Le 1er mai, Rabat a rompu ses relations diplomatiques avec Téhéran, accusé d’avoir livré des armes au Front Polisario par l’intermédiaire du Hezbollah libanais. L’affaire est d’autant plus étonnante que le Front Polisario n’a pas besoin d’être armé pour engager des hostilités militaires contre le Maroc. La décision de reprendre les combats dépend évidemment d’Alger qui héberge le mouvement. Or, Alger n’est absolument pas favorable à cette option guerrière et rien ne permet de dire que le Front Polisario est suffisamment entrainé pour tenir tête aux forces armées royales (FAR), même si, régulièrement il menace de reprendre les armes.
Démentie avec force par l’Iran, le Front Polisario et Alger, l’accusation du Maroc a immédiatement été saluée par l’Arabie saoudite qui affirme apporter son soutien au royaume chérifien frère, menacé dans sa sécurité et son intégrité territoriale. D’autres pays de la région ont également manifesté leur solidarité avec Rabat, bien que de manière moins appuyée que l’Arabie saoudite ; c’est le cas des Émirats arabes unis, du Bahreïn, du Qatar et de la Jordanie.
Renforcer les relations avec Donald Trump
L’explication de cette mystérieuse rupture des relations entre Rabat et Téhéran pourrait venir précisément de cet appui des pays du Golfe. En manifestant son hostilité à l’égard de Téhéran, le Maroc tenterait de donner des gages au prince héritier saoudien Mohamed Ben Salman qui reprochait à Mohamed VI sa trop grande neutralité dans la crise qui oppose Riyad et ses alliés au Qatar. Sans aller jusqu’à se brouiller avec le généreux Qatar, le Maroc a alors choisi de sacrifier ses relations avec l’Iran, inscrivant cette brouille dans une mésentente chronique avec Téhéran. En effet, en 2009, Rabat avait déjà unilatéralement rompu ses relations avec l’Iran, accusant un haut responsable iranien d’avoir déclaré que le Bahreïn était « la quatorzième province iranienne ». Les liens n’ont été rétablis qu’en 2014.
Mais ce nouveau contentieux avec l’Iran pourrait aussi favoriser un rapprochement avec l’administration Trump qui rêve d’amener la communauté internationale à isoler l’Iran et se dit déterminée à « empêcher le régime iranien de menacer le monde avec des armes atomiques ». Rabat a toujours pensé que le salut en matière de résolution du conflit saharien viendrait des États-Unis. Le Maroc avait parié sur la victoire d’Hillary Clinton pour l’appuyer dans ce dossier ; la rupture avec l’Iran lui donnera peut-être l’occasion de séduire Trump pour clore le conflit à ses conditions, en outrepassant les positions jugées trop rigides et peu avenantes des Nations unies à son égard.
Enfin, l’autre atout de cette crise contre l’Iran est de montrer à l’Union européenne (UE) que le Maroc est loin d’être isolé. Il bénéficie de l’appui des pays du Golfe et des États-Unis qui pourraient, en plus de leur protection et de leur solidarité affichée, devenir des partenaires économiques peu soucieux de l’origine des poissons qu’ils consomment et du phosphate qu’ils utilisent pour fertiliser leurs terres.
Impuissance des Nations unies
Car le conflit du Sahara se joue aussi sur le terrain européen. Depuis la décennie 1980, la guerre qui oppose le Maroc au Front Polisario pour la souveraineté du territoire saharien a cessé d’être militaire. En construisant six murs de défense qui entourent le Sahara dit « utile » — autrement dit comportant les villes et les principales ressources —, Rabat coupait l’herbe sous le pied de la guérilla du Front Polisario. Alors que le règlement de ce conflit est confié à l’ONU, l’accord de cessez-le-feu prévoyait une consultation référendaire dès 1992.
La guerre s’est ainsi déplacée sur le terrain des listes électorales et le référendum n’a jamais pu se tenir faute d’accord entre les parties sur la composition du corps électoral. L’inquiétude face au scrutin a poussé les deux belligérants à venir grossir les listes électorales. Depuis, le conflit est paralysé, tant les options des protagonistes paraissent irréconciliables : autodétermination pour le Front Polisario qui accepte néanmoins de discuter les termes de résolution du conflit, et autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine pour Rabat qui propose un plan d’autonomie, écartant de fait toute négociation avec l’adversaire.
Les années ont passé, et l’ONU observait l’enlisement de ce conflit qui donne d’elle l’image d’une instance impuissante, juste capable de renouveler annuellement le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso). Rien ne paraissait pouvoir sortir le conflit de sa torpeur, tandis que le Maroc s’activait à amener la communauté internationale à reconnaître que le Sahara occidental, dont il contrôle 80 % du territoire, populations et ressources comprises, est marocain.
Rien ne laissait prévoir que le Front Polisario allait se lancer dans une bataille juridique contre les accords commerciaux passés entre l’Union européenne et le Maroc. En décembre 2016 et en janvier 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) rendait un avis selon lequel le Sahara occidental n’appartenait pas au Maroc. Elle invalidait ainsi l’accord de pêche signé entre l’UE et le Maroc, celui-ci ayant été conclu par le Maroc « sur la base de l’intégration unilatérale du Sahara occidental à son territoire et de l’affirmation de sa souveraineté sur le territoire, le peuple sahraoui n’a pas disposé librement de ses ressources naturelles, comme l’impose pourtant le droit à l’autodétermination. »
Quand Bruxelles irrite Rabat
Depuis la décision de la CJUE en décembre 2016, les associations militant en faveur du Front Polisario multiplient les requêtes, en France, au Royaume-Uni, en Afrique du Sud ou ailleurs pour dénoncer la « spoliation » des ressources du Sahara par le Maroc et leur commercialisation. Créé en 2004, et composé d’associations de près d’une quarantaine de pays, le Western Sahara Ressources Watch (WSRW) mène, de manière très active, une campagne de soutien au Front Polisario. Selon cette alliance d’ONG, le conflit du Sahara n’a aucune chance de connaître un règlement tant que le Maroc bénéficiera des ressources de ce territoire qu’il occupe. Aussi, le WSRW publie un rapport annuel, P For Plunder, qui liste les entreprises opérant au Sahara occidental dans une stratégie de « name and shame ».
Mais la contestation de cette ONG qui opère en coordination avec le Front Polisario ne se limite pas aux ressources naturelles du Sahara, commercialisées à travers le monde. Elle concerne également les énergies renouvelables, puisque deux des cinq champs éoliens construits par le Maroc l’ont été au Sahara. Elle concerne également le tourisme développé à grands frais à Dakhla, d’où la plainte déposée contre Transavia, la compagnie low cost d’Air France pour la liaison qu’elle assure entre Paris-Orly et Dakhla.
Cette nouvelle guerre juridique et commerciale déclarée au Maroc par le Front Polisario s’appuyant sur le jugement de la CJUE irrite au plus haut point le Maroc. En février 2017, Aziz Akhamouch, le ministre de l’agriculture et de la pêche menaçait même l’UE de chercher d’autres partenaires commerciaux, allant même jusqu’à les nommer : Russie, Chine, Inde, pays du Golfe, pays africains… La menace ne se limitait pas au registre commercial ; elle pouvait, selon ses dires, avoir des effets sur la reprise des flux migratoires. Pour preuve, quelques heures seulement après son allocution, des migrants ont pu entrer à Melilla sans être inquiétés.
À cette guerre juridique, le Maroc répond en ôtant tout crédit à son adversaire. Rabat a d’abord accusé les éléments du Front Polisario de proximité avec les deux principaux acteurs djihadistes qui opèrent dans le nord de l’Afrique, Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et l’organisation de l’État islamique (OEI). L’accusation pouvait paraître plausible, tant la population sahraouie des camps de Tindouf est aguerrie, maîtrise bien le terrain et est depuis quelques années déjà en perte de repères idéologiques. Toutefois, des preuves irréfutables ne sont pas venues étayer cette mise à l’index.
Faire condamner le Front Polisario
Le Maroc tente aussi d’isoler le Front Polisario en s’impliquant plus activement dans le jeu diplomatique. En 2017, il réintègre l’Union africaine (UA) qu’il avait quittée en 1984 pour protester contre la reconnaissance par l’organisation de la République arabe sahraouie démocratique (RASD). En février 2017, le Maroc s’est également retiré de Guerguerat, un no man’s land à la frontière de la Mauritanie, tandis que le Front Polisario refusait de quitter la zone comme le lui demandait le secrétaire général des Nations unies. En août 2016, une société privée marocaine avait en effet entrepris la construction d’une route, sous la surveillance d’un détachement de la gendarmerie royale. Officiellement, il s’agissait de mettre fin à la contrebande qui se développait dans cette zone. Pour y répondre, le Front Polisario a lui aussi déployé une unité à Guerguerat. Inquiet des risques de dérapage, le secrétaire général des Nations unies avait alors demandé aux deux protagonistes de quitter cette zone tampon.
Depuis, Rabat tente par tous les moyens de faire condamner le Front Polisario par les Nations unies. Le 1er avril 2018, tandis que le Maroc cherchait à peser sur les discussions en cours au Conseil de sécurité sur la prorogation du mandat de la Minurso, son représentant envoyait une lettre au président du Conseil de sécurité Gustavo Meza-Cuadra pour le mettre en garde contre « la menace qui pèse sur le processus politique onusien », précisant que « tout déplacement par le Front Polisario de toute structure civile, militaire, administrative ou de quelque nature que ce soit, des camps de Tindouf en Algérie, vers l’est du dispositif de sécurité au Sahara marocain constitue un casus belli ». Mais, par la voix de son porte-parole, Stéphane Dujarric, le secrétaire général des Nations unies répondait trois jours plus tard que la Minurso n’avait enregistré aucune violation de l’accord de cessez-le-feu dans cette zone tampon.
La condamnation des Nations unies qui disqualifierait le Front Polisario n’est pas venue, et dans le dernier rapport onusien sur le Sahara occidental, en date d’avril 2018, le Conseil se sécurité qui prolonge le mandat de la Minurso pour six mois au lieu de douze habituellement insiste sur la nécessité pour les deux protagonistes de progresser dans la recherche d’une solution politique « réaliste, pragmatique et durable ». Il y est bien spécifié que cette solution politique reposerait forcément sur le compromis (résolution 2414 du 27 avril 2018). Un compromis qui reste encore introuvable.
Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Orient XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.