Chaque année, les musulmans célèbrent Al-Mawlid Ennabaoui — également appelé Maouled ou Mouled, le terme est entré dans la plupart des dictionnaires français sous la forme « Mouloud » — la naissance du prophète Muhammad à la date du douzième jour de rabi al-awwal, le troisième mois du calendrier hégirien (la tradition islamique situe la date de naissance du Prophète en 570 ap. J.-C.). En 2017, le Mawlid correspond pour la plupart des pays musulmans au vendredi 1er décembre, et c’est donc dans la soirée et la nuit du jeudi 30 novembre que nombre de familles se réuniront pour fêter la naissance du messager d’Allah.
Le Mawlid revêt bien moins d’importance sur le plan théologique et canonique que les deux aïd : « al-adha » et « el-fitr », même s’il est férié dans la plupart des pays musulmans. Aucune sourate du Coran, aucun hadith du Prophète ne commande explicitement de célébrer cet anniversaire. Il n’y a pas non plus de prière collective à la mosquée ni de jeûne le précédant. Des courants rigoristes estiment même qu’il s’agit d’une innovation blâmable (tout comme, d’ailleurs, le fait de fêter l’anniversaire de n’importe quel individu). Ils dénoncent sa similarité avec le Noël chrétien et rappellent que cette fête n’existait pas du vivant du Prophète. En Arabie saoudite, pays où la très austère doctrine wahhabite régit le culte, les autorités religieuses n’interdisent toutefois pas le Mawlid ennabaoui mais, d’une année à l’autre, critiquent avec plus ou moins de virulence sa célébration.
À l’inverse, de nombreux théologiens musulmans défendent cette fête, rappelant qu’en islam est licite tout ce qui n’est pas formellement interdit par le Coran ou la Sunna1. Ils se basent aussi sur un épisode de la vie du Prophète où ce dernier aurait apprécié le fait que des croyants se soient réunis « pour prier Allah et le louer » de les avoir « guidés vers Sa religion » et les avoir bénis par la personne du Prophète. Autrement dit, il ne serait pas interdit de se réunir pour se réjouir de l’existence, et donc de la naissance, du Prophète. Enfin, certains religieux, y compris parmi les plus rigoristes, ne s’opposent pas à la célébration du Mawlid, mais à la condition qu’elle se résume à un rassemblement de croyants où seront évoqués les faits et gestes du Prophète. Une manière de rejeter l’aspect festif du Mawlid. Quoi qu’il en soit, cette question alimente des débats sans fin sur les réseaux sociaux.
Mais les arguties théologiques n’empêchent pas le Mawlid d’être une importante fête populaire et familiale. Dans les foyers, il est d’usage d’allumer le soir une bougie dans chaque pièce. Chaque pays, chaque région, a son plat spécial, ainsi que ses friandises, pour célébrer l’occasion : couscous ou tagine de viande au Maroc, rechta (nouilles fines) au poulet et tamina (semoule cuite au miel) en Algérie, assidat zgougou (entremet à base de pignons de pin) en Tunisie, jrissa (soupe au blé) en Palestine, arrouset al-Mawlid, poupée ou figurine en sucre en Égypte ou encore saliqa bel derder (blé bouilli) et moulabess (dragées à l’anis) en Syrie. Dans de nombreux pays, le Mawlid est aussi l’occasion de faire exploser pétards et fusées tout au long de la soirée (une pratique qui a traversé la Méditerranée et que l’on retrouve dans les banlieues populaires françaises). En Algérie, bien qu’interdit depuis 1963, le commerce d’engins pyrotechniques bat d’ailleurs des records dans les jours qui précèdent la fête et les accidents liés à cet usage sont particulièrement nombreux.
Le Mawlid est aussi un grand rendez-vous mystique et spirituel. Dans toute l’Afrique du Nord comme au Proche-Orient, en Asie ou en Afrique subsaharienne, les confréries religieuses organisent des processions et des réunions avec récitation du Coran et chants élogieux dédiés au Prophète. Après la prière du soir, des séances d’invocations dhikr (ou zikr,) se tiennent dans les domiciles de particuliers ou même dans les mosquées qui restent ouvertes jusqu’à tard dans la nuit. Il est aussi de tradition d’y demeurer en méditation jusqu’à la prière de l’aube.
Comme d’autres fêtes religieuses, le Mawlid a aussi représenté un puissant outil d’affirmation identitaire durant la période coloniale. Dans les années 1920, les nationalistes palestiniens tentèrent même d’en faire une fête nationale qui concernerait aussi les chrétiens2. Dans l’Algérie française, le Mawlid était la fête par excellence des scouts musulmans, véritable creuset du mouvement indépendantiste. C’est aussi à cette occasion qu’était annoncée la naissance des clubs sportifs musulmans, dont celle du Mouloudia (de mouloud) d’Alger (1921).
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2Philippe Bourmaud, « Lieux saints et fêtes religieuses en Palestine (XIXe siècle-1948) », in Temps et Espaces en Palestine, Roger Heacock (dir.), Presses de l’Ifpo, 2008.