Le conflit syrien

21 juin 2023

Cette image est une carte de la Syrie représentant les différentes zones de contrôle et d'influence dans le pays. On y voit plusieurs régions colorées, chacune correspondant à un groupe ou une force militaire. Les zones sont marquées par des noms de villes et des frontières avec les pays voisins comme la Turquie, le Liban, et la Jordanie. Des points de passage frontaliers ainsi que des zones d'opérations militaires sont également indiqués. Les légendes sur la carte précisent différents acteurs impliqués, tels que les forces loyalistes, les groupes rebelles, et l'administration autonome kurde.
La Syrie en 2023 : un État éclaté
© Cyrille Suss, 2023

Après le déclenchement du conflit, une opposition divisée

En mars 2011, la Syrie rejoint le mouvement de protestation qui touche les pays de la région. Après un moment d’espoir au tournant du siècle, pendant lequel le jeune président Bachar Al-Assad qui a succédé à son père a pu laisser croire à une libéralisation du régime alaouite, les années de plomb sont revenues. Très vite, une répression terrible s’abat sur les opposants. En juillet 2011 apparaît l’Armée syrienne libre (ASL), composée notamment de soldats déserteurs, sous l’autorité du Conseil national syrien qui tente de coordonner la résistance depuis la Turquie. Elle bénéficie du soutien de pays étrangers hostiles au régime alaouite syrien proche de l’Iran, notamment les États du Golfe. Ceux-ci vont également favoriser la constitution de groupes djihadistes. Très vite des tensions et désaccords apparaissent entre les différentes composantes de la rébellion qui entrent en confrontation. Le régime n’est plus combattu par les seuls opposants démocratiques mais aussi par les islamistes de Ahrar al-Cham, Jaish al-islam, Jound Al-Aqsa, Liwa Al-Haq et autres. Il en profite pour se poser en rempart contre le terrorisme islamiste. L’image de l’opposition se brouille.

La menace djihadiste

Un nouvel acteur vient encore complexifier le tableau : l’organisation de l’État islamique/Daesh. Apparu en 2006 en Irak, à la faveur du chaos qui a suivi l’intervention américaine et la chute de Saddam Hussein, les djihadistes profitent de la déstabilisation de la Syrie pour étendre leur territoire. En janvier 2014, ils proclament le califat, à cheval sur les deux États et choisissent la ville syrienne de Rakka pour capitale. En août 2014, la Coalition internationale conduite par les Etats-Unis intervient en Syrie et en Irak. La chute de Baghouz début 2019 marque la fin du califat. Mais l’OEI garde toujours des capacités d’intervention dans les steppes de l’est, placées sous l’autorité du régime. L’élimination de chefs de l’organisation et plusieurs attaques complexes conduites au nord - contre la prison de Hassaké en janvier 2022 et celle de Rakka en 2023 - donnent à penser que l’organisation est entrée dans une phase de régénérescence. Son emprise est attestée dans le rif de Deir Ez-Zor. A l’est le camp d’Al-Hol, lieu de détention des familles de djihadistes, géré par les forces kurdes, reste un centre d’endoctrinement et une base de repli pour les membres de Daesh.

La dimension kurde

Dès 2012, les zones de population kurde en Syrie sont sorties de l’orbite de Damas pour passer sous le contrôle de forces kurdes des YPD (Unités de protection du peuple), émanation armée du Parti de l’union démocratique (PYD). Refondue dans les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition composée de combattants kurdes et arabes, commandée par le Général Mazloum Abdi s’emploie à chasser les combattants de Daesh du nord-est de la Syrie et à repousser également les Turcs. L’organisation bénéficie du soutien des Américains en dépit de ses liens historiques avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, bête noire des autorités turques), inscrit sur les listes des organisations terroristes établies par Washington et Bruxelles. En mars 2016, est annoncée la création de la Fédération démocratique du nord de la Syrie, renommée depuis lors « Administration autonome du Nord-Est syrien » (AANES), appelée par ses partisans le Rojava ouest » en kurde), établie sur l’ensemble des territoires syriens situés à l’Est de l’Euphrate, et dans l’enclave de Manbij (gouvernorat d’Alep).

L’Iran et la Russie soutiens déterminants pour le régime syrien

L’alliance entre les deux régimes iranien et syrien remonte déjà loin. Elle s’est nouée pendant la guerre qui a opposé de 1980 à 1988 l’Iran à l’Irak, en raison notamment de l’hostilité entre les frères ennemis baathistes de Damas et de Bagdad. Elle répond à une conjonction de considérations : la solidarité inter chiite (les Alaouites étant une branche du chiisme), l’appartenance commune au front du refus contre Israël, des intérêts économiques - les Gardiens de la révolution iraniens ayant massivement investi en Syrie, en particulier dans la téléphonie -, la nécessité de contrer l’influence régionale des pays sunnites du Conseil de coopération du Golfe. Dans l’esprit des dirigeants iraniens, le soutien des monarchies du Golfe aux rebelles syriens est perçu comme une stratégie anti-iranienne faisant suite à leur soutien à la guerre de Saddam Hussein contre l’Iran. A partir de la fin 2012, l’Iran s’est donc engagé aux côtés des troupes loyalistes, notamment par l’intermédiaire de la force Al-Qods et du Hezbollah libanais. Téhéran fournit des financements, des armes, un soutien logistique, et assure encadrement et formations. Le régime iranien a également soutenu l’économie syrienne, notamment par l’importation à crédit de pétrole.

La Russie est intervenue militairement en Syrie en 2015, à la demande du Président Bachar Al-Assad. Elle a installé une base dans la ville côtière de Lattakié et fourni une aide au sol par le biais de forces spéciales, de supplétifs des compagnies militaires privées comme Wagner et des unités de police militaire. Elle a également effectué un certain nombre de raids aériens et de tirs de missiles de croisière à un moment charnière pour la survie du régime. Elle a ainsi permis la reconquête d’Alep en 2017. La Syrie a servi de terrain d’expérimentation et de promotion des exportations pour les matériels militaires russes. La « méthode syrienne », expérimentée à Alep (notamment sur les techniques de siège) et ailleurs, se retrouvera plus tard sur le théâtre ukrainien. Comme les Iraniens, les Russes se rémunèrent également sur l’économie du pays, en particulier dans le secteur des mines et de l’énergie.

Israël contre l’axe Damas Téhéran

Pour Israël, l’enjeu consiste à empêcher la constitution d’un front hostile sous l’égide de Téhéran à proximité de son territoire. Il faut donc tout faire pour contrer l’influence iranienne en Syrie, en faisant prendre conscience au régime de Damas des dangers liés à l’implantation de matériels et de contingents iraniens ou pro iraniens, et en limitant leur capacité de nuisance. Depuis 2013, Israël conduit donc régulièrement des frappes en Syrie contre des cibles liées à l’Iran ou au Hezbollah. Les Russes laissent faire, soucieux de ne pas laisser Téhéran en position de force trop exclusive sur le théâtre syrien.

La Turquie joue sa propre partition

Après l’avoir appelé au début du soulèvement à « lâcher du lest », le Président Erdogan a tenu ensuite contre Bachar Al-Assad des propos sans appel ; il a soutenu les insurgés et a accueilli à bras ouverts les réfugiés syriens, évalués à trois millions et demi de personnes. Mais pour Ankara, le problème syrien s’est vite pose en termes de sécurité. Elle a conduit une première offensive chez son voisin en 2016-2017, « Bouclier de l’Euphrate », d’abord contre l’État islamique, puis contre les Kurdes des FDS. Elle s’appuie sur une formation militaire composée de multiples factions issues d’anciens groupes armés de l’opposition, l’Armée nationale syrienne, et sur divers groupes supplétifs. Soucieuse d’établir une zone tampon de trente kilomètres le long de sa frontière, elle a envahi en janvier 2018 la région de Afrin (Opération « Rameau d’olivier »), ancien bastion du PYD au nord-ouest, puis pris le contrôle d’un large quadrilatère au nord-est en octobre 2019 (Opération « Source de Paix »). La Turquie menaçait fin 2022 de conduire une nouvelle offensive terrestre, contre les FDS. Mais le séisme de février 2023 et les élections turques de mai ont établi d’autres priorités. Par ailleurs, Ankara a entrepris un rapprochement avec le maître de Damas, dans la perspective notamment d’un retour des réfugiés syriens de Turquie. Or Bachar Al-Assad exige en préalable le départ des troupes turques présentes sur le territoire syrien.

Demi-mesures américaines et impuissance de la communauté internationale

Face au désastre syrien, la communauté internationale n’a pas su définir de ligne de conduite cohérente. Dès février 2012, une première réunion à Tunis des « Amis de la Syrie », groupe international de soutien à l’opposition syrienne, achoppait sur la question de savoir s’il fallait livrer ou non des armes à l’opposition. En août de la même année, le président Obama évoquait une « ligne rouge », que constituerait l’usage des armes chimiques par le régime syrien. Un an plus tard, une attaque au gaz sarin tuait au moins 1 400 personnes aux environs de Damas. Lors d’une réunion du G7, le président américain évoquait la question avec Vladimir Poutine : l’usage des armes chimiques était condamné mais une solution diplomatique était privilégiée. A l’instigation des Russes, il était décidé, selon les termes de l’Accord de Genève du 14 septembre 2013, de placer les armes chimiques syriennes sous contrôle, une annonce qui ne devait être suivie que partiellement d’effet, comme allaient le démontrer de nouvelles attaques. Les différentes conférences internationales qui se sont déroulées depuis à Genève sous l’égide des Nations unies sont restées dans l’impasse. Adoptée en décembre 2015, la résolution 2254 du CS/ONU qui appelle au cessez-le-feu et fixe les conditions d’un règlement politique (adoption d’une nouvelle constitution et organisation d’élections libres intégrant des représentants de l’opposition) est restée lettre morte. Les pourparlers engagés à Astana (Kazakhstan), en 2017 sous le triple parrainage de la Russie, de l’Iran et de la Turquie, ont aligné les rencontres sans aboutir davantage.

Les dirigeants occidentaux ont pris acte du fait que leurs opinions publiques ne voulaient plus d’une intervention extérieure et la volonté des Américains de ne plus engager de forces au sol le monde arabe musulman n’a fait que se confirmer. Washington a toutefois soutenu les YPG dans leur lutte contre l’OEI, en dépit de leur proximité avec le PKK. Pour ne pas heurter les Turcs, ils ont renoncé à inclure les FDS dans les pourparlers politiques mais maintiennent une présence sur le terrain à leurs côtés (postes d’observation et patrouilles conjointes).

Le régime syrien a été visé avant même le soulèvement de 2011 par une série de sanctions qui n’ont fait que s’accumuler depuis. Visant au départ des acteurs individuels et des sociétés, ces sanctions ont été étendues par la loi César (du nom d’un transfuge de l’armée syrienne) votée au Congrès américain en décembre 2019, aux sociétés étrangères impliquées plus ou moins directement dans des secteurs de l’économie syrienne liés au régime, notamment dans l’énergie et le BTP. Mais ces mesures n’ont pas réussi à faire fléchir le clan Assad, qui s’est employé à les contourner et à développer de nouveaux modes de prédation pour s’assurer des ressources propres, comme le trafic de Captagon. Les détracteurs des sanctions telles qu’elles existent en l’état, estiment qu’elles pèsent en réalité sur la population, frappée de plein fouet par la crise économique.

La poche d’Idlib : une expérience islamiste singulière

Dans le nord-ouest de la Syrie, à proximité de la frontière turque, la région d’Idlib est contrôlée par une organisation issue du Jabhat al-Nosra, initialement affilié à l’État islamique puis ralliée à Al-Qaida. Ce nouveau groupe, Hayat Tahrir al-Cham (HTS), s’est constitué en 2017. Il a officiellement renoncé au jihadisme et administre, dans les faits, la poche d’Idlib depuis 2015. Un modus vivendi a été trouvé avec la Turquie qui maintient une présence militaire à Idlib.

La réintégration de Bachar al-Assad et les mirages de la reconstruction

En 2022, on relève les premiers signes d’une réintégration de Bachar Al-Assad sur la scène régionale. La Turquie amorce un rapprochement, les rencontres bilatérales avec différents pays se multiplient. Le tremblement de terre de février 2023, qui frappe le nord-ouest du pays, faisant quelques 6 000 morts, accélère le processus sous couvert d’aide humanitaire. Jusqu’à aboutir, le 19 mai 2023, à la participation du président syrien au sommet de la Ligue arabe à Djedda. Officiellement, la résolution 2254 reste le cadre de référence mais son application semble de plus en plus incertaine. Après plus de dix ans d’un conflit qui a fait plus d’un demi-million de morts, a conduit à l’exil six millions et demi de personnes et a poussé sur les routes sept millions de déplacés, certains font valoir que l’heure est au pragmatisme et qu’il faut composer avec les autorités de Damas. Il s’agit également de distendre si possible les liens entre l’Iran et la Syrie afin d’affaiblir Téhéran. Sans compter les appétits économiques que suscite le marché de la reconstruction dans une Syrie en ruine. Les pays d’accueil souhaitent se débarrasser du poids des réfugiés syriens ou à tout le moins l’atténuer, allant jusqu’à procéder à des retours forcés. Américains et Européens refusent pour le moment de suivre le mouvement, s’accrochant aux effets à long terme des sanctions. Un peu partout, les familles des victimes veulent continuer de croire en la justice internationale.