Silence, on négocie

Où en sont les discussions entre Israéliens et Palestiniens ? · Les discussions de paix entre Israéliens et Palestiniens ont officiellement débuté le 29 juillet 2013 à Washington, après quatre mois d’activité diplomatique du secrétaire d’État américain John Kerry. Les premiers travaux n’ont pas encore abordé les questions qui fâchent. Que négocier et comment ? L’optimisme est de commande, mais le rapport des forces entre Israël et l’Autorité palestinienne restant déséquilibré, il faudra beaucoup d’imagination pour avancer dans les négociations annoncées.

Benyamin Netanyahu, Barack Obama et Mahmoud Abbas lors d’un dîner de travail à la Maison Blanche, en 2010.
Capture d’écran vidéo, C-Span news.

La presse nationale et internationale prête peu d’attention aux actuelles discussions de paix entre Israéliens et Palestiniens. En ce début de semaine, sur une vingtaine de journaux français et internationaux pris au hasard, aucun n’y consacrait une ligne en première page. Les médias s’attachent aux événements dramatiques de la région ; à l’Égypte qui n’en finit pas de solder le passage des Frères musulmans au pouvoir1 ; à la Syrie qui s’enfonce dans la destruction et devient le terrain de batailles de groupes radicaux islamistes ; aux révolutions arabes qui ont fait goûter à la liberté, un peu à la démocratie, mais ont laissé intacte l’injustice sociale. Pourtant, les discussions entre Palestiniens et Israéliens ont repris officiellement le 29 juillet 2013, à Washington. Tout autant qu’hier, la création d’un État indépendant de Palestine et la reconnaissance d’Israël par l’ensemble des pays arabes changeraient la donne au Proche-Orient et au-delà.

L’absence de médiatisation s’explique aussi par la volonté de Washington d’enfermer les discussions dans un espace de discrétion. Rien ne doit filtrer, a imposé John Kerry, le secrétaire d’État américain, qui devrait être le seul habilité à communiquer publiquement. La dernière déclaration du Quartet du 27 septembre 2013, un modèle de non-dit, respecte ses recommandations. La méthode a ses avantages et ses inconvénients ; quelques informations ont toutefois circulé.

Scepticisme et résignation palestiniens

Les négociateurs palestiniens ont accepté sans le moindre enthousiasme cette énième étape du processus de paix. Ils connaissent les limites du sujet. Leur scepticisme est profond. Ils s’y sont rendus après plusieurs renoncements. Ils n’ont pas été en mesure d’imposer le gel de la colonisation et les frontières de 1967 comme préalables à leur réengagement dans le processus de paix. Ils ont de facto renoncé à leur « extrémisme » politique aux Nations unies. Ils ne demanderont pas à la Cour pénale internationale (CPI) d’examiner l’illégalité de la colonisation. Ils savent que tout accord de paix devra être « réaliste », c’est-à-dire qu’il prendra en compte l’évolution de la réalité depuis 1967, sur le terrain et dans les esprits. En échange, ils ont obtenu d’Israël la promesse de libérer une centaine de prisonniers palestiniens. Les premiers sont sortis de prison il y a peu. Cette mesure de confiance est traditionnellement bien reçue par les Palestiniens, mais il en faudrait plus pour qu’ils espèrent que les discussions actuelles leur rendent justice. Quoique largement favorable à la paix, la population ne croit pas à la capacité du président Barack Obama de rééquilibrer le rapport des forces entre Israéliens et Palestiniens : ils doutent de son impartialité et de sa neutralité. La toute récente insistance de John Kerry, le secrétaire d’État américain, auprès des Européens pour qu’ils repoussent la mise en œuvre de règles qui empêcherait que les fonds européens servent à l’activité des colonies, conforte leur sentiment. La conviction populaire palestinienne est que tout a été fait pour qu’Israël se sente à l’aise au moment d’aborder ces discussions.

Même si elle a souvent dénoncé la partialité de Washington, l’Autorité palestinienne aurait préféré que les observateurs américains soient présents à la table des négociations, essentiellement pour porter témoignage devant l’Histoire. Ce n’est pas le cas, Israël ne l’ayant pas souhaité. Les Américains sont à proximité, accessibles à tout moment, mais pas omniprésents dans les salles de discussion. Leur montée en puissance viendra plus tard. Les Palestiniens le regrettent ; ils auraient trouvé intérêt à ce qu’une tierce partie offre des solutions en cas de blocage. Anticipant un échec, ils auraient voulu éviter d’être accusés d’avoir fait échouer cette tentative, comme cela leur a souvent été reproché dans le passé.

Sans témoin tiers, la parole israélienne vaut la leur dans l’énoncé des reproches. Mais elle porte plus fort et plus loin. L’accusation portée en 2000 par Ehoud Barak, alors premier ministre2, résonne encore à leurs oreilles. Cette année-là le premier ministre israélien avait déclaré, à l’issue des infructueuses négociations de Camp David, que « l’offre généreuse » faite par Israël avait été repoussée par les Palestiniens. Yasser Arafat apparaissait, une fois encore, comme celui qui était incapable de signer la paix. Malgré ses dénégations, il n’a jamais pu se défaire de cette image.

Comme prévu, les négociateurs n’ont pas abordé d’emblée les questions relevant du statut final des territoires, en particulier le tracé des frontières, le statut de Jérusalem et le droit au retour des réfugiés. Ils ont réservé leurs premiers travaux aux questions de méthode et de modalités qui prennent traditionnellement une place prépondérante. Que négocier et comment ? Tels sont les premiers réglages sur lesquels il convient de s’accorder en préalable aux négociations proprement dites. Les discussions pourraient durer neuf mois, mais aucun calendrier contraignant n’a été fixé aux négociateurs, ce qui a fait dire à Tzipi Livni, ministre de la justice, chef de l’équipe de négociation israélienne, que si la partie palestinienne ne faisait pas montre de sérieux, les discussions ne dureraient pas si longtemps. En revanche, Israël répondrait à un réel engagement des Palestiniens en ne ménageant pas son temps pour trouver une solution. Les thématiques sécuritaires, politiques et économiques ont été abordées.

L’argument sécuritaire

Du côté américain, le volet sécurité a été confié au général John R. Allen3. Israéliens et Palestiniens ne se sont encore accordés sur rien, si ce n’est sur quelques éléments déjà agréés par le passé. Les Palestiniens se disent ouverts aux idées israéliennes, à la condition que leur souveraineté soit préservée.

Cette notion de souveraineté palestinienne n’a évidemment pas la même signification en Israël. Il faudra voir si la situation régionale peut répondre aux préoccupations sécuritaires d’Israël, ce qui permettrait aux Palestiniens de réclamer des attributs de souveraineté. Le Sinaï et la ligne de partage entre l’Égypte et Gaza sont l’objet de l’attention du nouveau gouvernement en place au Caire. Ces zones sont plus sûres qu’il y a quelques mois et la contrebande d’armes y est devenue difficile. Les tunnels entre la bande de Gaza et le territoire égyptien ont de plus en plus de mal à fonctionner, l’Égypte les fermant ou les détruisant. Le Golan syrien et la frontière avec le Liban restent provisoirement calmes, en attendant le dénouement de la guerre en Syrie.

Contrairement à d’autres cycles de négociations, le parrain américain n’a pas fixé de paramètres dans la perspective des négociations. La rumeur veut que les propos tenus par Obama en mai 20114 servent de critères généraux. Le président avait alors déclaré qu’il envisageait un État palestinien dans les lignes de 1967, avec des échanges de territoires. Au terme d’un accord, Israël serait la patrie (homeland) du peuple juif et l’État de Palestine celle du peuple palestinien. Or, ce cadre conceptuel ne peut servir de référence à Israël. Pas plus aujourd’hui qu’hier.

De la même façon, les actuelles discussions n’ont été précédées d’aucune préparation diplomatique, comme cela avait été le cas précédemment avec le « gel de la colonisation ». Le slogan, qui avait tant servi aux Palestiniens, avait provoqué un blocage complet des négociations. Obama l’a abandonné en 2009. On doit donc s’attendre à ce que discussions de paix et activités de colonisation poursuivent des voies parallèles.

L’économie est devenue au fil du temps le dossier le plus visible de Tony Blair, le représentant du Quartet. L’ancien premier ministre britannique a mis au point un ensemble de mesures « à effet rapide » visant à améliorer les conditions de vie des Palestiniens et à favoriser les échanges économiques entre Israël et eux d’une part, et entre eux et la communauté internationale d’autre part. Elles ont été soumises aux deux parties qui doivent en examiner la mise en œuvre. Elles ne posent pas de difficulté particulière, si ce n’est que leur application repose entièrement sur un accord politique.

Realpolitik à l’américaine

Le scepticisme est général, l’optimisme de commande. Les positions des deux parties sont archiconnues, les blocages tenaces. Le rapport des forces entre Israël et l’Autorité palestinienne reste déséquilibré, très largement en faveur d’Israël. Il faudra beaucoup d’imagination pour faire avancer les négociations. Le discours d’Obama aux Nations unies, le 24 septembre 20135, a peut-être mis un peu de baume au cœur de la direction palestinienne. Israël a dû aussi y trouver son compte. En 2009, au début de son premier mandat, la paix entre Israéliens et Palestiniens faisait partie des priorités du président. Son discours au Caire6 avait marqué les esprits. Il percevait le conflit entre Israéliens et Palestiniens comme la confrontation de deux peuples dont les aspirations étaient également légitimes. Pour être conforme à sa vision du monde, cette position morale entre deux légitimités égales avait irrité Israël. Obama avait été critiqué, en Israël et aux États-Unis, au point qu’il semblait avoir renoncé peu à peu à apporter sa pierre au processus. Son discours aux Nations unies, en 2010, avait abordé la relation israélo-palestinienne, mais déjà elle ne semblait plus être le moteur de sa diplomatie. Ceux de 2011 et 2012 insistaient sur l’engagement de l’administration à prendre en considération les inquiétudes sécuritaires d’Israël. Le revirement était perceptible. La question de Palestine redevenait un problème de sécurité parmi d’autres, loin devant les aspirations légitimes des deux peuples à « vivre ensemble en paix et en sécurité ».

Lors de l’annonce de la relance du processus de paix il y a quelques mois, la direction palestinienne était peu rassurée sur la réelle intention des Américains de se réengager sur un dossier qui a résisté à toutes les bonnes volontés. Accaparé par d’autres sujets régionaux, Washington donnait l’impression de prendre sa distance sur la question de Palestine et plus généralement vis-à-vis de la région. Le tout récent discours d’Obama aux Nations unies remet la Palestine au rang de ses priorités (avec l’Iran). Par ses propos, le président a donné l’impression d’avoir retrouvé l’esprit du Caire, fait d’ouverture aux pays arabes et musulmans, mais il y a ajouté une forte dose de realpolitik.

Le président américain se dit prêt à travailler avec des « gouvernements qui ne satisfont pas les plus hautes attentes internationales, mais qui travaillent avec (les États-Unis) sur (leurs) intérêts vitaux ». Il reconnaît combien la transition entre dictature et démocratie est difficile. Il donne le sentiment qu’il remise l’idéalisme et l’interventionnisme qui ont été la marque de la diplomatie américaine ces dernières années, reconnaissant qu’il vaut mieux « affirmer des principes » que d’intervenir dans les affaires d’un autre pays, rôle qui est celui des Nations unies. Ce discours ne s’adressait pas aux Palestiniens, mais il les concernait aussi. Il confirmait que le président américain était disposé à mettre le poids de sa diplomatie au service du processus de paix parce que c’était l’intérêt des États-Unis, pas uniquement pour des questions de justice ou de légalité internationale. Certains le regretteront ; d’autres penseront qu’une dose de pragmatisme est de bon augure alors que les discussions de paix viennent à peine de s’ouvrir.

1Mohamed Morsi est devenu président de la République arabe d’Égypte le 30 juin 2012. Il a été destitué de ses fonctions le 3 juillet 2013 par l’armée. Son parti, « Liberté et Justice », est issu des Frères musulmans. Depuis son départ, les Frères musulmans et leurs activités sont déclarés hors la loi.

2Ehoud Barak a été premier ministre d’Israël de 1999 à 2001.

3Allen a été nommé « envoyé spécial » pour les questions de sécurité par le secrétaire à la défense, Chuck Hagel, en mai 2013. Il était chargé de préparer un plan de sécurité dans le cadre des discussions entre Israéliens et Palestiniens.

6Extrait : « For decades, there has been a stalemate : two peoples with legitimate aspirations, each with a painful history that makes compromise elusive ».

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