Solidarité avec Gaza. Lettre à la Philharmonie de Paris

Un collectif d’intermittents du spectacle, principalement dans le domaine de la musique classique, interpelle la direction de la Philharmonie de Paris. Il réclame la déprogrammation du concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël le 6 novembre, institution indissociable de l’État colonial génocidaire. De son côté, le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), en accord avec la salle parisienne, a proposé à ses membres des billets de soutien à tarif réduit.


Bâtiment moderne aux formes ondulées, façade métallique, situé à Paris.
Entrée principale du bâtiment conçu par Jean Nouvel.

Monsieur le Directeur,

Nous, artistes et publics de la musique classique, vous adressons ce courrier afin de vous faire part de notre grande inquiétude au sujet du maintien du concert de l’Israel Philharmonic Orchestra (IPO), placé sous la direction de son directeur musical Lahav Shani le 6 novembre prochain.

Le 26 janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a, suite à la procédure formée par l’Afrique du Sud sur le fondement de l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza, averti contre un risque de génocide sur le peuple palestinien. Après l’émission de mandats d’arrêts internationaux par la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et de son ministre de la défense Yoav Gallant, l’Organisation des nations unies (ONU) a de nouveau reconnu, dans un rapport de la Commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme des Nations unies publié le 16 septembre 2025, que l’État d’Israël commet un génocide dans la bande de Gaza.

Le 21 mai 2025, après une tournée en Europe et notamment un concert avec le Münchner Philharmoniker pour commémorer le 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Israel Philharmonic Orchestra s’est vu décerner un titre honorifique par l’université de Tel-Aviv. Son secrétaire général, Yair Mashiach, a alors déclaré : « Au nom de la direction de l’orchestre et de son directeur musical Lahav Shani, nous tenons à remercier l’université de Tel-Aviv pour cette distinction prestigieuse. L’Orchestre philharmonique d’Israël est l’orchestre national de l’État d’Israël et son ambassadeur culturel dans le monde. C’est un immense honneur pour tous les membres actuels et anciens de l’orchestre, ainsi que pour tous nos partenaires au fil des ans. Depuis près de quatre-vingt-dix ans, nous assumons une responsabilité musicale et nationale, et cet honneur nous donne l’inspiration et l’élan nécessaires pour poursuivre notre mission pour les générations à venir. »

Monsieur le Directeur de la Philharmonie de Paris, vous dites dans votre édito de saison que « nous devons nous réjouir » d’autant plus « parce que nous n’ignorons rien du contexte […] de l’état du monde en général » dans lequel nous continuons à produire du spectacle vivant avec les valeurs humanistes que revendique votre institution. Le maintien de ce concert va à l’encontre de vos propos et des valeurs que vous prônez auprès de l’ensemble des publics de la Philharmonie de Paris.

Si vous n’ignorez rien du contexte vous savez alors que :

  • Le 19 janvier 2025 Lahav Shani a été reconduit jusqu’à la fin de la saison 2031/20321 au poste de directeur musical de l’IPO. Il a alors déclaré : « Je suis heureux et fier de poursuivre mon parcours musical avec l’Orchestre philharmonique d’Israël. » Un mois auparavant, l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch publiait un rapport faisant état d’« extermination et d’acte génocidaire » dans la bande de Gaza. Le 19 janvier 2025 devait également marquer le début d’un premier cessez-le-feu, dont le gouvernement israélien refuse la deuxième phase qui prévoit le retrait de ses troupes de la bande de Gaza. Dans la foulée, Israël a bloqué l’acheminement de l’aide humanitaire.
  • Les liens entre l’IPO, le gouvernement israélien et son armée sont documentés et ne sont plus à prouver aujourd’hui, encore moins après de telles déclarations qui relèvent de la politique de hasbara et du Brand Israel, qui tend à couvrir les exactions commises par le gouvernement israélien en redorant l’image du pays à l’international notamment lors de collaborations artistiques occidentales. Cette position institutionnelle rend impossible la condamnation ou même la simple critique alignée sur le droit international du gouvernement israélien de la part des membres de l’IPO et encore moins de la part de son directeur musical. C’est alors à nous, artistes, publics et institutions de la culture, qu’il revient d’agir en refusant de participer à la stratégie d’effacement du génocide par la culture.
  • Maintenir ce concert, c’est entretenir l’impunité dont jouit l’État d’Israël face au droit international ; c’est instrumentaliser la musique classique comme art et industrie dans l’effacement d’une politique qui refuse depuis 75 ans la reconnaissance des droits fondamentaux du peuple palestinien, dont le droit au retour des réfugiés et des enfants de réfugiés de la Nakba de 1948 ; c’est faire de la Philharmonie de Paris – et donc d’une institution publique française – un étendard de la politique d’apartheid et de colonisation de l’État d’Israël pour laquelle ce dernier a été condamné par les instances internationales à de multiples reprises. En 2022, suite à l’invasion des forces russes en Ukraine, la Philharmonie de Paris n’a pas hésité à annuler des concerts d’institutions et artistes russes, comme l’Orchestre du Théâtre Mariinsky et les concerts dirigés par Valery Gergiev en solidarité avec le peuple ukrainien, et ce, en dehors même du cadre du droit international.

C’est donc en accord avec le droit international, les dernières déclarations de l’ONU, au nom des valeurs prônées aujourd’hui par les institutions de la musique classique et leurs artistes que nous vous invitons solennellement à considérer l’annulation de ce concert.

Toujours sur cette base argumentaire qui ne considère en aucun cas la nationalité israélienne des artistes comme un motif de l’annulation mais leur rôle institutionnel dans la politique d’effacement par la culture du crime de génocide, nous vous invitons à considérer l’annulation du concert de l’Israel Philharmonic Orchestra le 6 novembre, du Rotterdam Philharmonic Orchestra, tous deux dirigés par Lahav Shani le 30 novembre prochain ainsi que celui du Jerusalem Quartet (« musiciens émérites de l’IDF ») prévu le 16 janvier 2026.

Nous avons rédigé ce courrier avant qu’un nouveau cessez-le-feu ne soit scellé dans la bande de Gaza. À l’heure où nous vous le faisons parvenir, les espoirs avec lesquels nous avions accueilli la nouvelle ont déjà été revus à la baisse par de nouvelles frappes aériennes atteignant des civils. Si l’arrêt momentané du massacre peut, espérons-le, apporter un soulagement certain à la population gazaouie et si ce cessez-le-feu venait à durer, notre demande n’en serait pas pour autant altérée.

Le « plan de paix » négocié par l’Occident en la personne de Donald Trump ne met aucunement fin à la politique d’apartheid, à la colonisation illégale en Cisjordanie et n’accorde aucune souveraineté au peuple palestinien. Le terreau politique du génocide dont nous témoignons depuis deux ans est toujours présent. On ne peut appeler « paix » un déni de justice. En cela, les événements récents n’altèrent aucunement notre engagement et notre sollicitation.

Les décennies de colonisation illégale, d’apartheid et de nettoyage ethnique ainsi que les deux années écoulées de génocide sont des raisons suffisamment importantes pour vous alerter et pour appeler à une paix conjointe à la justice.

1«  Lahav Shani Extends Contract at the Israel Philharmonic  », The Violin Channel, 28 janvier 2025.

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