Qui a peur de la tenue d’élections municipales en Palestine ?

Le 8 septembre 2016, la Cour suprême palestinienne a gelé les élections municipales qui devaient se dérouler à Gaza et en Cisjordanie le 8 octobre prochain. Une grande partie de la gauche palestinienne, qui milite pour l’unité nationale et la réconciliation entre le Fatah et le Hamas, voit dans cette décision un déni de démocratie et une manoeuvre du Fatah. Même si l’obstruction à une vie démocratique en Palestine est d’abord à mettre sur le compte de l’occupation israélienne, qui prive notamment les Palestiniens de Jérusalem-Est du droit de participer aux élections.

Khaled Mechaal, Mahmoud Abbas et le négociateur du Fatah Azzam Al-Ahmed (de dos) au cours d’une rencontre préalable à l’« accord de partenariat » préparant les élections de 2012.
Hamas Press Office, Le Caire, 24 novembre 2011.

La Cour suprême de Ramallah a finalement décidé de surseoir à la tenue des élections municipales qui devaient se dérouler le 8 octobre 2016 en Palestine, à la suite d’une plainte déposée par l’un des avocats. Un arrêt que la Cour a justifié par deux raisons principales : d’une part parce que Jérusalem-Est, territoire occupé depuis 1967, était exclue du scrutin ; et d’autre part parce que certaines listes du Fatah avaient été invalidées dans la bande de Gaza. Avant d’examiner plus avant cette décision diversement accueillie, il convient de considérer la façon dont se sont déroulés les préparatifs électoraux, notamment la formation des listes, avec les divers problèmes qui n’ont pas manqué de se poser.

La décision de la Cour est en effet étroitement liée au contexte général de ces dernières semaines. De nombreuses forces politiques et organisations de la société civile réclamaient depuis plusieurs années la tenue de ce scrutin, compte tenu de la nécessité de donner une nouvelle légitimité aux instances locales et municipales. Quatre ans se sont écoulés depuis les dernières élections, qui s’étaient déroulées en trois étapes du 20 décembre 2012 au 6 janvier 2013 et avaient opposé le Fatah à des forces de gauche. Le Hamas avait pour sa part choisi de les boycotter, empêchant ainsi leur tenue à Gaza. Rappelons que les municipales de 2005 avaient été générales, avec une forte participation du Hamas, dont le score important était alors considéré comme une défaite pour le Fatah.

Un consensus Fatah-Hamas

Une certaine unanimité s’est dégagée ces dernières années entre les acteurs de la vie publique, notamment au sein de la société civile et de plusieurs forces politiques, en faveur de la tenue des élections simultanément en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, de façon à préserver l’unité politique des territoires palestiniens. Un consensus qui repose sur le refus de considérer la division comme un fait accompli, compte tenu du risque juridique que cela représenterait.

Au-delà des multiples rencontres organisées autour de la réconciliation, cette unanimité a permis l’an dernier d’obtenir l’accord du Hamas pour la tenue des municipales à Gaza. Un obstacle a ainsi été levé car jusqu’alors, Fatah et Hamas se renvoyaient mutuellement la responsabilité d’entraver les élections et de confisquer le droit du peuple palestinien à choisir ses représentants locaux. L’accord intervenu a été bien accueilli au niveau national et perçu comme un pas vers la fin des divisions.

La commission centrale des élections a alors fixé la date du 8 octobre prochain pour les municipales. Toutes les forces politiques — Fatah, Hamas et Alliance démocratique — ont approuvé, excepté le Djihad islamique qui a opté pour le boycott. Les préparatifs pour la constitution des listes ont donc été lancés dans toutes les localités de Cisjordanie et de la bande de Gaza.

Vers la fin de la bipolarité ?

À l’issue de longues discussions, les forces démocratiques et de gauche — le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP), le Parti du peuple palestinien (ex-Parti communiste), l’Union démocratique palestinienne (FIDA), le mouvement de l’Initiative nationale palestinienne et d’autres — ont convenu de former des listes communes sous l’appellation Alliance démocratique, afin d’en finir avec la bipolarité Fatah-Hamas et d’offrir au peuple palestinien une troisième option. Ce courant doit désormais faire connaître son programme et sa vision en prenant part aux élections, de façon à se faire une place dans la vie politique palestinienne. Pour les dirigeants de l’Alliance démocratique, les municipales constituent une expérience sur laquelle s’appuyer par la suite dans la mesure où elles permettent de connaître le positionnement des forces politiques en Palestine. Et même si, pour diverses raisons, cette alliance ne s’est pas réalisée dans certaines circonscriptions, ces listes sont en tout cas présentes dans bon nombre de villes, camps et villages, notamment dans la bande de Gaza.

Si, en Cisjordanie, le Hamas ne s’est pas vraiment préoccupé de former ses listes avec le même soin qu’en 2005, il cherche toutefois à s’allier avec d’autres forces, dont le Fatah dans certaines circonscriptions. Et même s’il ne parle pas d’établir des listes en Cisjordanie, contrairement à Gaza, il maintient son soutien aux élections et reste bien déterminé à y participer.

L’élément tribal et familial a été prépondérant dans la formation des listes au niveau de la plupart des régions, et même à Ramallah, pourtant connue pour la diversité de sa population. Bon nombre de ses habitants viennent en effet d’ailleurs : qui de l’étranger d’où ils sont rentrés à l’arrivée de l’Autorité palestinienne, qui de Cisjordanie et de Gaza pour travailler, qui nommés dans le cadre des institutions du pouvoir. « Le tribalisme est patent dans la formation des listes électorales, et dans la ville de Ramallah également », affirme l’agence de presse Ma’an. Il dessert les forces politiques en général, qui ont dû composer avec cette réalité de brassage politique, tribal et familial. Un état de fait qui témoignerait, selon certains analystes, de la confusion, voire de l’échec, des forces politiques et qui s’est rapidement propagé sur les réseaux sociaux. On se retrouve donc devant des listes et des candidats de familles, même si la démarche s’inscrit dans le cadre des listes politiques.

Dissensions au sein du Fatah

Le Fatah a compris dès le début qu’il ne parviendrait pas à maîtriser ses troupes et qu’il devait s’attendre à ce que des listes constituées de sympathisants se forment en parallèle avec les listes officielles du mouvement, en dépit de la décision officielle de ne pas présenter de listes concurrentes. Mahmoud Abbas avait décrété que tout membre qui formerait une liste en dehors des listes officielles s’exposerait à des sanctions. Bon nombre de listes conduites par et composées de sympathisants ont pourtant été déposées en concurrence avec les listes officielles. Suite à l’ajournement du scrutin, Abbas a pris la décision d’exclure plusieurs membres, parmi lesquels l’ancien ministre Khalid Fahd Al-Qawasmeh (Al-Khalil) et Judy Abou Sneineh (Hébron).

Dans de nombreuses communes, des listes uniques ont été formées sur des bases tribales et politiques sous l’appellation « listes sur investiture », pour tenter de surmonter un certain nombre de problèmes tribaux et partisans. L’initiative a fait l’objet de critiques, car elle prive le citoyen de son droit à être candidat et électeur et dépouille l’opération électorale de sa vocation essentielle qui est de consacrer le droit des électeurs à se prononcer sur des programmes politiques.

Ce sont donc là quelques-uns des éléments qui ont marqué l’étape du dépôt des listes, au cours de laquelle le Fatah a compris que le succès escompté ne serait pas forcément au rendez-vous, du fait des listes concurrentes et de la forte implication du Hamas. Selon les observateurs, ce dernier s’acheminerait en effet en Cisjordanie vers un soutien à certaines listes contre la liste officielle du Fatah. C’est cette situation inconfortable pour le Fatah — dominant au sein de l’appareil politique officiel de l’Autorité palestinienne — qui sous-tend la décision politique de recourir à l’arbitrage de la Cour suprême.

L’exclusion de Jérusalem-Est

Étant donné la rapidité à laquelle la plainte a été déposée et le verdict rendu, d’aucuns ont vu là une décision à caractère politique dont les attendus ne laissent pas de surprendre : le premier, relatif à l’exclusion de Jérusalem-Est, est caduc puisque les consultations précédentes ont effectivement eu lieu en dépit de la non-participation de la ville au processus. Quant à l’invalidation de certaines listes du Fatah dans la bande de Gaza, elle ne justifie pas le report du scrutin au niveau national. C’est ce que n’ont pas manqué de souligner les forces de l’Alliance démocratique et le Hamas.

Quoi qu’il en soit, l’ajournement des élections vient rappeler que la question des divisions entre Fatah et Hamas ou, comme le disent certains, entre Gaza et la Cisjordanie, reste d’actualité et constitue l’un des principaux points de blocage de la vie démocratique en Palestine. Toutes les affirmations selon lesquelles l’organisation de municipales conjointes en Cisjordanie et à Gaza serait le prélude à la réalisation du rêve d’union nationale auront été vaines. Manifestement, ces divisions ne prendront pas fin aussi aisément, d’autant qu’au fil des années, chaque partie au pouvoir s’est constitué des intérêts auxquels il lui sera difficile de renoncer.

L’occupation, principal obstacle

L’occupation est également un obstacle non négligeable à la tenue d’élections réellement démocratiques en Palestine. Pour critiquable que soit la décision d’ajourner le scrutin, la question de Jérusalem-Est, territoire occupé, n’en reste pas moins posée de façon inéluctable — ce qui en arrange quelques uns — puisque toute consultation organisée sans Jérusalem sera nécessairement incomplète. De même, les arrestations de membres des commissions électorales par l’occupant israélien, notamment dans les rangs du Hamas, sont perçues par certains comme une intervention directe dans le processus électoral, qui a un impact certain sur son caractère démocratique.

Dans ce contexte de divisions internes et d’occupation israélienne, on peut difficilement parler d’une opération effectivement démocratique en Palestine. Un scrutin n’est pas une simple opération technique qui s’effectue au niveau des urnes. Il dépend également d’un environnement politico-socioculturel sain et favorable. La liberté de candidature et d’élection, la liberté de circulation, la liberté d’établir des programmes et de les communiquer aux électeurs, la liberté d’information sont indispensables au bon déroulement du processus. Des conditions qui ne sont pas réunies en Palestine.

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