. En conséquence, quelque quarante-cinq villages bédouins sont considérés comme illégaux par l’État car établis sur des terrains passés sous son contrôle, excluant leurs habitants des services et politiques publiques, les transformant de fait en citoyens fantômes.

Décisions unilatérales

La population bédouine a toutefois tenté de faire entendre sa voix. En juin et en juillet 2013, des rassemblements d’activistes palestiniens et israéliens ont eu lieu notamment à Beer-Sheva, Jaffa, Nazareth et Haïfa. A l’est de la ligne verte, des manifestations de soutien ont été organisées à Ramallah, Hébron, Gaza, Naplouse et Jérusalem-Est. Le 30 novembre 2013, déclaré « jour de rage » contre le plan Prawer, des mobilisations ont lieu dans différentes villes en Israël et Palestine. Dans le Néguev, des affrontements ont opposé Bédouins et policiers, notamment aux alentours de la ville bédouine d’Hura.

Le 9 décembre, Benny Begin précisait devant la Commission des affaires internes les conditions dans lesquelles il avait mené sa consultation : « je n’ai jamais dit à personne que les Bédouins avaient approuvé mon plan. Je n’ai pas pu dire ça parce que je ne leur ai jamais présenté (…) En conséquence, je ne sais pas dans quelle mesure ils soutiennent la loi ».6 Ce faisant, il enlevait aux partis de la coalition gouvernementale leur principal argument, à savoir que le projet de loi respectait les droits des Bédouins. Leur soutien s’effrita instantanément, alors qu’extrême droite et extrême gauche se rejoignaient paradoxalement dans la célébration de cet échec, les premiers y voyant l’occasion de proposer une nouvelle loi plus stricte envers les Bédouins, les seconds voyant enfin leurs efforts récompensés par l’abandon pur et simple d’une loi jugée discriminatoire.

En 1969 déjà, une procédure pour examiner les revendications de propriété des Bédouins était lancée et trois mille deux cent demandes furent déposées. Dès 1975, le Comité Albeck recommandait le retour à la doctrine originelle : l’examen de ces dossiers était gelé et remplacé par des négociations. Celles-ci devaient permettre aux Bédouins d’obtenir une (petite) compensation pour leurs terres, à condition de renoncer à toute revendication sur celles-ci et de s’installer dans un des townships établis par l’État. Aujourd’hui, le mécanisme d’indemnisation prévu par le plan Prawer reste soumis à la logique qui prévaut depuis soixante ans7. Et les solutions qui seront proposées par le nouveau plan seront très vraisemblablement similaires à celles du passé.

1L’« abandon » de la loi vu par différents journaux israéliens :
➞ « Israeli government halts controversial plan to resettle 30,000 Bedouin », Haaretz, 12 décembre 2013 ;
➞ « Israel suspends controversial Beduin resettlement plan », The Jerusalem Post , 12 décembre 2013 ;
➞ « MKs learn Beduin did not see, agree to resettlement plan, threatening bill’s passage », The Jerusalem Post , 12 octobre 2013 ;
➞ « Government Drops Prawer Plan for Bedouins », Arutz Sheva, 12 décembre 2013.

La position d’ONG luttant pour les droits des Bédouins :
➞ Adalah
➞ Forum pour la coexistence dans le Néguev.

3Entretien effectué le 3 novembre 2013.

4Interview publiée dans Haaretz le 31 juillet 1963.

6Cf. note 1.

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