Tunisie. Les « Voix de Kasserine »


La politologue Olfa Lamloum et l’anthropologue Michel Tabet ont réalisé Voices from Kasserine, un documentaire qui interroge le modèle de transition démocratique en Tunisie en donnant la parole aux habitants d’un gouvernorat pauvre et frontalier. Olfa Lamloum explique à Orient XXI le contexte et les raisons du tournage de ce film.

Kasserine a été très impliquée dans la révolution de 2011, d’où le choix d’ y tourner un documentaire. Olfa Lamloum explique :

Le gouvernorat de Kasserine, deuxième fief de la révolution de 2011, est une région frontalière avec l’Algérie. Reléguée, elle est marquée par l’inégalité territoriale, la pauvreté, le chômage des jeunes, l’abandon scolaire, la faiblesse de l’infrastructure, bref l’absence de l’État social. La seule ressource de survie pour la majorité de ses habitants est l’économie de la frontière et la contrebande de produits de première nécessité et d’essence.
(…) Six ans après la révolution, nous avons choisi de parcourir ce gouvernorat qui a donné le plus plus grand nombre de martyrs en 2011 pour restituer une expertise citoyenne de l’après-Ben Ali dans une région où la question sociale et le devoir de mémoire demeurent d’une grande actualité. Nous avons ainsi recueilli dans différents villages et villes des témoignages de paysans, de diplômés chômeurs, de jeunes vivant de la contrebande, de familles de martyrs, d’artistes et de militants.

Le film est composé d’une série de portraits d’individus et de paysages. On découvre l’abandon scolaire, la mauvaise gouvernance de l’eau, la dépossession. Contrairement au récit national officiel qui privilégie le regard des vainqueurs, le documentaire montre deux choses essentielles, précise la politologue :

Notre récit est construit autour de deux questions clés à Kasserine : il montre d’abord qu’il ne peut pas y avoir de vraie transition démocratique sans résolution de la question sociale et des inégalités régionales en Tunisie. Il évoque ensuite les diverses formes de résistances depuis 1864 à nos jours très souvent occultées par le récit officiel.

Deux moments forts dans le tournage. Il y a eu d’abord notre rencontre avec un jeune lycéen de 17 ans travaillant la nuit dans la contrebande. Il évoque sa difficulté de concilier études et travail, ses longues nuits passées à la frontière pour transporter le fer. Son salaire dérisoire lui permet tout juste de survivre. Même si l’école est obligatoire en Tunisie, les enfants des familles pauvres sont souvent obligées de travailler et finissent par abandonner l’école.

La deuxième rencontre est celle d’une jeune fille et de ses parents paysans, dans un hameau situé à 24 km de l’école. La mère avait abandonné l’école faute de transport public. La jeune fille est confrontée au même risque dans la mesure où la situation n’a pas changé. La pauvreté semble y être pour beaucoup un destin social se transmettant d’une génération à une autre.

S’il n’y a pas un retour vers l’ancien régime comme en Égypte, certains acteurs de l’époque de Zine El-Abidine Ben Ali se retrouvent aujourd’hui aux postes de commande.

À Kasserine, Il y a une forte méfiance vis-à-vis du gouvernement et une grande déception par rapport aux promesses de la révolution. Pour autant, la société civile locale continue à se battre. Malgré toutes les difficultés dans cette région, les gens n’ont toujours pas baissé les bras.

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