Valéry Giscard d’Estaing accède à la présidence de la République française en mai 1974. Le contexte international est encore celui de la guerre froide (et les États-Unis sont toujours empêtrés dans la guerre du Vietnam), des suites de la guerre d’octobre 1973 au Proche-Orient, et de la première crise pétrolière.
Les années 1970 sont également marquées par la guerre civile libanaise, le rôle de Damas au Liban, l’offensive militaire israélienne de 1978 au pays du Cèdre qui précède les bombardements israéliens de 1982 et l’occupation du sud du pays. En Iran, par la chute de la dynastie Pahlavi et l’accession au pouvoir de l’ayatollah Khomeiny en 1979. Reste que l’occupation de la Palestine par Israël et le sort du peuple palestinien sont des questions centrales au Proche-Orient, et apparaissent comme telles dans l’agenda diplomatique international dans la région.
1974, année de changements
Sept ans après la guerre de 1967, l’occupation israélienne des territoires palestiniens de Cisjordanie et de Gaza se poursuit, comme celle de Jérusalem — censée, selon le droit international, demeurer « corpus separatum » (ouest et est), sous contrôle international —, du Golan syrien et du Sinaï égyptien. Le gouvernement israélien travailliste a entamé la colonisation de ces territoires, après celle des terres confisquées à la minorité palestinienne restée dans ce qui est devenu en 1948 l’État d’Israël.
La guerre de 1967 a constitué pour la France, jusqu’alors alliée privilégiée d’Israël qu’elle a contribué à équiper militairement, un moment de rupture. Durant la crise qui couvait entre Israël et les États arabes, craignant que la tension entre les blocs s’amplifie dangereusement en cas de guerre au Proche-Orient, Charles de Gaulle avait exhorté les parties à ne pas déclencher de conflit armé. Il condamne dès lors l’offensive israélienne de juin 1967. Le 22 novembre, la France soutient la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies qui se fonde sur l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre et réclame le retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés.
À l’occasion d’une conférence de presse le 27 novembre, Charles de Gaulle prédit : « Maintenant, il [Israël] organise sur les territoires qu’il a pris l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsions, et il s’y manifeste contre lui une résistance, qu’à son tour il qualifie de terrorisme ».
En dépit d’une opinion publique encore majoritairement favorable à Israël, de Gaulle décide en outre un embargo sur les ventes d’armes. Cette condamnation de l’occupation de territoires par la force sera jusqu’à la fin de la seconde mandature de Jacques Chirac l’axe de la diplomatie française au Proche-Orient.
Paradoxalement, la défaite des armées arabes en juin 1967 face à l’offensive israélienne a fait de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) un mouvement de résistance authentiquement national. Si sa direction et ses combattants demeurent en exil forcé hors des frontières de la Palestine, la résistance a commencé à se structurer dans le territoire occupé. Un « Front national palestinien » s’y constitue dès 1973, qui prônera progressivement l’établissement des bases d’un État palestinien sur tout ou partie du territoire libéré. Le douzième Conseil national palestinien (CNP), tenu au Caire en juin 1974, adoptera de ce point de vue un programme politique en dix points, qu’il envisage à son tour.
Dans la même période auront lieu les premières rencontres, notamment en France, entre des militants pacifistes israéliens et des responsables de l’OLP. Et en avril 1976, les élections municipales en Palestine occupée consacreront la victoire éclatante des candidats se revendiquant de l’OLP.
Le tournant de la guerre d’octobre 1973
L’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing à l’Élysée intervient en fait quelques mois seulement après la guerre surprise contre Israël d’octobre 1973, au cours de laquelle l’Égypte et la Syrie ont restauré un certain crédit de leurs armées, sans libérer pour autant de l’occupation les territoires conquis par Tel-Aviv en juin 1967. Les États producteurs de pétrole ont pris conscience du poids dont ils disposent. En un an, les prix du pétrole sont multipliés par quatre.
Le sort de la Palestine demeure pour les États arabes un enjeu central, au moins symboliquement, nonobstant les volontés de tutelle que certains aspirent à exercer sur l’OLP. Israël ne souhaite envisager, en cas de négociations avec des États arabes, que des bilatérales. L’Union soviétique, qui entend développer ses liens avec des États arabes, évoque publiquement l’idée d’un État palestinien à côté de l’État d’Israël. Les États-Unis cherchent à éviter la pénétration de Moscou dans la région et ne veulent pas aborder la question de la représentation palestinienne et de l’avenir de la Cisjordanie, de Jérusalem, et de Gaza. Quant à la Communauté économique européenne (CEE), elle espère pouvoir jouer de nouveau un rôle international, après la tentative d’offensive militaire contre l’Égypte de Gamal Abdel Nasser à la suite de la nationalisation du canal de Suez stoppée net par Washington et Moscou.
Dans une déclaration commune adoptée à Bruxelles le 6 novembre 1973, les Neuf1 appellent à une paix juste et durable obtenue dans le cadre des Nations unies, fondée sur les principes de la résolution 242 et qui devra tenir compte des droits légitimes des Palestiniens.
Invité à s’exprimer le 13 novembre 1974 à la tribune des Nations unies, Yasser Arafat rappelle que la situation du peuple palestinien ne se limite pas au seul déni du droit des réfugiés, mais aussi à celui du droit du peuple palestinien à l’autodétermination sur le sol de sa patrie. Le 22 novembre, la résolution 3236 de l’Assemblée générale des Nations unies
Réaffirme les droits inaliénables du peuple palestinien en Palestine, y compris :
➞ (a) le droit à l’autodétermination sans ingérence extérieure ;
➞ (b) le droit à l’indépendance et à la souveraineté nationales.Réaffirme également le droit inaliénable des Palestiniens de retourner dans leurs foyers […].
Reconnaît en outre le droit du peuple palestinien de recouvrer ses droits par tous les moyens conformément aux buts et principes de la Charte des Nations unies.
Les pas de Valéry Giscard d’Estaing en direction de l’OLP
Le Proche-Orient de 1974 n’est donc plus tout à fait le même que celui de 1967 : si les enjeux demeurent — à commencer par la fin nécessaire de l’occupation et la réalisation des droits nationaux du peuple palestinien —, le contexte régional et international, lui, a changé. Pour le nouveau locataire de l’Élysée, il est temps que la France et l’Europe jouent un rôle.
Sa politique se fait plus atlantiste que celle de Charles de Gaulle, même s’il maintient un réel dialogue avec Moscou. L’une des priorités de celui qui se dit « centriste », « libéral » et « européiste », c’est l’Europe. Valéry Giscard d’Estaing s’appuiera sur le couple qu’il forme avec le chancelier allemand Helmut Schmidt pour faire avancer ses conceptions. Notamment de politique internationale.
De ce point de vue, avant même le Proche-Orient et le monde arabe, la politique étrangère française est dominée par les relations entretenues avec les pays africains, qui constituent en outre l’une des régions d’affrontement de la guerre froide. Dans le monde arabe, le président de la République poursuivra le scénario de son prédécesseur Georges Pompidou d’un « dialogue euro-arabe », visant à développer les relations notamment économiques avec les pays de la région, en particulier face aux velléités hégémoniques des États-Unis. Valéry Giscard d’Estaing se rendra en Algérie en 1975, le premier voyage d’un président français depuis l’indépendance, et ce en dépit des relations que l’on suppose du pouvoir avec les anciens tenants de l’Algérie française, lesquels seront accusés d’assassinats politiques, comme celui de Henri Curiel en 1978.
Face au choc pétrolier, l’exécutif français (qui fait le choix d’une politique d’austérité avec le chômage de masse qui s’installe et l’inflation croissante) développe certaines exportations, en particulier des armes. L’embargo sur les ventes d’armes dans la région est ainsi levé.
1975 : un bureau de l’OLP à Paris
Dans ce contexte, Valéry Giscard d’Estaing va ouvrir le dialogue avec l’OLP. Le 21 octobre 1974, en visite au Liban, Jean Sauvagnargues, ministre des affaires étrangères, rencontre Yasser Arafat. « Si l’on veut aboutir à une solution pacifique dans la zone du Proche-Orient, le problème palestinien doit être traité », affirme le locataire de l’Élysée lors d’une conférence de presse trois jours plus tard.
La rencontre avec le dirigeant palestinien s’inscrit dans cette logique à laquelle sont favorables les États arabes, à l’exception de la Jordanie qui entend encore représenter les Palestiniens, mais que n’apprécie guère Washington et que dénonce Tel-Aviv. La France, par la voix de Valéry Giscard d’Estaing, évoquera le droit du peuple palestinien à une patrie. Le président de la République le rappellera à plusieurs reprises, comme dans un entretien en 1977, dans lequel il assure aussi que « la paix, pour exister, ne peut être qu’une paix globale. Si la paix n’est pas globale, il n’y aura pas de paix au Proche-Orient. Il y aura un désengagement plus ou moins limité dans une partie du Proche-Orient ».
Camp David et l’autodétermination palestinienne
Valéry Giscard d’Estaing demeure en tout cas fidèle à un principe : une paix régionale durable ne peut s’envisager sans la mise en œuvre des droits du peuple palestinien, ni dans l’exclusion de ses représentants à une négociation sur son avenir. C’est à l’aune de ce principe que la France aborde les accords de Camp David conclus entre l’Égypte et Israël sous l’égide des États-Unis. Ainsi, à l’occasion d’un conseil des ministres le 20 septembre 1978, l’Élysée rend publique cette déclaration :
La France rend hommage aux efforts acharnés du président Jimmy Carter en direction de la paix et à la compréhension qu’il a rencontrée de la part du président Sadate et du premier ministre Begin concernant la crise au Proche-Orient. Je rappelle l’attitude de la France : le gouvernement français considère que le rétablissement d’un véritable climat de paix dans cette région ne pourra être assuré, conformément aux deux résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité de l’ONU, que par un accord d’ensemble, associant toutes les parties concernées, y compris les représentants du peuple palestinien, et reconnu comme juste par l’ensemble des États intéressés, et par la communauté internationale tout entière. […] La France considère que l’étape qui vient d’être franchie à trois ne se révèlera décisive pour le sort de la paix au Proche-Orient, que si elle ouvre la voie à un règlement d’ensemble, nécessaire pour apporter aux peuples de la région la paix globale, juste et durable qu’ils attendent.
À Venise, un engagement de l’Europe qui fait date
Mais c’est en 1980, à Venise, qu’est posé un acte fondateur de la politique européenne commune en faveur de la reconnaissance des droits nationaux palestiniens, auquel Paris a œuvré. Le Likoud ayant remporté les élections législatives de 1977 contre le parti travailliste, Menahem Begin est au pouvoir en Israël. L’homme qui a négocié la paix avec Anouar al Sadate refuse tout compromis et toute négociation avec les Palestiniens, au nom du « Grand Israël ». Le 13 juin 1980, les Neuf adoptent une déclaration fondée sur les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité de l’ONU et qui stipule notamment :
Le moment est venu de favoriser la reconnaissance et la mise en œuvre des deux principes universellement admis par la communauté internationale : le droit à l’existence et à la sécurité de tous les États de la région, y compris Israël, et la justice pour tous les peuples, ce qui implique la reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien (…) Le problème palestinien, qui n’est pas un simple problème de réfugiés, doit enfin trouver une juste solution. Le peuple palestinien, qui a conscience d’exister en tant que tel doit être mis en mesure, par un processus approprié défini dans le cadre du règlement global de paix, d’exercer pleinement son droit à l’autodétermination. […] La mise en œuvre de ces objectifs exige l’adhésion et le concours de toutes les parties en cause au règlement de paix (…) Ces principes s’imposent à toutes les parties concernées, donc au peuple palestinien et à l’OLP qui devra être associée à la négociation.
Le texte pose donc clairement le double principe du droit du peuple palestinien à l’autodétermination et celui de la nécessaire participation de l’OLP à des négociations de paix.
Prémices dans le Golfe
Quelques mois avant le sommet de Venise, Valéry Giscard d’Estaing avait évoqué cet objectif à l’occasion d’un long voyage dans les pays du Golfe, en mars, avant un séjour en Jordanie. Dans cette région riche en hydrocarbures, l’objectif était en grande partie économique. Mais il était aussi politique. Le 3 mars, le président publie avec l’émir de Koweit Cheikh Jaber Al-Ahmad Al-Sabah un communiqué commun louant le dialogue euro-arabe, dénonçant l’occupation soviétique de l’Afghanistan au nom du droit international, et indiquant qu’
ils sont convenus que l’établissement d’une paix juste et durable dans la région postule notamment le retrait d’Israël des territoires arabes occupés en 1967 et la reconnaissance des droits légitimes du peuple palestinien. Ils ont exprimé leur conviction que le problème du peuple palestinien n’est pas un problème de réfugiés, mais celui d’un peuple qui doit disposer, sur ces bases et dans le cadre d’une paix juste et durable, de son droit à l’autodétermination.
Valéry Giscard d’Estaing revient longuement sur l’approche française et européenne à l’occasion d’une conférence de presse à Paris le 26 juin 1980. Plaidant pour une politique étrangère française indépendante, mais « ni neutre, ni neutraliste », voyant dans « l’effacement du rôle de l’Europe » dans le monde une « anomalie », il avance que la solution aux problèmes du Proche-Orient consiste à « concilier deux droits fondamentaux » : le droit de l’État d’Israël à la sécurité, et le droit du peuple palestinien à l’existence qui doit, dit-il, lui être reconnu dans aucune autre restriction que celle des frontières reconnues des États voisins. Et qui suppose de reconnaître ce qu’il qualifie de « droit fondamental et évident du peuple palestinien à l’autodétermination ».
Pour le locataire de l’Élysée, la conciliation de ces deux droits, israélien et palestinien, est possible et souhaitable, mais le temps travaille contre elle. Elle passe par la résolution 242 des Nations-Unies qui, souligne-t-il, a pour dispositif central l’évacuation des territoires occupés en 1967. « Des frontières reconnues ne peuvent pas et ne pourront jamais englober des territoires occupés », insiste-t-il. Et de se réjouir de l’unanimité constatée à Venise à ce sujet et insistant sur les conséquences bénéfiques qu’aurait cette approche pour toute la région.
Depuis, les principes définis dans la Déclaration de Venise demeurent officiellement au fondement de l’analyse européenne commune, censée s’articuler sur le droit international. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Au prétexte d’une lutte qui serait commune entre Bruxelles et Tel-Aviv contre l’islamisme et le terrorisme, la start-up nation israélienne avec laquelle s’intensifient les relations économiques, commerciales et technologiques bénéficie d’une impunité qui n’a pour conséquences que de pérenniser l’occupation et la spirale de violences au Proche-Orient. Et au-delà.
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1NDLR. Les membres fondateurs de la CEE sont au nombre de six : Allemagne de l’Ouest, Belgique, Luxembourg et Pays-Bas (Benelux), la France et l’Italie. Le premier élargissement a lieu en 1973, avec l’adhésion du Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni.